Quand on fait un peu d'archéologie sur le Net, on retrouve parfois des documents intéressants, dont le propos, de prime abord, peut sembler anodin. Ainsi la directive européenne 2011/83/UE, qui porte sur le droit des consommateurs, vise à modifier une autre directive, la 93/13/CEE. C'est une modification en substance du droit des consommateurs que la directive implique, et que les Etats devront transposer avant la fin de l'année. D'ailleurs, Benoît Hamon doit présenter le 2 mai prochain son projet de loi.
fdecomite, (CC BY 2.0)
La directive porte sur la vente en ligne, cherchant l'harmonisation européenne sur les conditions d'achat. Ainsi, un consommateur de l'UE achetant un bien sur Internet pourra faire valoir son droit de rétractation, sans justification, pendant 14 jours après son achat. Au terme de cette période, le commerçant en ligne devra rembourser le client, et ce dernier disposera d'une période de 14 jours supplémentaires pour renvoyer le produit acheté.
14 jours + 14 jours = 12 mois tout de même
Ainsi, c'est une modification du Code de la Consommation, article L121-20 que va apporter la directive. Mieux : elle introduit une notion supplémentaire. Si le vendeur en ligne n'a pas correctement affiché dans ses conditions générales de ventes les mentions de la directive, le délai de rétractation passera à 12 mois, avant que n'intervienne une prescription.
Dans la loi française, le texte précise que
Le consommateur dispose d'un délai de sept jours francs pour exercer son droit de rétractation sans avoir à justifier de motifs ni à payer de pénalités, à l'exception, le cas échéant, des frais de retour. Le consommateur peut déroger à ce délai au cas où il ne pourrait se déplacer et où simultanément il aurait besoin de faire appel à une prestation immédiate et nécessaire à ses conditions d'existence. Dans ce cas, il continuerait à exercer son droit de rétractation sans avoir à justifier de motifs ni à payer de pénalités.
Ainsi, la directive européenne favoriserait le consommateur, avec un délai plus important, se présentant cependant comme plus contraignante pour le marchand, avec une certaine insécurité quant à sa trésorerie. Elle propose toutefois plusieurs exceptions :
oLes cd, dvd, logiciels vendus scellés
oLes journaux, magazines, et périodiques
oLes produits numériques
Bien entendu, on ne manquera pas de remarquer un grand absent dans cette liste : le livre. Cependant, la législation française introduit elle-même plusieurs exceptions, données dans L121-20-2, et d'où le livre est également absent. Dans ce contexte, les ouvrages imprimés - et les partitions musicales - sont concernés comme d'autres, par ce délai de rétractation.
Le droit de rétractation ne peut être exercé, sauf si les parties en sont convenues autrement, pour les contrats :
1° De fourniture de services dont l'exécution a commencé, avec l'accord du consommateur, avant la fin du délai de sept jours francs ;
2° De fourniture de biens ou de services dont le prix est fonction de fluctuations des taux du marché financier ;
3° De fourniture de biens confectionnés selon les spécifications du consommateur ou nettement personnalisés ou qui, du fait de leur nature, ne peuvent être réexpédiés ou sont susceptibles de se détériorer ou de se périmer rapidement ;
4° De fourniture d'enregistrements audio ou vidéo ou de logiciels informatiques lorsqu'ils ont été descellés par le consommateur ;
5° De fourniture de journaux, de périodiques ou de magazines ;
6° De service de paris ou de loteries autorisés.
Le livre numérique exclu, pas le livre papier ?
Conformément à l'actuelle législation, les produits numériques sont explicitement exclus de la directive, qui explique :
Par contenu numérique, on entend les données qui sont produites et fournies sous une forme numérique, comme les programmes informatiques, les applications, les jeux, la musique, les vidéos ou les textes, que l'accès à ces données ait lieu au moyen du téléchargement ou du streaming, depuis un support matériel ou par tout autre moyen.
De même, et dans une certaine mesure, un ouvrage en Impression à la Demande pourrait ne pas être concerné par le champ d'application de la directive :
Le droit de rétractation ne devrait pas s'appliquer aux biens fabriqués sur demande précise du consommateur ou qui sont manifestement personnalisés, tels que des rideaux sur mesure, ni à la livraison de carburant, par exemple, qui est un bien qui, par nature, ne peut être dissocié, une fois livré, des autres éléments auxquels il a été mélangé. Mais là, il faudra que le législateur définisse clairement le champ d'application.
