La loi de finances rectificative du 28 décembre 2011 avait fixé à 7 % le taux de TVA appliqué à la vente de livres physiques et de livres numériques (au lieu de 5,5 % et 19,6 %). Depuis le 1er janvier 2013, le taux réduit de 5,5 % est à nouveau appliqué pour tous les livres, quel que soit leur support physique ou numérique (
Le 28/01/2013 à 17:19 par Ariane Samson-Divisia
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28/01/2013 à 17:19
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loi de finances rectificative du 16 août 2012).
Selon le rapport en première lecture de la Commission des finances du Sénat du 23 juillet 2012, cette nouvelle disposition devrait permettre d'encourager la consommation de livres en France, de restaurer les marges des libraires et d'améliorer leur compétitivité face à une concurrence étrangère toujours plus forte du fait de l'application de faibles taux de TVA dans des pays voisins de la France tels que le Luxembourg (3 %).
La Commission européenne avait critiqué dès le 3 juillet 2012 le projet français d'appliquer au livre numérique un taux réduit de TVA. Ce faisant, la Commission avait mis la France et le Luxembourg en demeure de renoncer au taux réduit de TVA sur le livre numérique, qui était alors fixé à 7% en France.
Les effets de l'exception culturelle française sur la concurrence
À l'origine de cette procédure de mise en demeure, plusieurs plaintes de ministres des Finances d'autres États membres avaient été portées devant la Commission européenne. Selon ces États, la réduction du taux de TVA à 7 % pour le livre numérique en France (qui auparavant était taxé à 19,6 %) et à 3 % au Luxembourg, aurait engendré une relocalisation des acteurs dominants du marché du livre numérique dans ces pays -le taux applicable à la vente étant le taux de TVA de l'État du vendeur et non du consommateur- créant ainsi de graves distorsions de concurrence au détriment des vendeurs installés dans les autres Etats membres.
La Commission a, sur ces bases, décidé d'engager une procédure d'infraction pour manquement aux dispositions de la Directive TVA n°2006/112/CE du 28 novembre 2006, qui exclut l'application d'un taux réduit de TVA aux services fournis par voie électronique et notamment à la "fourniture d'images, de textes et d'informations" (Annexe II.3) c)). Estimant que les réponses apportées à ses lettres de mise en demeure n'étaient pas satisfaisantes, la Commission européenne a adressé, le 24 octobre 2012, un « avis motivé » à la France et au Luxembourg, constatant l'infraction consistant pour ces deux États à appliquer un taux de TVA réduit, qui, pour la France en 2013, sera de 5,5 %.
La France disposait d'un mois pour renoncer à appliquer ce taux réduit et revenir à un taux de 19,6 % pour le livre numérique, sous peine d'une possible procédure contentieuse. Pourtant, le nouveau taux de TVA de 5,5 % sur les livres numériques vendus en France est entré en vigueur le 1er janvier 2013. La Commission saisira-t-elle la Cour de Justice de l'Union européenne ?
Malgré la volonté affichée de la Commission, gardienne des Traités, de faire respecter par les États membres les règles qu'ils ont votées à l'unanimité, celle-ci reconnaît qu'il existe une différence de traitement fiscal entre livres papier et livres numériques et a ouvert un débat sur ce sujet avec les États membres.
Le livre numérique, un livre pas comme les autres ?
La Directive TVA et son Règlement d'exécution excluent de la catégorie des taux réduits les « contenu[s] numérisé[s] de livres et autres publications électroniques » (Annexe I, article 3.c) du Règlement), qui font partie d'un ensemble de « services fournis par voie électronique » ne pouvant faire l'objet d'un taux réduit de TVA.
Comment un "contenu numérisé de livre" s'est-il transformé en service? La réponse est dans le nom : le livre numérique est un service parce qu'ilestfourni par voie électronique. Frappé de mutation fiscale par dématérialisation, le livre numérique n'est plus un bien culturel mais un "contenu numérisé". Trahi par son support.
Ainsi, la réglementation européenne s'attache avant tout au support : les services fournis par voie électronique sont définis par le Règlement d'exécution de la Directive TVA comme « les services fournis sur l'internet ou sur un réseau électronique et dont la nature rend la prestation largement automatisée, accompagnée d'une intervention humaine minimale, et impossible à assurer en l'absence de technologie de l'information » (article 7.2.f)).
