C'était l'une des questions brûlantes de la conférence de presse qui présentait l'édition 2013 du Salon du livre de Paris : où est donc passée la firme Amazon, qui avait tant fait parler d'elle l'an passé ? Pour la première fois dans la vie de la société américaine, le Salon du livre de Paris, en 2012, avait vu l'apparition d'un stand de 80 m2 : jamais sur un salon du livre dans le monde on n'avait encore assisté à cela...
Bertrand Morisset, commissaire général du Salon du livre, au centre Vincent Montagne, PDG de Média Participation et président du SNE, et Christine de Mazières, secrétaire générale du SNE
Bertrand Morisset, commissaire général du Salon du livre rappelait, durant la conférence de presse, que l'an passé, Amazon n'était venu qu'avec le Kindle dans les mains, « dans une démarche de commercialisation, mais avant tout, pour regarder comment l'utilisateur final - en marketing, on appelle ça le destructeur final -, prenait en main le device et l'utilisait ». Une présence qui relevait alors plus de l'expérimentation et du contact direct avec le consommateur que d'une volonté marchande.
Le Salon du livre, « c'est aussi une présence d'image, de rencontre. Ils étaient ravis, enchantés, et ils nous avaient quasi confirmé qu'ils revenaient. Mais il ne vous a pas échappé qu'au niveau européen, cette société actuellement vit quelques turbulences ». Il est vrai que récemment, un reportage diffusé sur une chaîne allemande, présentant en caméra cachée les conditions dans lesquelles travaillent les salariés, et surtout, l'encadrement assuré par une société de sécurité, ont mis le feu aux poudres.
La chancelière, Angela Merkel, avait en personne demandé une enquête à Amazon, pour obtenir des détails sur cette intolérable situation, et les traitements réservés aux personnes.
Ainsi, pour ce qui est de la présence d'Amazon en 2013, le commissaire général est prudent sur les termes : « Je crois savoir qu'ils souhaitent faire l'impasse d'une présence en Europe, en tout cas à Paris, c'est sûr, ils n'y seront pas, et on le regrette. »
Ni la direction France ni celle d'Europe n'ont choisi
Pour Vincent Montagne, président du Syndicat national de l'édition, cette absence est d'autant plus préjudiciable qu'Amazon « n'est pas simplement un opérateur dans le monde numérique, mais c'est surtout un libraire ». Il explique avoir, au titre de président du SNE, et par conséquent, du Salon du livre, puisque la manifestation est coorganisée par Reed Expo et le SNE, écrit au président d'Amazon France, « voilà une semaine, pour regretter qu'il ne vienne pas. C'est aussi en habituant les différents acteurs, les éditeurs, à votre présence que vous vous ferez accepter d'eux de plus en plus. »
Et de parler d'une erreur, bien entendu, et d'un choix, que déplorait d'ailleurs le président d'Amazon France, Romain Voog, lui-même ne serait pas à l'origine de cette décision. « C'est une décision qui n'a pas été prise par la direction France, ni la direction Europe », souligne le commissaire général, ajoutant, avec un sourire : « Il existe des Américains timides. »
Les possibilités, dans ce cas, ne sont pas nombreuses, et ActuaLitté avait déjà annoncé l'absence d'Amazon, voilà quinze jours, en révélant que ce refus émanait directement de la direction de Seattle - probablement pas de Jeff Bezos en personne cela dit. En effet, si Amazon souffre de problèmes d'images, le reportage de la chaîne allemande n'est peut-être qu'une goutte d'eau ayant fait déborder le vase. Car la décision que de ne pas venir au Salon du livre avait été prise bien longtemps avant cette affaire.
L'affaire Virgin, un prétexte ?
Et à l'origine, nos sources nous confirmaient, le 12 février dernier, que c'est bien une intervention de la ministre de la Culture qui aurait mis le feu aux poudres. À la rue de Valois, on n'a pas souhaité commenter ce fait. Pourtant, tout est bien parti d'une intervention d'Aurélie Filippetti sur iTélé, où elle avait déclaré que la concurrence déloyale de distributeurs américains comme Amazon, avait participé à la chute de Virgin.
Un message qui n'était pas du tout passé chez Amazon US, au point de décider que la sanction serait nette : pas de présence au Salon du livre de Paris. En mettant en relation la faillite de Virgin, et tenant Amazon pour responsable, la ministre avait probablement eu un propos malheureux... resté en travers de la gorge de l'Américain. Maintenant, la réalité des problèmes d'image d'Amazon ne peut pas être contestée en Europe.
Toutefois, il faut comprendre un peu mieux la situation pour Amazon : venir au Salon était la meilleure occasion de prendre des coups, et il semble bien que l'intervention d'Aurélie Filippetti ait fouirni un joli prétexte pour ne pas s'y rendre. Se retrouvant dans une position tellement diabolisée - que ce soit à tort ou à raison - l'intelligence d'Amazon est finalement d'avoir su refuser le Salon, tout en faisant parler de cette absence.
Si l'an passé, la présence d'Amazon représentait un atout, la force de frappe du cybermarchand, aujourd'hui en contact direct et permanent avec le grand public, n'avait probablement pas besoin d'un supplément Salon du livre...
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Par Nicolas Gary
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