Dans le commerce des librairies physiques, cette directive n'a aucun pouvoir, puisque l'article L121-20 ne touche que la vente en ligne, considérée comme une forme de démarchage. À ce titre, il semble difficile de croire que les libraires de brique et de mortier soient inquiétés.
La question des partitions musicales
Cependant, la directive, et sa mise en application soulèvent des interrogations chez les éditeurs de partitions musicales principalement. François Dhalmann, des éditions Dhalmann, tire la sonnette d'alarme : « Nous avions déjà connu le fléau de la photocopie, alors que dans notre secteur, ces machines sont devenues des pousse au crime. Il est tout à fait naturel de photocopier abusivement des partitions musicales. Alors avec une directive de ce genre, comment ne pas redouter le pire : le client dispose de quatorze jours pour se rétracter et de quatorze autres pour renvoyer son produit. C'est amplement suffisant pour photocopier, numériser, diffuser, et le tout en étant assuré d'un remboursement. »
Stéphane Moussie, (CC BY 2.0)
Pierre Lemoine, président de la Chambre syndicale des éditeurs de Musique de France (CEMF), abonde : « Pour une partition vendue, nous avons vingt photocopies. Une mesure qui exclut du champ des exceptions le livre ou la musique est nécessairement préoccupante. » Aujourd'hui, le président assure n'avoir pas connaissance d'un piratage industriel, réalisé par une seule personne, qui numériserait des millions de pages. « Mais il faut prendre conscience qu'en quelques pages, il est possible d'avoir l'intégralité d'une oeuvre », ajoute M. Lemoine.
Pour les partitions musicales, le véritable risque viendrait plutôt de ce que des millions de personnes peuvent numériser une page, et mettre en commun le produit de cette numérisation - ou des photocopies. « En outre, il y a un flou : si les produits numériques sont exclus, la musique connaît une véritable spécificité. Certaines partitions sont vendues par téléchargement, avec la possibilité d'imprimer : le client achète en réalité un droit d'impression, donc la matérialisation d'un fichier qu'il n'a même pas besoin de télécharger. Qu'en serait-il au travers de cette directive ? »
28 jours pour être remboursé, un outil marketing !
Avec une vision plus large, d'autres éléments se font jour : que se passera-t-il quand les marchands en ligne pourront communiquer sur le droit de rétractation ? Il est simple d'imaginer que la directive puisse servir d'argument marketing, sous la forme ‘Acheter votre livre, vous avez 28 jours pour le renvoyer, contre remboursement'. « Dans ces conditions, il est facile de considérer qu'un acteur qui phagocyte actuellement le marché ferait porter les frais de ces retours sur les éditeurs, que ce soit dans la musique ou dans le livre », souligne M. Lemoine.
« Alors que les frais de port sont offerts pour le livre, chez la plupart des acteurs, le retour pourrait également être offert, et il reviendrait à l'éditeur de payer le manque à gagner, bien entendu. Nous ne pourrions pas assumer d'un côté la directive, et de l'autre le manque à gagner. », nous précise un libraire en ligne. Il nous précise néanmoins qu'aujourd'hui, les retours de livres sont assez peu nombreux, pour ne pas être inquiétants. « Cela dit, transformer la directive en argument de vente, oui, pourquoi pas ? »
Ce qui ne manquera pas de susciter d'autres interrogations, c'est que cette vente en ligne de biens physiques servirait sans peine au développement de solutions de lecture numérique. Alors que le livre numérique est, ipso facto, exclu de la directive, tout marchand aurait intérêt, pour protéger sa trésorerie, à valoriser son offre numérique. « Déjà qu'Amazon ne fait que prendre en dépôt les ouvrages vendus, dans le cas de petits éditeurs, c'en serait doublement fini... »
Sans même penser à ce que le consommateur trouverait dans cette solution un moyen de lire sans limites : pour un livre acheté, et qui serait renvoyé au terme de 28 jours, il est facile de s'offrir des lectures sans fin...
1 Commentaire
Philip
29/06/2022 à 00:56
Totalement fou d'offrir 28 jours pour le remboursement d'un livre numérique. Dans le cas d'un petit roman ou conte pour enfant et pire à la bande dessinée qui peut se lire en un soir.
Ridicule aucun sens @