Exclusif : Cette semaine, les sénateurs examineront, en première lecture, le projet de loi sur la consommation, que les députés ont déjà adopté. Ce dernier vise à légiférer notamment sur le principe d'action collective. À ce jour, seules les associations sont habilitées à porter ce type de procédure. Mais le texte contient également un très gros morceau pour l'industrie du livre : le médiateur tant attendu.
Le 09/09/2013 à 16:17 par Nicolas Gary
Publié le :
09/09/2013 à 16:17
En mars dernier, durant le Salon du livre, Aurélie Filippetti avait présenté plusieurs mesures aux professionnels : deux fonds de 5 et 4 millions € d'aide à la librairie, puis un encouragement au développement de solutions en ligne. Mais dans le domaine de la régulation, la ministre avait surtout promis la mise en place d'un médiateur, dont le rôle sera d'intervenir dans le cas de litiges, pour éviter à tout prix le passage devant la justice. Ce dernier doit être une autorité intermédiaire administrative indépendante et interviendra pour l'ensemble de la chaîne du livre, quel que soit le secteur.
En outre, la ministre doterait les agents de services de l'autorité nécessaire pour constater les infractions aux lois sur le prix unique du livre et du livre numérique. De la sorte, les agents de l'État pourront travailler de manière complémentaire avec le médiateur.
À l'occasion des Rencontres nationales de la librairie, à Bordeaux, la ministre était revenue sur le rôle du médiateur, « chargé de constater, en amont, les conflits entre les éditeurs, les libraires et les distributeurs, et qui pourra engager des poursuites plus rapidement en cas de non-respect des lois sur le commerce du livre ». Les stratégies de dumping, consistant en une baisse des prix jusqu'à obtenir un résultat négatif pour mieux conquérir des parts de marché, ou les retours excessifs des livres, feront aussi partie de ses attributions. « Le texte est prêt » et l'on donnait alors rendez-vous au premier trimestre 2014.
Travailler à la conciliation entre les professionnels
Eh bien, tout porte à croire que « la chasse a Amazon semble ouverte », commente une source parlementaire. Car dans le projet de loi à la consommation, destiné à « rééquilibrer les pouvoirs entre consommateurs et professionnels », on trouvera une très intéressante entrée, un amendement présenté par le gouvernement, qui s'introduirait après l'article 72.
Un amendement qui introduit tout simplement l'arrivée et le périmètre d'action du médiateur du livre, qui interviendra sur tout litige concernant la loi sur le prix unique du livre, numérique ou papier. Mais pas que : « Sans préjudice du droit des parties de saisir le juge, le médiateur du livre peut également être saisi des litiges opposant des éditeurs privés à un éditeur public au sujet de ses pratiques éditoriales. »
Tout professionnel du livre sera en mesure de saisir le médiateur, avec une grande marge de négociation : « Pour l'examen de chaque affaire, le médiateur du livre invite les parties à lui fournir toutes les informations qu'il estime nécessaires, sans que puisse lui être opposé le secret des affaires, et peut entendre toute personne dont l'audition lui paraît utile. » Son travail sera d'oeuvrer à la conciliation des deux parties, au terme de laquelle un procès verbal sera rédigé, définissant le cadre de l'accord et ses modalités d'action.
« Cette démarche de conciliation s'exerce dans le respect de la compétence de l'Autorité de la concurrence et du ministre chargé de l'économie. Lorsque les faits relevés par le médiateur du livre apparaissent constitutifs de pratiques anticoncurrentielles visées aux articles L. 420-1 et suivants du code de commerce, le médiateur du livre saisit l'Autorité de la concurrence ou le ministre chargé de l'économie », précise également le texte.
Trouver des créneaux législatifs
Toutefois, et dans l'hypothèse où le médiateur ne parviendrait pas à ses fins, il pourra saisir la juridiction idoine, pour que la situation litigieuse cesse. De même en cas de qualification pénale, il devra informer le ministère public. « Le médiateur du livre peut formuler des préconisations afin de faire évoluer les dispositions normatives relevant de son champ de compétences [... et] adresse chaque année un rapport sur ses activités au ministre chargé de la culture ». Il sera nommé par décret en Conseil d'État, pour définir « les conditions d'application des présentes dispositions, notamment les modalités de désignation du médiateur ».
Aurélie FIlippetti au Salon du livre de Paris
Crédit ActuaLitté CC BY SA 2.0
Contacté par ActuaLitté, le ministère de la Culture reconnaît qu'en raison de l'agenda parlementaire, « il est compliqué de trouver un créneau législatif ». Ainsi, sans pour autant chercher à accélérer le rythme pour la mise en place du médiateur, « c'est dans une certaine logique, et une certaine cohérence », qu'un amendement a été introduit dans le projet de loi Consommation. D'autre part, la question de l'assermentation des agents, qui n'est pas évoquée dans l'amendement « fait partie du même paquet législatif », et devrait être introduite prochainement.
