Ah, les pétitions sur Internet... Qu'elles soient envoyées par votre patron ou votre grande-grande-tante, l'effet est le même : on découvre un titre, un résumé de la situation, et on signe - ou pas - sans vraiment avoir saisi les enjeux... Quand c'est pour la libération d'un prisonnier politique, pourquoi pas, mais lorsque propositions consensuelles s'ajoutent à tout cela, le résultat est parfois tranché, voire même sanglant...
Le 14/01/2014 à 14:50 par Antoine Oury
Publié le :
14/01/2014 à 14:50
(Innovation en bibliothèque, CC BY 2.0)
Parmi les personnels des bibliothèques, parisiennes du moins, la pétition a « beaucoup énervé ». Et pour cause : certes, la pétition lancée par Bibliothèques sans frontières part d'une bonne intention, en réclamant d'Ouvrir + les bibliothèques. Mais bon, l'enfer en est pavé...
En effet, les personnels des bibliothèques, et pour le coup, pas seulement à Paris, font face depuis quelques années à une désaffection des pouvoirs publics, qui réduisent dès que cela est possible, et particulièrement en période de crise, les budgets relatifs aux établissements de prêt. Alors, proposer d'ajuster, voire d'élargir les horaires, c'est un peu fort de café...
La moutarde est encore plus montée au nez des personnels lorsque l'équipe d'Anne Hidalgo, candidate à la Mairie de Paris, et particulièrement Bruno Julliard, porte-parole de la candidate, également adjoint du Maire de Paris chargé de la Culture, a accueilli à bras ouverts la proposition : « Paris doit rattraper son retard en matière de bibliothèques et s'adapter aux attentes et au rythme des habitants », explique-t-il à l'AFP.
Qui a parlé d'élections ?
Ne pas faire ce que j'ai dit qu'on ferait, pas ce que je fais actuellement
Avec cette pétition, et celle créée par les personnels des bibliothèques pour y répondre, c'est un peu le marronnier des fonctionnaires fainéants qui revient sur le tapis : si les personnels critiquent la pétition pour l'élargissement des horaires, c'est parce qu'ils tiennent à quitter le travail à 17 heures, c'est bien connu. Et quand Bruno Julliard note« la difficulté des négociations avec les personnels », c'est parce que ces derniers sont de mauvaise volonté, forcément.
Contrairement à ce que pourrait laisser entendre un examen rapide, les fonctionnaires n'ont pas cherché à réduire à tout prix leurs horaires : au contraire, leurs revendications comprennent déjà l'élargissement des horaires, ou en tout cas le rétablissements des horaires habituels.
Ainsi, plusieurs établissements ont vu leurs plages horaires réduites, ces dernières années :
La bibliothèque Clignancourt, désormais Robert Sabatier, dans le 18e, qui est passée de :
à :
Pour la bibliothèque Colette Vivier, dans le 17e, même tarif :
à :
ou encore la bibliothèque Edmond Rostand, dans le 17e, qui passe de :
à
Mais que... ? Une nocturne en moins ? D'autres établissements (comme Europe, dans le 8e) ont également vu leurs horaires à la baisse, ou aménagés selon des critères à l'opposée de la pétition « Ouvrons + ». La bibliothèque Marguerite Duras (20e) a ainsi perdu sa nocturne du dimanche pour gagner une matinée d'ouverture supplémentaire.
On remarquera que les réductions d'horaires touchent des établissements situés dans des arrondissements défavorisés, où la promotion de la lecture devrait être de mise... Les élus auront beau jeu de souligner que la fréquentation diminue, pour justifier ces aménagements à la baisse.
La politique parisienne de gestion des bibliothèques a de plus en plus tendance, depuis plusieurs mois, à se concentrer sur les grands établissements, comme la Canopée qui devrait ouvrir en 2015, au détriment de ceux de proximité, jugés peu fréquentés, voire peu fréquentables. Par ailleurs, une source nous confirme que plusieurs chefs d'établissements se sont vu demander « de rendre des postes », jusqu'à 4 par établissement.