Pourtant, ne sont-ce pas là de simples contingences techniques étrangères au fondement de l'exception culturelle dont bénéficie le livre papier ? Dans le cadre de la mise en place de taux réduits, est-il pertinent de prendre en compte le support du produit/service au détriment de la finalité de son régime fiscal ?
Le livre, sur support papier ou sur support numérique, est avant tout un livre, qui, comme le rappelle le Ministère français des Finances, « a pour objet la reproduction et la représentation d'une œuvre de l'esprit créée par un ou plusieurs auteurs, constituée d'éléments graphiques (textes, illustrations, dessins…) publiée sous un titre ». Le Ministère ajoute : « Le livre numérique ne diffère du livre imprimé que par quelques éléments nécessaires inhérents à son format ».
La prise en compte du support d'un bien culturel afin de déterminer si celui-ci nécessite un coup de pouce fiscal frappe par son incohérence. Le livre, tout numérique qu'il soit, reste un contenu à vocation culturelle, à l'instar son homologue papier. Son exclusion de l'exception culturelle est infondée et la Commission elle-même en est consciente. Fera-t-elle pourtant payer à la France le prix de sa politique culturelle ?
Le principe de neutralité fiscale au secours de l'exception culturelle
À marchandise semblable, taxe semblable. Le principe de neutralité fiscale posé par la Directive européenne 67/227/CE du 11 avril 1967, « s'oppose notamment à ce que des marchandises semblables, qui se trouvent donc en concurrence les unes avec les autres, soient traitées de manière différente du point de vue de la TVA ».
Par conséquent, « le principe de neutralité fiscale doit être interprété en ce sens qu'une différence de traitement au regard de la TVA de deux prestations de services identiques ou semblables du point de vue du consommateur et satisfaisant aux mêmes besoins de celui-ci, suffit à établir une violation de principe », selon la Cour de Justice de l'Union européenne.
On le voit bien, la pratique fiscale ne s'embarrasse pas de contingences techniques. La Cour prend en compte les besoins du consommateur, autrement dit la finalité de la prestation de service et de son régime fiscal éventuellement dérogatoire. Du point de vue du consommateur, un livre électronique et un livre papier remplissent principalement le même office. Leur objet est identique et leur contenu est similaire, seul le support change. Les mêmes livres sont d'ailleurs édités en versions papier et électronique, avec des différences minimes « nécessaires inhérent[e]s à [leur] format ».
La France, en alignant le taux de TVA sur le livre numérique, n'a fait que se conformer à la jurisprudence européenne. En maintenant deux taux différents, elle aurait persévéré dans sa violation du principe de neutralité fiscale qui trouve une déclinaison forte dans le principe de neutralité technologique, que certains définissent comme le devoir de traiter de manière similaire les activités économiques ou culturelles sans considération de la technologie qui en est le support.
Ajoutons que la Commission européenne, déchirée entre son rôle de gendarme garant de la bonne application des Traités et du droit dérivé et son rôle d'initiateur des lois, a engagé un débat afin de réviser, notamment, la structure des taux de TVA. Dans une communication du 6 décembre 2011, la Commission annonçait précisément les principes directeurs de cette révision, en particulier : « Des biens et des services similaires devraient être soumis au même taux de TVA et le progrès technologique devrait être pris en considération à cet égard, de façon à ce que l'on puisse répondre au défi consistant à assurer la convergence entre les supports physiques et électroniques ».
La Commission paraît vouloir aligner les taux de TVA sur les livres papier et numériques. Soit. Mais à quel taux ? Cette réforme en gestation confortera-t-elle le droit des États membres à mettre en œuvre des politiques culturelles qualifiées « d'exception » par rapport au libre jeu des rapports de force économiques, ou au contraire en sonnera-t-elle le glas ?
Quand la diversité de la production littéraire dépend d'arbitrages entre le droit de la concurrence et le droit fiscal, aucun oracle ne saurait prédire ce qui fera la différence en faveur d'une politique culturelle. Seule la volonté d'une telle politique compte.
Par Ariane Samson-Divisia
Contact : ariane.samson-divisia@klgates.com
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