Nous avons pu nous entretenir en détail avec Christian Roblin, directeur de la Sofia, à propos du registre ReLIRE. L'occasion d'obtenir quelques éclaircissements sur le fonctionnement de ce projet qui suscite des inquiétudes chez de nombreux auteurs. Dans la mesure où la Sofia va y jouer un rôle important, il a semblé indispensable d'évoquer avec le directeur les nombreux points qui font la polémique dans ce dossier...
Le 15/05/2013 à 16:14 par Xavier S. Thomann
Publié le :
15/05/2013 à 16:14
Capture d'écran du site internet de la Sofia
M. Roblin a d'abord tenu à souligner l'effort entrepris ces temps-ci pour mener une communication efficace auprès de l'ensemble des personnes concernées par ReLIRE, les auteurs comme les éditeurs. Nombreux sont ceux qui ont pointé du doigt une communication tardive sur le sujet. Pour le directeur de la Sofia, le projet n'en est qu'à ses « tout débuts », ce qui laisse amplement le temps de déployer l'information utile, aussi bien dans sa forme générale (à travers la presse) qu'à destination de publics spécifiques (courriels aux auteurs, par exemple). « Il n'est pas trop tard, il y a bien une information qui passe », ReLIRE étant encore en « phase de démarrage. »
Pourquoi ne pas avoir communiqué plus tôt, il y a un an, par exemple ? La loi, en effet, date de mars 2012. Mais, comme le décret, lui, est beaucoup plus récent (au 1er mars 2013), la Sofia déclare qu'il n'y avait pas lieu de communiquer, dans la mesure où, « sans le décret,la loi n'avait pas d'implications concrètes. »
S'ajoute à cela le fait que la Sofia n'est pas le seul organisme responsable : d'autres campagnes de communication seront menées par les autres responsables. Les autres sociétés d'auteurs (la SCAM ou la SGDL, par exemple) entreprennent de leur côté une sensibilisation auprès de leurs membres.
À ce titre, il est bon de rappeler les grandes échéances de ReLIRE. La liste définitive de la première vague de numérisation devrait être connue aux alentours du 21 septembre, pour une numérisation effective probablement dans les douze mois à suivre, soit « une disponibilité à peu près complète vers octobre 2014 ». De ce point de vue, il reste encore du temps aux auteurs qui le souhaiteraient pour s'opposer à la numérisation de leurs livres.
Informer l'ensemble des acteurs
La Sofia assure, par ailleurs, fournir les meilleurs efforts auprès des pouvoirs publics, avec ses confrères et la BnF, « pour que tout le monde soit informé en temps utile ». Une communication rendue, toutefois, plus complexe en raison de cas particuliers, notamment les livres de la collaboration pour lesquels les données bibliographiques ne recensent pas nécessairement l'ensemble des auteurs ou les ouvrages sous pseudonymes, pas toujours faciles à rapprocher du nom patronymique.
Toujours est-il que « de vastes campagnes sont entreprises pour alerter le plus grand nombre de l'existence de ce nouveau dispositif » explique M. Roblin. « Si certains peuvent échapper à cette information, c'est, soit en raison de leur grand isolement qui les rend particulièrement difficiles à joindre ou, quand les auteurs sont décédés, la méconnaissance que peuvent avoir leurs ayants droit des publications en cause. » Du reste, ce problème est d'une ampleur relative. 85 % des livres de la première liste renvoient à un seul auteur et à un seul éditeur.
De plus, sur le succès à long terme du registre, le directeur de la Sofia se veut optimiste et rejette le qualificatif péjoratif « d'usine à gaz », employé par certains pour désigner ReLIRE. Il met en avant l'expertise de la Sofia dans le domaine de la rémunération des auteurs. « Nous reversons déjà à 56,000 auteurs par an », rappelle-t-il.
« Or ce procès d'usine à gaz a déjà été intenté, en son temps, aux mécanismes du droit de prêt. Que n'a-t-on pas entendu ? Puis, très vite, les choses se sont mises à tourner normalement, parce que les bonnes solutions ont été mises en place. La Sofia traite, chaque année, 8 millions de lignes de factures concernant 400.000 titres, rien que pour le droit de prêt. Le système fait, désormais, partie du paysage et plus personne n'en parle. Alors, gardons la tête froide ! » recommande Chrisstian Roblin.
En revanche, qu'implique la numérisation des livres indisponibles ? Que doit faire un auteur qui souhaite s'y opposer ? Quelles sont les solutions mises à sa disposition ? Voilà quelques-unes des questions qui ont récemment surgi.
« L'auteur conserve ses droits »
L'auteur peut s'opposer dans les six mois de la publication de la liste. On lui demande seulement de prouver son identité (copie de la carte d'identité), sans avoir à se justifier, simplement pour éviter les impostures. C'est une mesure de protection des droits qu'a le créateur sur son œuvre.
