Au moment de publier la 13ème nouvelle du Projet Bradbury, intitulée Page blanche, me prend l'envie d'écrire un billet en forme de bilan. Les plus férus de mathématiques d'entre vous n'auront pas manqué de remarquer que, outre le fait que publier une treizième nouvelle un vendredi comporte certains risques, treize est un quart de cinquante-deux. — Le Projet Bradbury est donc arrivé à un quart de son parcours. Ça mérite bien quelques détails, non ? Mais avant de commencer, un petit point sur la nouvelle de la semaine.
Le 15/11/2013 à 10:38 par Julien Simon
Publié le :
15/11/2013 à 10:38
Mais avant de commencer, un petit point sur la nouvelle de la semaine.
De quoi parle Page blanche :
« Pendant ses longues nuits d'insomnie, Jarvis fait de son mieux pour chasser ses démons. Mais quand le sommeil ne veut pas frapper à la porte, le meilleur moyen de s'abrutir reste encore la télévision. Assis face au poste, au milieu de la nuit et dans un état de semi-inconscience, l'écrivain s'apprête à faire une découverte terrifiante : l'horreur emprunte quelquefois les traits d'une banale émission de télé-achat. »
Je suis assez content du résultat. Cette nouvelle, de facture plutôt classique (début/incident déclencheur/climax/chute), est un hommage aux influences télévisuelles qui, en plus de ses pairs littéraires, ont fait naître le Projet Bradbury, à savoir la Quatrième Dimension et les Contes de la Crypte. On y retrouve le même personnage banal dans une situation banale (un écrivain en proie à des insomnies) qui se retrouve confronté à l'irruption du bizarre dans son quotidien : c'est presque la définition du genre fantastique. J'en ai profité pour caser mes propres obsessions pour les émissions de télé-achat (je suis là pour vous faire partager mes névroses aussi), et aussi pour les machines à écrire. Vous comprendrez à la lecture.
Page blanche est disponible sur Smashwords, Amazon, et très vite sur Kobo et Apple au prix de 0,99€. Vous pouvez aussi vous abonner à l'intégrale des 52 nouvelles grâce à la souscription "Forfait-Mécène" qui vous reviendra à 40€.
Premier bilan en forme de course de fond
Je vais vous faire une confession : j'ai commencé le Projet Bradbury avec la conviction que ça allait être facile. Je suis plutôt quelqu'un qui travaille dur, qui sait se fixer des objectifs quotidiens et les atteindre quoi qu'il arrive et même si je me rendais vaguement compte du fait que 52 nouvelles, c'était quand même un bel objectif, je me disais qu'en serrant les dents, ça devrait passer comme une lettre à la Poste. Maintenant que nous arrivons au quart du Projet, deux pensées me traversent.
1/ “Ouah, déjà un quart ! Le temps passe si vite !”
2/ “Quoi, seulement un quart ? Il en reste encore tellement à écrire !” *rajouter des bruits de pleurs et de convulsions*
Dans la vie, je suis davantage un sprinteur qu'un coureur de fond. C'est une métaphore, ne me demandez pas de courir un cent mètres, sauf si vous voulez vous marrer. Lorsque j'ai une tâche à accomplir, je me mets au travail dès que possible et ne m'arrête que lorsque, sur les rotules, j'ai terminé. Je ne procrastine pas : je fais "pour me débarrasser". J'ai toujours été comme ça, dans tous les aspects de ma vie professionnelle. Une chose faite n'est plus à faire.
Sauf que là, il s'agit de tenir sur le long terme. J'ai donc dû apprendre la patience et surtout, l'effort sur le long terme. C'est peut-être au final ce qui fait la différence entre un écrivain professionnel et un écrivain amateur : écrire sur le long terme. Écrire, c'est long et ça peut être contraignant. Écrire pour de vrai, c'est aussi écrire quand on n'en a pas envie, quand la muse ne vient pas vous titiller avec sa plume d'oie (arrête !) et quand vous avez un imprévu familial. Écrire, c'est écrire quand on n'a pas le choix, parce que ces nouvelles ne vont pas s'écrire toutes seules et qu'il faut bien que quelqu'un s'y colle, même si vous aviez prévu de regarder un film ce soir. Ce quelqu'un, c'est vous. Neil Gaiman a une belle formule pour décrire la beauté de l'écriture : “Toutes les histoires ont peut-être déjà été contées, mais il n'y a que vous qui pouvez les écrire de cette manière.”