Voici l'Objet dans son intégralité, concernant le rôle du médiateur :
Les spécificités économiques et culturelles de l'industrie du livre ont conduit les pouvoirs publics à mettre en place des mécanismes de régulation par le recours à des dispositifs législatifs (loi de 1981 relative au prix du livre, loi de 2011 relative au prix du livre numérique, etc.). Cependant, dans un contexte en profonde mutation, ces dispositifs législatifs ne suffisent pas toujours à garantir les équilibres économiques entre les différents acteurs de la chaîne du livre. En raison de rapports de force encore souvent déséquilibrés, les instances interprofessionnelles existantes peinent à arbitrer les conflits, le recours au juge étant par ailleurs envisagé avec une très grande prudence par les professionnels. Ce constat tend à démontrer l'utilité d'une autorité intermédiaire pouvant être saisie facilement et favorisant la conciliation des litiges.
Il est proposé de confier cette fonction à un médiateur du livre qui sera institué en tant qu'autorité administrative indépendante. La nécessité pour le secteur du livre de disposer d'une autorité forte, indépendante et capable de s'interposer face à des opérateurs puissants s'impose aujourd'hui.
La compétence du médiateur du livre est définie de manière précise et limitative : la conciliation des litiges portant sur l'application de la loi du 10 août 1981, de la loi du 26 mai 2011 ainsi que les différents portant sur l'activité éditoriale des éditeurs publics. S'agissant de cette dernière mission, le médiateur se substitue au médiateur de l'édition publique, sans personnalité juridique, qui avait été institué par circulaire le 9 décembre 1999.
Sa saisine est largement ouverte aux différentes catégories d'acteurs de la commercialisation du livre ainsi qu'à leurs organisations représentatives et au ministre chargé de la culture. Le texte prévoit également la possibilité d'une auto saisine par le médiateur.
Sauf lorsqu'il est saisi de litiges portant sur l'activité éditoriale des éditeurs publics, la saisine du médiateur est un préalable obligatoire à toute saisine du juge compétent, la partie défenderesse se trouvant de ce fait obligée de déférer à la demande de conciliation pré juridictionnelle.
Le rôle du médiateur est de deux ordres différents :
- tout d'abord l'organisation de la conciliation avec la réunion des parties. Son rôle est d'inciter les parties à trouver un accord dans des termes conformes à la loi. En cas d'accord, le procès-verbal établi par le médiateur sera soumis à la signature des parties.
- dans un deuxième temps, et en cas d'échec de la conciliation, le médiateur peut intervenir comme autorité régulatrice et adresser une recommandation aux parties. Elle aurait notamment pour objet de proposer aux parties une solution équitable au litige et conforme à la loi. Les parties à qui elle s'adresserait seraient libres de ne pas la suivre mais seraient toutefois tenues d'informer le médiateur des suites qu'elles envisageraient de lui donner. Ce pouvoir de recommandation devrait permettre au médiateur d'intervenir aussi au-delà de ce qui apparaîtrait illicite. On peut imaginer des situations qui, sans pouvoir être qualifiées de pratiques commerciales illicites, peuvent avoir des effets négatifs sur des équilibres de la filière du livre. La recommandation laisserait les opérateurs libres de ne pas modifier leur comportement, celui-ci n'étant par hypothèse pas illicite.
En cas d'échec de la conciliation et seulement s'il constate un manquement aux lois relatives au prix du livre, le médiateur a la capacité de saisir les juridictions compétentes. Le texte ne donne pas en revanche de pouvoir de décision au médiateur en cas d'échec de la conciliation.
Le médiateur n'aura pas à s'immiscer dans ce qui relève de la concertation professionnelle. Les réflexions sur les questions générales intéressant la profession incombent aux organisations syndicales et professionnelles (Syndicat national de l'édition, syndicat de la librairie française, etc.) dans le cadre des instances spécialement créées à cet effet (commission des usages commerciaux, commission de suivi du protocole d'accord, etc.).
La création du médiateur du livre ne doit pas apporter de restriction à ce qui doit relever de la liberté de négociation commerciale. A la différence d'autres autorités administratives, le médiateur du livre n'a pas le pouvoir de fixer par une décision administrative un des aspects de la relation commerciale (la remise au libraire par exemple).
Enfin, la conciliation doit s'exercer dans le respect de la compétence de l'Autorité de la concurrence. Si le médiateur a connaissance de faits qui lui paraissent constitutifs de pratiques anticoncurrentielles, le médiateur du livre doit alors saisir l'Autorité de la concurrence.
Le médiateur du livre peut par ailleurs établir des préconisations à l'attention des pouvoirs publics sur l'adaptation des textes en vigueur dans son champ de compétences.
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