« D'ailleurs, précise Christian Roblin, l'auteur conserve ses droits. La loi, pour les livres intéressés, ne fait qu'en confier l'exercice à la société de perception et de répartition de droits agréée, et ce, pour la raison évidente qu'un projet patrimonial aussi ambitieux qui vise à couvrir 500 000 livres ne peut fonctionner sur la base de déclarations volontaires erratiques. Le système deviendrait vite chaotique, incohérent et techniquement ingérable. Au lieu de quoi, la volonté de rendre tout ce patrimoine accessible, qui constitue un trésor de la langue, de la pensée et de la sensibilité, se concilie en permanence avec le respect des droits des auteurs sur leurs œuvres. »
Même après les six premiers mois, ils peuvent se retirer du dispositif s'ils jugent que cette réédition numérique leur porte préjudice. Il leur suffit de le signaler à la Sofia et le livre sera « rapidement retiré », même s'il est déjà exploité par le biais des licences. « En aucun cas, la Sofia n'est appelée à formuler d'appréciation sur les motifs de l'auteur. Elle vérifie son identité ou celle de ses ayants droit et prend acte de leur décision, c'est tout », tient à pointer le directeur de la Sofia.
La question des licences exclusives et non-exclusives
Au sujet des licences, la Sofia va contacter les éditeurs d'origine disposant des droits d'édition pour leur « demander s'ils souhaitent une licence exclusive » afin d'exploiter eux-mêmes leurs ouvrages qui se trouvent sur la liste. Cette licence exclusive entraîne une obligation d'exploiter le livre dans un délai maximum de trois ans, « au-delà duquel l'éditeur d'origine perd son droit d'exclusivité. »
Supposons que l'éditeur accepte. L'exploitation pourra avoir lieu dès la numérisation achevée par ses soins ou par la société en cours de création et qui a vocation à procéder à cette opération. À partir de ce moment-là, les éditeurs d'origine devront rendre compte à la Sofia. « Ils verseront des droits en fonction de l'exploitation du livre », nous explique-t-on ; ensuite, la Sofia reversera les droits aux auteurs.
Dans le cas des licences non exclusives, c'est-à-dire le cas où l'éditeur d'origine n'a pas souhaité exploiter le livre, les droits seront partagés, la moitié pour l'éditeur d'origine et l'autre moitié pour l'auteur. « Bien entendu, quand l'auteur a repris ses droits, c'est à lui que revient l'intégralité de la rémunération.»
Toutefois, pour le moment, « il n'est pas encore possible d'articuler des chiffres relatifs aux droits à percevoir et à répartir.» Des consultations doivent avoir lieu entre les différents protagonistes, éditeurs, auteurs, sociétés de gestion collectives intéressées, afin de déterminer les conditions et les bases économiques des exploitations à venir. Le Comité des Licences de la Sofia vient de se mettre en place à cette fin.
Comment sortir du dispositif ReLIRE?
Examinons enfin une dernière hypothèse, celle où l'auteur voudrait exploiter lui-même son livre au format numérique, en sortant du dispositif. Il faut alors qu'au préalable il ait repris l'ensemble de ses droits auprès de son éditeur. Quand c'est l'éditeur qui veut sortir du dispositif, il est tenu d'exploiter en passant un accord contractuel avec l'auteur.
Dans le cas où c'est l'auteur qui entend sortir du dispositif, aucune de ces obligations ne pèse sur lui, il est libre de passer tout accord, quand il le veut, avec un éditeur. Il peut mettre en ligne son tapuscrit à titre payant ou gratuit, en fonction des modalités qu'il choisira. Selon l'expression de Christian Roblin, « il est rendu à la vie contractuelle normale ».
Quant aux différentes contestations relayées par la presse (et en particulier le Recours pour Excès de Pouvoir déposé par le droit du Serf), M. Roblin, même s'il se dit « surpris » par certains arguments, estime que « tout cela fait partie du débat public et [que] les recours contentieux sont des voies de droit dans un État démocratique. » De plus, cela permet au projet d'être mieux connu des auteurs et de nos concitoyens. Dans tout contexte nouveau, il y a des « préoccupations légitimes ».
Mais au juste, qui va numériser ces livres ? La société n'est pas encore connue. Le directeur de la Sofia pense « qu'il serait harmonieux que la plupart des éditeurs de se concertent avec cette société», que l'on désigne pour le moment sous le nom de «Société de Projet». Toutefois, il s'agit de la passation de contrats privés, car « il n'y a pas de contrainte légale, à cet égard ». Cette société aura, au-delà de la numérisation des livres, « une vraie vocation de diffusion voire d'exploitation.»
Elle passera aussi, nous explique-t-on, des accords avec les bibliothèques publiques. Globalement, elle sera rémunérée sur le chiffre d'affaires. D'une façon plus générale, le projet ReLIRE aspire à devenir « un vaste fonds éditorial, servant au développement global du livre numérique.»
Par Xavier S. Thomann
Contact : xt@actualitte.com
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