Pour éviter les contentieux juridiques, destinés à faire respecter la bonne application de la loi sur le prix unique du livre, le Syndicat de la Librairie Française souhaiterait mettre en place un dispositif de conciliation et de médiation. Ce dernier aurait pour mission de « faciliter des compromis prenant en compte les contraintes de chaque profession ». Dans une note datée du 23 novembre, consultée par ActuaLitté, le SLF développe ce projet.
Le 04/12/2012 à 10:43 par Clément Solym
Publié le :
04/12/2012 à 10:43
InsideMyShell, (CC BY-NC-SA 2.0)
De fait, la mission de conciliation préalable serait justement « de prévenir et désamorcer des contentieux », présentés comme « lourds, coûteux et aléatoires » par le SLF, seul à engager ce type de procédure. Le ministère de la Culture ne peut en effet remplir ce rôle, quand la DGCCRF n'a pas les outils pour ce faire, et ne les recherche pas. En outre, le dispositif pourrait également « établir des préconisations à l'attention des pouvoirs publics et des professionnels, notamment sur l'adaptation des textes en vigueur ».
Il faut souligner que le dispositif n'a pas vocation à remplacer les jeux commerciaux. « Seul ce qui relève de la bonne application des lois, notamment celles sur le prix unique, papier comme numérique, devrait être de son ressort », précise le SLF. En s'assurant que la législation est bien respectée par les différentes branches de la profession et ses acteurs, elle s'articulerait aussi sur un principe de médiation, en complément d'une instance interprofessionnelle.
Les différentes propositions présentées sont les suivantes, au travers d'exemples concrets :
1/ faciliter et clarifier l'application des règles législatives et réglementaires applicables dans le secteur du livre :
- affichage des prix et des rabais sur Internet : l'affichage sur un certain nombre de sites Internet de prix différents pour un même livre donne lieu à une dilution de la perception du prix fixé par l'éditeur et à l'affichage de rabais qui peuvent s'avérer contraires à la réglementation en vigueur et qui causent un préjudice réel vis-à-vis des libraires. Cette pratique s'appuie sur le mélange dans l'offre de livres de ces sites de livres neufs, d'occasion ou de soldes. Il serait souhaitable de définir avec l'ensemble des acteurs du livre des règles permettant une transparence de ces informations.
- conformité de la réglementation française, dont la loi de 1981, en matière de ventes avec primes par rapport au droit communautaire. Le SLF souhaite, notamment vis-à-vis des pratiques de la grande distribution que la validation du cadre juridique français soit confirmée.
- champ d'application de la loi de 1981 face aux incertitudes engendrées par plusieurs jurisprudences.
- ventes aux collectivités : certains opérateurs spécialisés ont mis en place, particulièrement vis-à-vis des établissements scolaires, des pratiques très « tortueuses » qui, au final leur donnent un avantage concurrentiel vis-à-vis de leurs concurrents libraires mais dont il est malaisé de mesurer d'emblée le caractère illégal sans s'engager dans la voie contentieuse. Il peut s'agir par exemple de grossistes qui dotent, en contrepartie de l'obtention d'un marché auprès d'une association de parents d'élèves, la bibliothèque de l'école d'exemplaires gratuits d'ouvrages.
- pratique du « cashback » : cette pratique est utilisée par des sites Internet faisant office de « galerie marchande » regroupant un ensemble de sites « partenaires ». Ces sites créditent chaque client d'un montant correspondant à un pourcentage de leurs achats. Ce pourcentage est généralement supérieur aux 5 % autorisés par la loi de 1981. C'est le site « partenaire » qui prend en charge ce « cash back » et non le site « galerie marchande » lui-même ce qui rend plus complexe le fait de savoir si une telle offre présente ou non un caractère d'infraction avec la loi. Celui qui offre le rabais n'est en effet pas forcément celui auprès de qui on achète. Cette complexité rend tout contentieux en la matière aléatoire et nécessite que soit précisée la nature d'une éventuelle infraction.
