Alors que les députés ont ce matin adopté une proposition de loi empêchant de cumuler la gratuité des frais de port et la remise de 5 % pratiquée sur les livres, les réactions des différents acteurs n'ont pas manqué. À l'Assemblée nationale, on n'était pourtant pas peu fiers d'avoir trouvé le consensus adéquat, au travers d'une loi visant à « encadrer les conditions de la vente à distance de livres ».
Le 03/10/2013 à 18:41 par Nicolas Gary
Publié le :
03/10/2013 à 18:41
Bien évidemment, la presse n'a pas tardé à baptiser cette législation, non sans raison, loi anti-Amazon, et la société américaine, citée par l'AFP n'a elle pas tardé à faire part de sa colère. « Toute mesure visant à augmenter le prix du livre pénaliserait d'abord le pouvoir d'achat des Français et créerait une discrimination pour le consommateur sur internet », explique-t-on dans un communiqué.
Et de souligner que cette adoption unanime, exactement comme le fut la loi Lang en 1981, qui instaurait la fixation du prix de vente des livres par les éditeurs, « risque également de ne pas être neutre sur la diversité culturelle ». Selon Amazon, la mesure aura un impact notamment sur les petites maisons d'édition : « Son impact sera le plus important à la fois sur le fond de catalogue et pour les petits éditeurs, pour qui internet peut représenter une large part de leur activité. »
On comprend qu'Amazon peste. Et peste deux fois. Selon nos informations, les lobbyistes d'Amazon auraient obtenu une audience auprès du premier ministre, Jean-Marc Ayrault, pour tenter de plaider leur cause - et notamment la question du cumul. Le premier ministre aurait renvoyé tout ce joli monde à ses études, évoquant le manque de transparence de la firme américaine sur le territoire français. Et tant que les représentants d'Amazon ne feraient pas d'effort sur ce point, pas question d'écouter ni requêtes, ni doléances.
Surtout que lors de l'examen de la loi Consommation, l'amendement du ministère de la Culture n'était pas passé, du fait de l'intervention d'Arnaud Montebourg, assez proche d'Amazon.
Aurélie Filippetti, bon petit soldat de la librairie
La ministre de la Culture, qui se trouvait dans l'hémicycle ce matin, a pour sa part salué, dans un communiqué, cette décision, comme l'une des « mesures attendues de son plan en faveur de la librairie ». Ce n'est pas tout à fait exact, puisque le plan en faveur de la librairie, tel qu'exposé au Salon du livre de Paris, ne contenait pas de mention à cette question du cumul de frais de port et des 5 %, mais il n'est jamais trop tard pour réécrire l'histoire. Ce n'est en effet qu'à l'occasion des Rencontres nationales de la librairie à Bordeaux que le sujet a enfin été évoqué. Et de souligner :
Ce vote s'ajoute aux mesures en faveur de la librairie indépendante que la ministre met en œuvre, en concertation avec les professionnels, depuis sa nomination en mai 2012 ; 18 M€ seront ainsi investis en faveur de la librairie en 2014, 11 M€ de fonds publics et 7 M€ en provenance des éditeurs. Ces sommes seront utilisées pour des mesures d'urgence comme le soutien à la trésorerie, mais aussi pour préparer l'avenir : permettre la transmission des commerces, former les libraires, les accompagner dans leur transition numérique.
En outre, la ministre tient à rappeler son action au sein de la loi Consommation, qui avait vu apparaître le Médiateur du livre ainsi que l'assermentation des agents de son ministère. Le premier aura pour mission de trouver des accords à l'amiable entre les acteurs du livre, en cas de conflit, lorsque les seconds seront habilités à constater les infractions commises contre la loi Lang et la loi sur le prix unique du livre numérique.
Nous avons par ailleurs reproduit, en fin d'article, le discours prononcé par Aurélie Filippetti lors des discussions sur le projet de loi visant la non-intégration des frais de livraison dans le prix de vente du livre.
Fin de la concurrence déloyale... vraiment ?
