Hier, se tenait au Parlement européen, à Bruxelles, le Second Dialogue Auteur-Editeur organisé par la Fédération européenne des Éditeurs (FEE). Réunissant trois couples d'auteurs-éditeurs, ce fut l'occasion de discuter des enjeux de l'industrie du livre, autant que du rôle de l'éditeur et de l'auteur dans cette économie européenne. Enfin, Anne-Bergman-Tahon, Directrice de la FEE, souligne : « Ces trois auteurs et leurs éditeurs ont fait le voyage à Bruxelles pour donner aux politiciens et aux fonctionnaires européens un regard unique sur cette relation exceptionnelle qui lie un auteur et son éditeur. […] L'Europe devrait être fière de son secteur de l'édition en pleine santé et soutenir son passage au numérique ».
Le 20/09/2012 à 11:54 par Clément Solym
Publié le :
20/09/2012 à 11:54
De la question du numérique : l'édition numérique est une « énorme chance pour l'industrie du livre »
« À nous législateurs d'ajuster les régulations pour faire face au numérique et instituer un cadre juridique qui protège les droits des auteurs », annonce fermement Marielle Gallo, eurodéputée et auteur. Voilà de quoi montrer, qu'en Europe, on a bien l'intention de s'adapter à la société numérique. D'ailleurs, selon Stefano Mauri (groupe éditorial Mauri Spagnol, Italie), propriétaire de Online, le plus gros vendeur d'ebooks actuellement en Italie, les ventes numériques ont doublé. L'ebook est bien un marché qu'il ne faut pas laisser partir a volo.
Plus précisément, Jacques Toubon nous affirme que « la numérisation et les réseaux numériques constituent, de notre point de vue, une énorme chance pour l'industrie du livre ». Ainsi, la FEE tient à souligner non pas la menace, mais le potentiel que cela présente pour le livre, assurant qu' « on ne se situe pas dans une position défensive ou refermée, comme celle de la musique auparavant, au contraire, on est dans une position ouverte et offensive ». C'est une énorme chance, à condition que l'Europe conduise une politique « qui permette à nos entreprises européennes d'être compétitives ». Et d'ajouter : « On ne demande pas à être protégé, on ne demande pas à être subventionné, on demande à avoir des conditions de concurrence égales ou équivalentes ».
Pour Asa Larsson, la vision du numérique diffère quelque peu, jugeant cela pour une autre génération, notamment celle de ses enfants. « Mes enfants, de 11 et 14 ans passent beaucoup de temps sur internet, alors je serai ravie qu'ils puissent aussi y trouver des livres ». Cependant, l'important est de légiférer intelligemment : « si les taxes numériques deviennent trop chers, par exemple, nous allons élever une génération de voleurs. Et j'aimerai qu'on me paye pour mon travail ».
C'est alors le moment d'invoquer l'éditeur, ce guide et protecteur de l'auteur face au danger de piratage ou d'abus de droit. « Vous êtes toujours pillés, car la création artistique se transforme en produit. L'éditeur est ce partenaire qui domine et guide l'auteur face au produit. Il est aussi celui qui protège nos droits », déclare Jean Dufaux. Et François Pernot, éditeur Dargaud-Lombard, d'annoncer que « nous avons des gens qui passent leur journée à faire fermer des sites qui exploitent indûment nos images ».
D'ajouter alors : « le premier moyen de diffusion reste, pour nous, encore la librairie. Et le papier reste notre meilleur vecteur ». Et Eva Bonnier, directrice de Albert Bonniers Förlag, de conclure : « Le numérique est une voie importante, même si pour le moment nous distribuons essentiellement en bibliothèque ce qui ne saurait suffire. Mais le plus dur, outre de lancer le marché plus en avant, c'est d'arriver à convaincre les auteurs ».
Parlement Européen, crédits ActuaLitté
De la question de l'écrivain, et du rôle essentiel de l'éditeur : il y a écrivain amateur et écrivain professionnel, à ne pas confondre
L'un des points récurrents du débat fut évident le statut de l'auteur et sa fonction. On sait bien que l'auteur écrit, mais bien souvent on ne « peut arriver à imaginer qu'écrivain est un vrai métier, et que ce n'est pas seulement un simple cadeau fait à l'humanité », remarque Asa Larsson, auteur à succès de swidish crime. Et, dans ce métier, qui peut faire vivre à plein temps des écrivains, l'éditeur doit encourager son auteur. « Le pas important, c'est quand on doit écrire le deuxième livre. Le premier est souvent de la chance mêle à une bonne idée. Le second est quand même plus difficile », témoigne Donato Carrisi.