Je ne m'attendais pas à ce que ce Projet soit aussi gourmand en temps. Sans doute aussi parce que j'ai envie de bien faire et que je peaufine, mais c'est aussi parce que j'ai une haute opinion de moi-même et surtout de mes lecteurs, et que je n'ai pas envie de leur servir n'importe quoi.
D'un point de vue littéraire
Première impression : incroyable. Positivement incroyable. Si mes premières nouvelles étaient de facture assez classique et collaient pour la plupart avec mes obsessions du moment, j'ai très vite remarqué que le Projet Bradbury me poussait dans mes retranchements et que si je n'inventais pas, j'allais finir par me répéter. Alors j'ai inventé : je me suis posé des questions, j'ai cherché des histoires originales ou des manières originales de les raconter, je me suis remis en question chaque semaine avec une seule idée en tête : qu'est-ce que j'ai ENVIE de raconter ? Ça n'a l'air de rien comme ça, mais je pense que l'envie fait toute la différence. Je m'explique.
Les premiers textes, je les ai voulus malins, bien ficelés (sans vouloir me jeter de fleurs au visage, aïe), originaux, etc. J'espère y être arrivé, car c'est une entreprise noble. Mais je n'avais pas encore compris que j'allais vite me lasser de ces constructions "parfaites" et que très vite, le démon de la littérature allait me saisir. Cela a commencé avec le texte La dernière guerre, je pense. J'avais écrit une dizaine de textes avec des humains et j'utilisais toujours le même vocabulaire pour décrire leurs sentiments, leurs expressions faciales, leurs tics, etc. Je m'étais lassé d'eux. J'ai donc décidé de mettre en scène des abeilles. Et là, magie : mon style, dégagé de ses obligations, s'est délié. Je parlais de mandibules, de sac à venin, de couvain et de gelée royale, et ces mots sonnaient à mes oreilles comme autant de petites libérations. Plutôt que de jouer sur mes petits acquis, je m'en suis créé d'autres. Et je suis désormais convaincu que c'est en se mettant "en danger" (faut pas exagérer non plus) qu'on s'améliore.
Je trouve que mon style s'est amélioré. Oui, c'est peu de temps. Mais comme un sportif qui voit son rythme s'améliorer au bout de trois mois d'entraînement intensif, je sens vraiment la différence. Je repère mieux les clichés. J'emploie un champ lexical plus vaste, j'ai une meilleure maîtrise des synonymes, j'élague, je coupe dans la masse, je tranche dans le lard (en moyenne, j'ampute le premier jet d'un bon cinquième, voire d'un quart). Je vise l'épure. Vous n'imaginez pas comme ça fait du bien de couper la moitié de sa phrase pour parvenir au même effet, décuplé. Vous devriez essayer.
En bref, je ne vois que du positif. Le Projet Bradbury, même si j'écris depuis longtemps, était construit pour me "professionnaliser", et cela englobe tout aussi bien l'aspect financier que l'aspect stylistique. Pour le second, c'est en bonne voie et j'espère poursuivre sur les mêmes rails. Pour le premier... c'est une autre histoire, et c'est bien normal.
D'un point de vue matériel
Comme je l'exposais en détail dans un précédent billet “Comment les auteurs payent-ils leurs factures ?”, la réalité économique peut parfois s'avérer plus compliquée. Mais elle est néanmoins réjouissante si l'on regarde du bon côté des choses !
Côté téléchargements à l'unité, c'est la Bérézina : j'en ai provoqué finalement assez peu, sur quelque plate-forme que ce soit. Remarquez, je ne m'attendais pas à mieux. Il est déjà très délicat de vendre des nouvelles, mais lorsqu'elles sont en prime auto-éditées, on touche le fond du panier. On ne peut pas dire que Neil Jomunsi soit une marque éditoriale, et que je profite de ma notoriété (inexistante ou peu s'en faut, je le rappelle) pour vendre mes textes bizarres. Je savais que ce projet allait être un travail de longue haleine et qu'il me faudrait faire mes preuves. Je compte sur l'effet longue traîne pour que de nouveaux lecteurs découvrent le Projet Bradbury, bien sûr, mais aussi sur les mises en avant des libraires concernés et des bibliothèques intéressées.