Or, parmi les autres réactions récoltées, le Syndicat de la librairie française, qui en 2008 avait perdu le procès intenté à Amazon, concernant la gratuité des frais de port, évoque « un dispositif équilibré qui va dans le bon sens. L'objectif n'est pas de réduire les ventes d'Amazon, mais qu'il n'y ait pas de concurrence déloyale ». Il serait intéressant que les différents acteurs impliqués dans ces questions cessent de pratiquer l'euphémisme à outrance, et parlent enfin de législation visant à empêcher toute forme de concurrence tarifaire. Mais sur ce point, il y a bien plus que des progrès législatifs à réaliser.
De son côté, la Fnac, première chaîne de magasins culturels en France, trouve que si la loi adoptée est une bonne avancée, elle ne résoudra en rien la distorsion de concurrence qui existe avec Amazon. Une position qui rejoint tout à fait celle de la députée Europe Écologie les Verts, Isabelle Attard, la seule qui ce matin, à l'Assemblée nationale, a tenté de faire prendre un peu de hauteur aux débats en évoquant la question de la fiscalité :
C'est ça le vrai pb ! IA @ActuaLitte: "ce que le client gagne en frais de port, il le perd en impôts" (que AMZ ne paye pas) #loiLang
— Team Isabelle Attard (@TeamIsaAttard) October 3, 2013
Son analyse de la situation mérite d'être reproduite :
Quels sont aujourd'hui les avantages des librairies en ligne ? Selon vous, le principal serait la livraison gratuite. Selon moi, il ne s'agit là que d'un avantage parmi d'autres. Prenons le cas du leader, Amazon. Il dispose d'au moins six avantages stratégiques sur les librairies physiques.
Premièrement, la livraison à domicile gratuite.
Deuxièmement, son catalogue est immensément plus fourni que celui de n'importe quelle librairie. On y trouve des livres rares, voire épuisés, mais également des livres d'importation.
Troisièmement, monsieur le rapporteur, vous avez dit en commission que « si l'on vient sur le site sans idée précise de ce que l'on veut lire, il y a de fortes chances pour que l'on reparte sans rien acheter ou en achetant un best-seller ou une nouveauté de la rentrée littéraire ». Avez-vous déjà été client du site Amazon, monsieur le rapporteur ? Parce qu'une de ses plus grandes forces est d'avoir mis en place un système de recommandation très performant. Plus vous naviguerez sur le site, plus les recommandations seront précises et pertinentes.
Quatrièmement, le site est disponible à n'importe quel moment, et depuis n'importe quel appareil connecté à internet. C'est le cas de tous les sites de commerce en ligne, ce qui est d'ailleurs une des raisons de leur succès.
Cinquièmement, Amazon a atteint une telle taille que les économies d'échelle réalisées sont considérables. Les supermarchés ont mis à mal les petites boutiques. Amazon éclipse par sa taille tous les supermarchés de France.
Sixièmement, les libraires indépendants sont obligés de déclarer leur chiffre d'affaires en France, et d'y être imposés. Amazon utilise toutes les règles fiscales mises en place par les libéraux de France et d'Europe dans le cadre de leur grand projet de déréglementation et de dérégulation : c'est votre grand projet, monsieur le rapporteur, celui de votre parti.
Pour la Fnac, comme pour la députée, « la distorsion de concurrence avec Amazon est avant tout fiscale », attendu que le siège social d'Amazon se trouve au Luxembourg, et que la TVA imputée à la firme est donc de 3 % pour les livres papier et numériques, contre 5,5 en France. En outre, la chaîne française considère que la mesure « aura pour effet de renchérir le prix des livres. Et ces mesures seront difficilement applicables », affirme Laurent Glépin, directeur de la communication chez Fnac.
De quoi entrer en résonnance avec les propos de la députée EElV : « Qu'aurait permis le renforcement des moyens de contrôle ? Oh, trois fois rien, juste la récupération des 200 millions d'euros réclamés par l'administration fiscale à Amazon l'année dernière. Vous auriez pu proposer de modifier les règles européennes pour que les grands groupes cessent d'échapper à l'impôt en se réfugiant dans les paradis fiscaux. Ah, j'oubliais, votre leader déclarait en 2009 qu' « il n'y a plus de paradis fiscaux » ! Grâce à son implantation au Luxembourg, Amazon parvient pourtant à ne déclarer que 7 % de son chiffre d'affaires en France. »
Il restera encore au Sénat à examiner la loi adoptée par l'Assemblée nationale...
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