- gratuité des frais de port sur Internet : c'est l'exemple d'un sujet sur lequel le SLF a engagé des contentieux depuis 2005 sans que la question soit encore définitivement tranchée à ce jour. Si la majorité des opérateurs s'accorde à considérer que la gratuité des frais de port s'apparente à un contournement de la loi de 1981 et vise à permettre à certains opérateurs importants d'accorder à leurs clients un avantage prix que d'autres détaillants ne peuvent concéder, la traduction juridique de cet état de fait n'en est pas moins complexe. Une conciliation préalable aurait pu permettre d'éviter des contentieux dont la durée même finit par leur retirer toute pertinence au regard de l'établissement des usages. Elle aurait également pu donner lieu à un compromis, par exemple en acceptant que la gratuité des frais de port soit proposée à partir d'un minimum d'achat. Cette approche raisonnable n'était pas envisageable dans le cadre d'un contentieux qui ne pouvait que statuer sur le caractère totalement légal ou totalement illégal de cette pratique.
- Application de la loi relative au prix du livre numérique : cette loi intervient sur un marché dont les usages et les offres sont en cours de construction. Les enjeux économiques liés à ce nouveau marché sont potentiellement très importants et certains acteurs peuvent être tentés de contourner les dispositions de la loi afin de présenter des offres plus avantageuses que celles de leurs concurrents et de capter ainsi des parts de marché à un moment stratégique. Par ailleurs, l'application de la loi à des opérateurs opérant en France à partir de l'étranger rend les contentieux éventuels plus complexes et plus longs. Il est donc important de pouvoir désamorcer rapidement les infractions à la loi afin que la force des usages qui s'impose très vite sur Internet ne l'emporte pas. Les principaux points de vigilance sont les suivants : offres entrant ou n'entrant pas dans le champ d'application de la loi, respect du prix des offres fixé par les éditeurs, absence de contournement de l'exception prévue à l'article 2 de la loi en faveur des offres dites « complexes », respect de l'encadrement des ventes à primes de livres numériques…
2/ être force de proposition pour faire évoluer et rendre plus performantes ces règles
- Le marquage des prix : cette disposition rendue obligatoire par la loi de 1981 est très imparfaitement appliquée. On estime que les éditeurs ne marquent pas les prix sur environ 40 % des ouvrages. Or, l'étiquetage des prix sur les ouvrages entrant en librairie et le retrait des étiquettes sur les livres retournés entraînent des coûts non négligeables en librairie. De surcroît, les éditeurs comme les libraires constatent que le marquage des prix est une incitation à l'achat. Les libraires sont prêts à envisager une absence de marquage de prix sur certains ouvrages de fonds, par exemple des ouvrages d'art coûteux, dont le tirage est calculé pour durer de nombreuses années. Un dispositif de conciliation - médiation pourrait, en tenant compte des contraintes de chaque profession, favoriser des solutions de compromis, évitant ainsi l'engagement de contentieux entre la librairie et l'édition.
- Les marchés publics : sur ce sujet également, il est nécessaire de pouvoir expertiser certains points et d'élaborer des propositions. Les libraires s'interrogent par exemple sur la légalité de services associés demandés par les collectivités dans le cadre d'un marché de fournitures de livres (prise en charge des frais de déplacement d'auteurs en bibliothèque, mise en place de formations, fourniture de notices bibliographiques, participation à l'impression de supports de communication, offre d'abonnements à des revues professionnelles…). Les libraires constatent par ailleurs une reconcentration de l'attribution des marchés en faveur de grossistes. En liaison avec les administrations et collectivités concernées, ces évolutions pourraient être analysées afin d'aboutir, le cas échéant, à des recommandations permettant de faire évoluer les textes en vigueur sur ce sujet.
Le principe à retenir reste donc la nomination d'un médiateur, qui interviendrait pour éviter les procès et rééquilibrer les questions de concurrence entre indépendants et grandes enseignes.
Par Clément Solym
Contact : clements@actualitte.com
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