Comme toutes les régions de France, la Bourgogne a mis en place une stratégie de développement, sur son territoire, visant à assurer la promotion du livre. Que ce soit en faveur des éditeurs ou des librairies, c'est à travers des relais locaux et nationaux que cette politique se met en place. Lecture, auteur, réseau de librairies et bibliothèques, tous les pans de la chaîne du livre sont concernés. La Région a également accueili un entrepôt logistique d'Amazon. Au risque d'impacter la vie culturelle locale, au profit d'une activité économique plus immédiate.
Le 06/11/2013 à 08:32 par Nicolas Gary
Publié le :
06/11/2013 à 08:32
Arnaud Montebourg, ministre du Redressement productif et Frédéric Duval, Directeur de la Logistique chez Amazon France | inauguration de l'entrepôt de Chalon-sur-Saône
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« Ça me reste en travers de la gorge », nous assure-t-on au ministère de la Culture : la Région a décidé de diminuer la subvention apportée à différents secteurs de l'économie culturelle, avec un rabotage global de 6 %, et le Centre Régional du Livre de Bourgogne en est évidemment touché. Le fait n'est pas nouveau, sauf qu'à l'approche du Salon du livre de Paris, l'information remonte. « Ce n'était pas totalement gratuit, pour les éditeurs, mais largement subventionné, pour rendre la manifestation accessible. Après, il fallait reverser une partie du chiffre d'affaires », mais dans l'ensemble, les éditeurs bourguignons étaient plutôt satisfaits de cette opération.
Officiellement, le ministère de la Culture et de la Communication revendique une politique de soutien à la librairie indépendante, pour éviter les phénomènes de concentration d'un marché qui pourrait nuire à la diversité. Mais comment expliquer que la Région, de son côté, injecte de l'argent dans l'ouverture de l'entrepôt d'Amazon sur son territoire, et de l'autre côté, ne fasse pas le nécessaire pour financer la présence des éditeurs indépendants au Salon ? « On comprend qu'il y ait un impératif de création d'emplois, mais Amazon est une société qui notoirement, fait son possible pour payer le moins d'impôts en France. Quant aux emplois, difficile de dire qu'ils ne semblent pas précaires », précise une autre source ministérielle.
Bien entendu, on lorgne alors du côté d'Arnaud Montebourg, qui fut président du Conseil général de Bourgogne, avant d'être appelé à des fonctions ministérielles. « Il a fait la plus grande partie de sa carrière politique ici... C'est un crève-coeur de se rendre compte qu'on arrive sinon à une contradiction entre les aides accordées à cette entreprise [NdR : Amazon], du moins à un paradoxe. On finit par subventionner une société qui apparaît comme la pire menace pour les librairies indépendantes. » Et avec les coupes budgétaires, ce sont les éditeurs indépendants qui trinquent, alors même que la Région avait reçu un rapport, expliquant que la présence des éditeurs au Salon du livre de Paris était « très positive ».
Amazon boit, les éditeurs trinquent
Pour Grégoire Courtois, de la librairie Obliques, la situation est connue depuis plusieurs mois : président de l'Association des librairies de Bourgogne, il avait dégainé un communiqué en avril dernier, dénonçant la diminution de 6 % de la subvention accordée au CRL Bourgogne - et la conséquence immédiate pour les éditeurs : pas de Salon du livre de Paris.
Tous les petits éditeurs de qualité qui étaient présentés aux professionnels et au public à cette occasion sont donc aimablement appelés à payer eux-mêmes leur stand, ce qui bien évidemment, ne sera pas possible. En tant que libraires, nous n'avons aucun intérêt particulier dans la tenue de ce stand, mais une fois de plus, nous nous étonnons de la politique du conseil régional de Bourgogne en faveur du livre.
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Toute l'année, le CRL Bourgogne fédère, aide, communique et demeure le seul interlocuteur attentif dans des métiers où nous sommes souvent isolés. Le monde du livre connaît des difficultés, et contrairement à certaines régions, l'édition en Bourgogne est le fait de petites structures, majoritairement auto-diffusées et auto-distribuées dont le nombre de salariés est rarement supérieur à une paire de passionnés acharnés. Quel message le conseil régional souhaite-t-il faire passer aux acteurs du livre en Bourgogne ? Si les élus bourguignons ne reviennent pas sur leur décision, nous serons vite fixés.
« Le débat dure depuis des mois, et la Région a accusé le CRL d'être à l'origine de ce communiqué, et de souffler sur les braises. Ils sont même allés plus loin, en signifiant au CRL qu'ils n'avaient qu'à réduire leurs frais de fonctionnement, en supprimant des postes, pour arriver à financer leur présence au Salon de Paris », nous explique le libraire, joint par téléphone.