« Évidemment, nous sommes là pour aider l'auteur et mettre son produit sur le marché », déclare Stefano Mauri. « Nous sélections, pour notre part, 6 000 ouvrages sur 18 000, pour n'en garder que 200. C'est un jugement fait sur la valeur ».
Pour Eva Bonnier, qui vient d'une famille d'éditeur, « nous savons qu'il faut se lier avec les auteurs, s'en occuper, être patient. Les commentaires que nous pouvons faire sur leurs manuscrits sont très importants ». Car, « on ne devient pas écrivain comme ça, parce qu'on publie un livre », annonce Asa Larsson.Et d'engager alors la seconde idée, plus douteuse, qui semblait parcourir l'ensemble de la réunion : « il y a une grande différence entre les écrivains professionnels et les autres, amateurs. Et c'est en cela qu'il est nécessaire que nous ayons une entreprise ».
Être un écrivain qui édite en papier, oui, c'est entré depuis longtemps dans les mœurs. Être un écrivain qui édite en numérique, par le biais de son éditeur, pourquoi pas après tout. Mais l'auto-édition est une pratique que nos amis invités de la FEE ne semblent pas tant que ça considérer. « Le selfpublishing correspond à une demande de visibilité », déclare Stefano Mauri. « Ce sont des œuvres ultra-populaires que les éditeurs ont laissées de côté, mais ce sont des auteurs qui existent en parallèle. Mais ce ne sont pas les grandes œuvres ni les grands auteurs ».
« Si je m'étais autoédité sur internet avec mes mauvais livres, refusés au départ par les éditeurs, je ne serais pas là », ajoute Donato Carrisi.
Parlement Européen, crédits ActuaLitté
De l'édition : l'édition est une politique industrielle, et pas seulement culturelle
« Éditer des livres, c'est une entreprise », déclare Eva Bonnier. « Nous voulons gagner de l'argent. C'est une entreprise commerciale, il faut que cela fonctionne ».
Car, l'édition de livre, c'est 24 milliards d'euros, chaque année, de richesse produite dans l'économie européenne. « On est en passe de ce que l'on pourrait appeler une industrie lourde, ce n'est pas accessoire », souligne Jacques Toubon. Et de nous affirmer que le livre est d'ailleurs la première industrie culturelle. Une industrie, qui se caractérise en ce qu'elle autorise et connaît une totale diversité.
« Il y a un million d'emplois, partout et de toute nature, de la P.D.G. éditoriale telle Eva Bonnier, jusqu'au dernier manutentionnaire qui va trier quelquefois sous une soupente vieille les archives de l'éditeur », ajoute Jacques Toubon. Bref, on comprendra des métiers à la fois intellectuels et manuels.
En réalité, ce qui importe majoritairement pour la FEE et Jacques Toubon, c'est de réussir à mener une politique industrielle et pas seulement culturelle. « Nous demandons une économie du livre compétitive, nous ne sommes pas là pour défendre des privilèges culturels, mais pour faire que le livre soit un des éléments de prospérité de l'Europe dans les 20 ans qui viennent ».
Des « perles » et des positions du FEE, seulement des détails
Enfin, il fallait bien relever des positions et des petites « perles » de la FEE, dans ses communiqués officiels, afin de rendre, au mieux, les pensées qui régissent actuellement le monde éditorial sur quelques questions « brûlantes ».
« Yet publishers have the same cost structure in the digital world as in the traditional model ». On comprendra que l'ebook n'est pas moins cher, dans sa fabrication, sa distribution, sa diffusion et son fonctionnement, que le livre papier.
À propos des copyrights : « When a reader aquires a book, he or she automatically acquires the right to read the book ». Seulement le droit de lire un livre ? Que fait-on du droit de donner, prêter, copier (sans but commercial), résumer un ouvrage ?
« VAT between online and offline is harming the competitiveness of the sector, holding back developments in fields as crucial as scientific and educational publishing and exposing European publishers to the competition of others in countries such as the US ». Voilà une position fort appuyée par la FEE, concernant la fiscalité des œuvres. De bonnes nouvelles donc, lorsqu'on apprend ensuite que pas de TVA (ou une baisse significative) équivaudrait à abolir le piratage.
Sur la question des œuvres orphelines, la FEE présente cinq longs paragraphes détaillés, qui se terminent par : « We are also identifying projects to digitise out of commerce works and accompanying them ». Ou comment noyer le poisson à la fin du texte en ce qui concerne la numérisation des œuvres indisponibles.
DOSSIER - Auteurs sans éditeurs, éditeurs sans auteurs ? Un podcast en 4 épisodes
Par Clément Solym
Contact : cs@actualitte.com
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