Durant une réunion du groupe Sciences économiques et sociales du SNE, datée du 27 mai 2010, voilà que l'on en découvre un peu plus sur le projet de numérisation des oeuvres indisponibles. Sauf qu'à cette époque, indisponibles s'appelle épuisées, et que l'on s'amuse avec des outils politiques pour parvenir à ses fins. Au cours de la réunion, le tout premier sujet abordé est celui des oeuvres orhelines et épuisées. Retour sur un aveu, de premier ordre.
Le 20/06/2013 à 10:59 par Nicolas Gary
Publié le :
20/06/2013 à 10:59
lungstruck, CC BY 2.0
Dans un précédent épisode, nous avions pu montrer l'évolution au Ministère de la Culture : la Direction générale des Médias et des industries culturelles, ou DGMIC, avait confidentiellement communiqué au SNE deux propositions liminaires pour puiser dans les ressources du Grand Emprunt et mettre en place une numérisation des oeuvres épuisées. Pour mémoire, voici les deux offres :
1. gestion collective obligatoire des œuvres épuisées, numérisation de ces livres par la BNF, avec droit de retrait des ayants droit, mise à disposition des œuvres de manière non exclusive sur la future plateforme, rémunération des ayants droit et éventuel paiement par l'internaute.
2. Gestion collective obligatoire de toute la production du XXe siècle antérieure à 1995, avec exclusivité d'exploitation numérique par les éditeurs détenant les droits d'exploitation « papier », droit de retrait des ayants droit, subventions pour la numérisation à hauteur de 50 % ou prêts à hauteur de 100 %.
En cas de non-exploitation numérique de ces œuvres par l'éditeur par exemple au bout de deux ans : cession de licences non exclusives d'exploitation numérique à d'autres opérateurs, numérisation des livres par la BNF et mise à disposition de manière non exclusive sur la future plateforme, rémunération des ayants droit et éventuel paiement par l'internaute.
C'était en février 2010, et l'on sait qu'au sein de la DGMIC, se trouve le service du livre et de la lecture. Ce dernier est dirigé par Nicolas Georges, également directeur adjoint de la DGMIC, et Hugues Ghenassia de Ferran occupe le poste de sous-directeur. Ce qui, quelques semaines plus tard, quand le groupe Droit, sciences économiques et sociales du SNE se réunit, va avoir beaucoup d'importance.
L'utilisation des fonds du Grand emprunt pour
financer la numérisation du patrimoine par la BNF,
un sujet qui passionnait le SNE et le ministère de la Culture
D'abord, il faut souligner que les propositions formulées par la DGMIC étaient bien confidentiellement présentées au SNE - c'est le compte-rendu qui le précise. Ensuite, que les différents groupes ne communiquent pas forcément les uns avec les autres, et qu'au cours de la réunion, le président Renaud Lefebvre fait un point avec ses membres, sur les dernières discussions en cours. Et tout particulièrement, sur les oeuvres orphelines et épuisées. (les passages sont en gras dans le document du SNE)
Renaud Lefebvre informe le groupe que des discussions ont été lancées au SNE et avec le Ministère de la Culture sur les solutions à apporter aux questions des oeuvres orphelines et épuisées dans la perspective de l'utilisation des fonds du Grand emprunt pour financer la numérisation du patrimoine par la BNF.
Rien de très étonnant, c'était donc le fond de l'échange lors de la réunion de février 2010.Et le président d'ajouter :
Les oeuvres orphelines recouvrent les oeuvres qui ne sont pas encore tombées dans le domaine public, mais dont les ayants droit ne peuvent être identifiés et contactés en dépit de recherches avérées et sérieuses, pour lesquelles la première étape sera l'utilisation du système ARROW.
ARROW est un projet européen qui vise à permettre d'identifier plus facilement les ayants droit et le statut d'une œuvre (domaine public, sous droit, épuisée, orpheline) grâce à une recherche dans le pays de publication, à travers les différentes bases de données européennes bibliographiques et d'ayants droit (pour la France : bases Electre et du CFC pour le projet pilote).
Dans le secteur de l'écrit, ces oeuvres devraient faire l'objet d'une gestion collective obligatoire instaurée par la loi.
Puis vient alors la question des oeuvres épuisées. Entre février et mai 2010, les réflexions ont avancé, et si nous avons volontairement fait un tel bond dans le temps, nous reviendrons par la suite sur d'autres rendez-vous. Mais étant donné le groupe en question, il ne manquait pas d'ironie de découvrir comment le SNE s'est emparé de la question. En effet, il est proposé :
de se baser sur une définition commerciale et non juridique : les oeuvres non exploitées commercialement quel que soit le support (papier, numérique, audio) et la forme (grand format, poche, impression à la demande) au sens du Fichier exhaustif du Livre (arrêt définitif de commercialisation) et selon les recommandations et le processus qui seront mis en place par ARROW.