En revanche, côté souscriptions, c'est déjà plus intéressant. Transparence : grâce à vous, j'ai réuni environ 2.500€ en trois mois (rappelons que je n'ai pas de revenus annexes en ce moment, si ce n'est quelques cours de temps en temps), ce qui m'a permis de vivre non pas en milliardaire excentrique (ce n'était pas le but), mais de vivre pour écrire, ce qui est l'essentiel. Je n'ai pas de gros besoins et j'ai une épouse et une famille compréhensives, ce qui facilite ma tâche. Plus que jamais, le Projet Bradbury a besoin de vous pour continuer d'exister : si vous aimez ce que je fais, parlez-en à vos amis. Si vous êtes journaliste ou blogueur, faites-moi l'honneur d'un article dans vos colonnes : vous n'imaginez pas à quel point c'est important et cela fait la différence. Je sais, c'est pénible. Mais c'est votre job et personne ne le fait aussi bien que vous (surtout pas moi, d'ailleurs, désolé mais je n'écrirai pas vos articles à votre place — je dis ça parce que plusieurs blogueurs littéraires m'ont offert cette solution que, sous l'appellation"journalisme collaboratif", je trouve assez peu honnête).
Mon ambition n'est pas, n'a jamais été et ne sera jamais de vivre en nabab sur une île paradisiaque, mais simplement de gagner suffisamment pour vivre décemment et pour continuer d'écrire. Pour cela, votre soutien est essentiel. Comme je le disais il y a quelques heures sur Twitter, l'argent n'est pas un sujet qui m'intéresse. En revanche, lui semble s'intéresser à moi. En bref, on s'en fiche mais on ne crache pas dessus quand on vous en propose, parce que ça permet de payer le loyer et les factures et que c'est quand même plus sympa que d'accumuler les défauts de paiement.
La suite
Quoi, il y a une suite ? Ha mais oui, j'avais failli oublier.
Le Projet Bradbury continue de plus belle et s'engage sur les pentes de l'expérimentation. La semaine prochaine, vous aurez droit à un texte complètement réaliste, sans intrusion aucune du fantastique. Quant à celui de la semaine suivante, je vous réserve une petite surprise. Ce ne sera peut-être pas mon texte le plus facile à lire, mais j'ai très envie de me lancer dans cette entreprise. Je m'y casserai peut-être la figure, mais j'aurai essayé. Et je suis sûr que ça va en intriguer plus d'un.
Je suis estomaqué des retours sur mon enregistrement mp3. Outre les 200 écoutes, j'ai eu beaucoup de retours de musiciens et de comédiens intéressés pour enregistrer certains de mes textes. Affaire à suivre, donc, mais j'ai remarqué que beaucoup de ceux qui avaient écouté le podcast étaient des gens qui n'avaient pas forcément lu une seule de mes nouvelles : il s'agit donc d'une manière intéressante de faire découvrir mon travail et je pense continuer dans cette direction, sans doute aidé par des personnes tierces et de talent. C'est ce qui est beau, non ? À noter la très belle association avec la graphiste Roxane Lecomte qui s'occupe de mes couvertures avec brio et à qui je dois une part du succès de l'entreprise. N'est-elle pas talentueuse ?
Le Projet Bradbury a également été l'occasion de lancer une réflexion sur le partage de la création et sur les Creative Commons. Je détaillerai ma décision dans un prochain billet, notamment à l'occasion de la sortie de la première des quatre intégrales du Projet Bradbury. C'est un peu mystérieux, mais vous en saurez très vite davantage. En attendant, vous pouvez déjà vous faire une idée de mes opinions au sujet du piratage/partage dans ce billet. En résumé : il va y avoir de la Creative Commons dans l'air dans les prochaines semaines.
Vous pouvez (devez) également vous inscrire à ce projet annexe que je lance sous forme de roman-mail : chaque semaine, plutôt que de recevoir une bête newsletter qui compile des articles, vous recevrez un nouveau chapitre d'un roman inédit, tout ça gratuitement. J'avais envie de m'atteler à quelque chose de plus long et je n'avais pas le courage d'attendre un an pour m'y coller. Pour s'inscrire à la newsletter, c'est en bas de cette page ou ici.
À travers le Projet Bradbury, c'est un nouveau chemin que j'essaie, modestement, d'emprunter. Je ne recule devant aucune remise en question, et surtout pas quand il s'agit de réfléchir aux nouveaux usages qu'Internet induit. Je me suis également rendu compte, lors de ces trois derniers mois, que je n'essayais pas de bâtir une carrière, mais une vie dont je pourrai être fier. Chercher des business models, ça ne m'intéresse pas, monétiser du contenu gratuit non plus (quel gros mot, d'ailleurs, "monétiser"... je déteste ce mot) : je veux juste devenir, au terme de cette année, un meilleur être humain.
C'est ce chemin que le Projet Bradbury trace pour moi au quotidien.
Crédits photo : Bandeau — Wsilver ;
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