« La Région a même dit que cela ne servait à rien d'être présent à ce Salon. Mais ce qu'elle ne veut pas entendre, c'est qu'en décidant d'une coupe de 6 % dans sa subvention, elle fait de la politique, et par conséquent, elle fait des arbitrages. Cela, personne ne souhaite l'entendre à la Région, et l'on prétexte que toutes les collectivités sont logées à la même enseigne. »
2014, une année de pause, espère-t-on
« Faux », rétorque Marion Clamens, directrice du CRL de Bourgogne. « La Région avait proposé différentes approches pour tenter de trouver une solution, et apporter un soutien économique permettant aux éditeurs de trouver leur place au Salon. Le Conseil régional avait proposé de prendre 50 % du coût du Salon, et charge à nous de trouver le montant restant. Et nous nous sommes battus : que ce soit par le mécénat, la levée de fonds, financement privé... sans y parvenir. Le fait est que le Salon du livre de Paris est une vitrine formidable, mais beaucoup trop chère dans le contexte actuel. »
Par ailleurs, la directrice du CRL tient à relativiser la situation. « La Bourgogne est présente depuis 1996 au Salon. L'édition 2014, nous l'espérons, est une exception, et nous mettrons tout en oeuvre pour revenir. La période est particulièrement difficile pour tous les secteurs, et chacun des partenaires publics a tenté de faire preuve de solidarité. Que ce soit avec l'État ou la Région, nous avons travaillé en complémentarité et de manière cohérente. »
Même pas en bus
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Reste que l'absence du CRL Bourgogne aura une incidence, réelle, bien que minime... sur la région Champagne Ardenne. En effet, dans un principe de mutualisation, les deux régions partageaient un stand, deux tiers d'éditeurs bourguignons, un tiers d'éditeurs champardennais. Pour 2014, manifestement, seule une maison de Champagne Ardenne était potentiellement intéressée par une présence sur le Salon.
Enfin, deux éditeurs bourguignons ont prévu de se rendre malgré tout au Salon, l'un des deux passant par un stand mutualisé avec des confrères ayant la même ligne éditoriale. Un regroupement heureux, considère la directrice du CRL.
Le Salon du livre et ses clients
Pour le Salon du livre, la situation devient délicate à gérer : si l'absence des éditeurs de Bourgogne est un coup dur, le président du Syndicat national de l'édition, Vincent Montagne, l'avait rappelé en mars dernier, quelques jours avant la manifestation : Amazon « n'est pas simplement un opérateur dans le monde numérique, mais c'est surtout un libraire ».
L'Américain avait en effet décidé de bouder l'édition 2013 du Salon. Le président du SNE et le coorganisateur, Reed Expo, avaient d'ailleurs écrit à son président « pour regretter qu'il ne vienne pas. C'est aussi en habituant les différents acteurs, les éditeurs, à votre présence que vous vous ferez accepter d'eux de plus en plus ».
L'équation devient complexe : d'un côté, le Salon doit prendre en compte Amazon comme client, de l'autre, les subventions apportées au marchand font grincer des dents, en regard de l'absence du CRL Bourgogne et de ses éditeurs. Bertrand Morisset, commissaire général, nuance : « En tant qu'organisateur du Salon du livre, Reed Exposition considère Amazon comme un acteur de la chaîne du livre. D'autre part, ils n'ont exposé qu'en 2012, présentant uniquement leur Kindle. »
« Les Centres régionaux du livre bénéficient d'un tarif spécial FILL, qui leur octroie une réduction, ce qui leur permet d'accéder au Salon à un tarif préférentiel, à condition que ce soit dans le cadre d'un financement opéré par de l'argent public.Qui plus est, les prix ont baissé de dix-sept pour cent en 2010 », ajoute-t-il. Or, dans le cas de la Bourgogne, il semble que l'on ait tenté de masquer l'origine du financement, et donc, de payer le stand du Salon avec ce l'argent privé. Rédhibitoire.
« Je suis triste pour les petites maisons d'édition qui se trouvent privées de cette plateforme essentielle pour elles. D'autant que cette région soutient au-delà du raisonnable un géant américain de la distribution. Nous ne dénonçons pas le financement d'Amazon en région bourguignonne ; simplement que les priorités ne sont pas forcément là où elles devraient être. »
Nous espérons toujours une réaction de la Région Bourgogne, que nous n'avons pas pu joindre. Surtout que le montant précis des subventions attribuées à Amazon reste flou.
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