Juridiquement, ou commercialement, on balançait peu. Rappelons qu'en recevant le collectif du droit du Serf, en mai 2012, le Service du livre et de la lecture du ministère de la Culture, alors que la loi sur la numérisation des oeuvres indisponibles était déjà votée, avait répondu : « Il [...] a été objecté que ‘indisponible' ne signifie pas ‘épuisé'. »
Daehyun Park, CC BY 2.0
Mais c'est encore une fois le meilleur que l'on conserve pour la fin. On évoque bien entendu la gestion collective obligatoire pour verser aux ayants droit la rémunération qui leur reviendrait. Avec en plus :
L'éditeur garderait cependant la possibilité de les exploiter, soit grâce à un « opt out » en amont, soit dans le cadre d'un mécanisme leur accordant la présomption des droits numériques avec en contrepartie le remboursement des frais de la numérisation aux pouvoirs publics.
Si ni l'éditeur, ni un opérateur tiers n'est intéressé pour les exploiter, la BNF pourra alors les numériser et proposer leur feuilletage avec mise à disposition d'extraits.
En juin 2012, à l'occasion d'une réunion organisée à la SGDL par l'Association Française pour la Protection Internationale du Droit d'Auteur, Nicolas Georges était intervenu sur cette question de l'opt-out.
L'aspect le plus décrié de la loi est d'abord cette période de 6 mois pendant laquelle un auteur pourra s'opposer à la numérisation d'une de ses oeuvres jugée « indisponible », c'est-à-dire qui n'est plus commercialisée. 6 mois, le temps pour l'auteur de choisir l'opt-out, c'est-à-dire un retrait de son titre de la base de données, une sortie qui n'est possible qu'a posteriori de la numérisation. « C'est à l'auteur de surveiller la base de données, personne ne le préviendra. Nicolas Georges promet de la "publicité" autour de l'opt-out auprès des auteurs, mais ça n'a même pas l'air encore bien défini ». (voir notre actualitté)
On sait que cette publicité est arrivée, très tardivement, sur quelques sites internet plus ou moins bien ciblés, mais surtout, que c'est cette seule publicité qui aurait pu justifier l'opt-out. A condition toutefois qu'elle ait commencé bien avant et pas après que la loi puis son décret d'application aient été validés.
L'exploitation des oeuvres autorisée avec un « opt out » en amont,
ou dans le cadre d'un mécanisme leur accordant la présomption
des droits numériques avec remboursement de la numérisation
Quant au remboursement aux pouvoirs publics des frais de la numérisation, l'idée est intéressante et il serait intéressant de savoir comment aujourd'hui ce point a été démélé. Parce qu'à cette heure, on reste encore dans un flou artistique complet. Mais qu'est-ce que la BnF fera alors, si l'oeuvre n'est pas exploitée ? Finalement, l'Etat se mettrait à payer des numérisations à tire-larigot, qui n'aboutiraient qu'à un feuilletage en ligne ? Et faut-il penser que BnF Partenariats, déjà prompt à vendre des ouvrages du domaine public, aurait été pensé comme un outil permettant de vendre ces oeuvres ?
En outre, il faut bien prendre conscience de ce que signifie l'emploi du terme opt-out au SNE. Après des années de guerre contre Google Books, qui ont causé des frayeurs au Syndicat, l'emploi du terme n'est pas anodin. De plus, on s'interrogera sur ce que peut bien être la définition commerciale d'une oeuvre épuisée. Agnès Simon, dans un Mémoire d'étude, La renaissance numérique des oeuvres épuisées du XXe siècle, la pose ouvertement :
La définition de l'œuvre épuisée est un problème crucial. En effet, l'œuvre épuisée est d'abord une notion juridique, définie différemment dans les législations européennes. En général, si l'œuvre n'est pas exploitée, l'ayant-droit a la possibilité de recouvrer les droits d'exploitation. Mais il s'agit aussi d'une notion commerciale qui suscite de nombreuses questions : de quelle édition parle-t-on ? L'édition numérique d'une œuvre est-elle considérée comme une exploitation suivie ? Quels sont les degrés d'indisponibilité commerciale, avant que l'œuvre ne soit déclarée épuisée ?
C'est probablement pour cette raison que l'on a fini par basculer de la notion d'oeuvre épuisée, à celle d'oeuvres indisponibles...
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
Commenter cet article