Budgets bernés et en berne
Par ailleurs, la politique culturelle de la Ville de Paris souffre d'un autre point faible, rarement évoqué, car habilement dissimulé dans les rapports et autres bilans financiers annuels.
Faites le calcul... (Harsha K R, CC BY-SA 2.0)
Les budgets des établissements se distinguent en différentes catégories : les budgets d'investissement, qui sont utilisés pour la construction d'un nouvel équipement; les budgets de fonctionnement, qui comprennent notamment les salaires du personnel, et les budgets d'acquisition, réservés à l'achat de documents.
Le truc, c'est de transférer les acquisitions des nouveaux établissements sur les fonds de fonctionnement des autres bibliothèques. Cela permet d'éviter d'alourdir des budgets d'acquisition qu'il faudrait ensuite reconduire d'année en année. Il est plus facile de négocier avec un budget de fonctionnement, ou encore plus, d'investissement, puisque celui-ci est censé être ponctuel...
Depuis 2 ans, estiment les personnels, les budgets d'acquisition sont ainsi en baisse, même si une étude du MOTif publiée en 2011 montre que les chiffres sont en hausse. Seulement, si l'on prend en compte les différentes ouvertures de nouveaux établissements, et, à la proportionnelle, le différentiel s'avère alors négatif. Le même calcul doit être appliqué aux effectifs globaux, qui augmentent, certes, quand un grand établissement ouvre ses portes, au détriment de ceux de proximité qui perdent des postes. Encore une fois, le différentiel devient soudain négatif...
Capture d'écran de l'étude du MOTif sur l'activité dans les bibliothèques parisiennes
Par ailleurs, les budgets d'acquisition auraient une singulière tendance à se confondre avec les budgets de fonctionnement, prompts à être réduits... à la faveur d'une crise économique.
En examinant les budgets primitifs entre les années 2010 et 2014 (ceux des années précédentes ne sont pas disponibles en détail), ce dernier ayant été voté très récemment, on se rend bien compte que les budgets d'acquisition ont baissé, et il suffit de relever le budget de la ville pour les acquisitions de livres, disques et cassettes, à la ligne 6065 dans le budget principal de la ville :
Budget primitif 2010 :
- Livres, disques, cassettes...(bibliothèques et médiathèques) :
Budget primitif 2011 :
- Livres, disques, cassettes...(bibliothèques et médiathèques) :
Budget primitif 2012 :
- Livres, disques, cassettes...(bibliothèques et médiathèques) :
Le rapport n'est pas encore disponible pour 2013, mais les données du budget voté pour 2014 renseignent sur le montant de l'année précédente : 1 023 244 €, en baisse par rapport à 2012.
Budget voté 2014 :
Livres, disques, cassettes...(bibliothèques et médiathèques) :
Bien entendu, il sera possible d'objecter qu'il n'est plus besoin de se fournir en CD, du moins pas autant qu'autrefois. Chacun trouvera midi à sa porte, dans la mesure où les pouvoirs publics se font forts de combattre le piratage, mais également de proposer à chacun un accès égal à la culture. Quant aux « cassettes », gageons qu'elles signifient plutôt pour DVD...
Enfin, l'étude du MOTif elle-même souligne que l'« offre parisienne demeure toutefois inférieure à la moyenne nationale (6,12 m2) ou à celle des villes de plus de 300 000 habitants (4,47 m2) ». Autant dire que la politique des bibliothèques parisiennes devrait se remettre à l'heure pour proposer des horaires élargis...
Bien entendu, on ne fera pas l'affront de rappeler que l'idée d'élargir les horaires des bibliothèques parisiennes, avant d'être accueillie comme l'invention de l'électricité par Bruno Julliard, a été avancée par NKM (le « M », c'est pour « métro ») dans ses propres propositions de campagne...
DOSSIER - Une loi pour entériner les missions des bibliothèques
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
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