Les discussions à l'Assemblée nationale, autour de la loi Vente à distance de livres, ont eu lieu ce matin, avec, comme cela été attendu, un renvoi au Sénat, pour une seconde lecture. La ministre, Aurélie Filippetti, est venue présenter aux députés les raisons pour lesquelles il fallait gagner du temps. Mais dans l'hémicycle, il s'est au moins trouvé une personne pour douter sérieusement des arguments avancés par le ministère de la Culture. C'est heureux.
Le 20/02/2014 à 17:19 par Nicolas Gary
Publié le :
20/02/2014 à 17:19
Aurélie Filippetti s'est félicitée de « la fécondité » que l'on peut retrouver dans les rentrées littéraires en France, mais également pour souligner l'importance d'une loi qui allait remettre librairies physiques, et cybermarchand, sur une plus juste ligne d'égalité. La ministre a également pris le temps d'expliquer qu'il allait être nécessaire d'introduire un amendement, par lequel serait modifiée l'une des dispositions de la loi.
En effet, un délai de 3 mois était inscrit dans la loi, permettant à l'ensemble de revendeurs de s'adapter à la future législation. Un délai que l'amendement déposé par le gouvernement allait supprimer, parce que, dans tous les cas, un autre délai s'imposait. Ce délai, nous l'avons déjà évoqué, c'est celui de la Commission européenne, à qui tout État membre est tenu de notifier les modifications apportées dans le cadre législatif.
Les consignes sont claires : il convient que toute législation respecte trois points, qui n'en sont en réalité que deux :
• la libre circulation des marchandises
• la libre prestation de services
• et la liberté d'établissement
Et la ministre de rappeler la directive européenne 98/34/CE. Eh bien, consultons la fameuse directive. Mais au préalable, écoutons les arguments du ministère. En effet, ce dernier s'est retrouvé gros-Jean comme devant, en se rendant compte qu'il avait oublié de notifier à la Commission européenne la loi Vente à distance de livres. Une notification qui aurait dû intervenir au sortir de son adoption à l'Assemblée nationale, c'est-à-dire, au mois d'octobre 2013. Et pour le coup, le calendrier a une importance cruciale.
La ministre a pris le temps d'expliquer aux parlementaires que les dispositions de la directive européenne imposent, après notification, d'attendre un délai de 3 mois, que la Commission s'exprime. Ce délai peut être étendu à 6 mois, si au terme du premier délai, la CE rend un avis circonstancié.
Manifestement, dans l'esprit de la rue de Valois, 3 mois de statu quo à la Commission européenne, équivalent aux trois mois d'entrée en vigueur du texte. Sauf que… non. La députée UMP Annie Genevard l'aura très bien souligné : « Il aurait été plus logique, plus lisible, plus cohérent que l'on notifie, que l'on attende le retour de l'Europe, et qu'en suite, on vote définitivement la loi. Avouez que ça aurait été plus cohérent. »
Eh bien… non seulement cela aurait été plus cohérent, mais cela aurait surtout évité au ministère de la Culture de raconter des billevesées aux professionnels. Car dans la loi Vente à distance de livres, a été ajouté, au Sénat, un article, concernant l'accord auteurs-éditeurs. Un élément qui « vise à habiliter le gouvernement à procéder par ordonnance pour adapter le code de la propriété intellectuelle à l'ère numérique après l'accord conclu le 21 mars 2013 par les acteurs du secteur à la suite de trois ans de négociation », avait assuré la ministre au Sénat.
"Il aurait été plus logique, plus lisible, plus cohérent que l'on notifie, que l'on attende le retour de l'Europe, et qu'en suite, on vote définitivement la loi. Avouez que ça aurait été plus cohérent."
Or, comme la loi Vente à distance est désormais soumise à une attente imposée par la Commission européenne, « les auteurs sont ont été pris en stop, par une voiture qui est tombée en panne », nous expliquait récemment un proche du dossier.
De fait, le ministère de la Culture avait, par une tentative de pirouette, cacahuètes, affirmé qu'entre l'adoption à l'Assemblée, et l'adoption au Sénat, une modification de la loi a été effectuée. C'est vrai, fut-ce en regard de l'article 2, portant sur le contrat d'édition à l'ère numérique. Et que c'est à cause de cette modification qu'il fallait désormais notifier la Commission.
Mieux : au cours, ce matin, des discussions à l'Assemblée nationale, la ministre a, sans frémir, assuré aux députés que le texte de loi ne pouvait pas être notifié à la CE au sortir de l'Assemblée nations, parce qu'il n'était pas « stabilisé ». Une notion qui, dans le droit européen, semble assez… inexistante.
Mais c'était la seule échappatoire du gouvernement, pour masquer ce que la députée Brigitte Bourguignon (SRC) n'a pas hésité à qualifier « d'incurie des services » - ceux de la rue de Valois.
Et pour cause. Reprenons l'article 8-1 de la directive 98/34/CE :
1. Sous réserve de l'article 10, les États membres communiquent immédiatement à la Commission tout projet de règle technique, sauf s'il s'agit d'une simple transposition intégrale d'une norme internationale ou européenne, auquel cas une simple information quant à la norme concernée suffit. Ils adressent également à la Commission une notification concernant les raisons pour lesquelles l'établissement d'une telle règle technique est nécessaire, à moins que ces raisons ne ressortent déjà du projet.
Le cas échéant, et à moins qu'il n'ait été transmis en liaison avec une communication antérieure, les États membres communiquent en même temps le texte des dispositions législatives et réglementaires de base principalement et directement concernées, si la connaissance de ce texte est nécessaire pour l'appréciation de la portée du projet de règle technique.
Les États membres procèdent à une nouvelle communication dans les conditions énoncées ci-dessus s'ils apportent au projet de règle technique, d'une manière significative, des changements qui auront pour effet de modifier le champ d'application, d'en raccourcir le calendrier d'application initialement prévu, d'ajouter des spécifications ou des exigences ou de rendre celles-ci plus strictes.
En somme, la notification à la Commission européenne aurait dû être expédiée immédiatement après l'adoption à l'Assemblée nationale, pour une raison triviale, et conformément à l'observation d'Annie Genevard. Petit résumé :
• La loi est adoptée début octobre à l'Assemblée nationale
• On notifie la Commission européenne : le délai est compris entre 3 et 6 mois
• Dans le meilleur des cas, la CE s'exprime en janvier, si tout lui convient et à partir de là le Sénat peut examiner la loi, la renvoyer à l'Assemblée et tout le monde est content
Dans le cas d'un avis circonstancié, le délai est de 6 mois, et renvoie donc à avril (octobre + 6 mois = avril). Mais c'est après tout le même schéma. Alors qu'ici, non seulement, les justifications avancées par le ministère sont erronées, mais surtout, ce qui est qualifié « d'incurie des services » contraint à un retour au Sénat, non pas pour une réelle raison législative, mais bien pour gagner du temps.
Qu'on se rassure : l'Assemblée a été compréhensive, et a voté le texte, qui repart donc, inutilement, au Sénat. Si la rue de Valois avait respecté les procédures européennes, les libraires d'un côté, et les auteurs/éditeurs de l'autre, n'auraient pas eu à subir ce délai. Et le sarcasme de la ministre, qui, en séance explique qu'elle va « faire oeuvre de pédagogie. Je vais essayer », ne change rien à la réalité : il fallait notifier la CE au sortir de l'Assemblée ET après l'adoption au Sénat.
Et pas seulement après l'insertion des nouveautés sénatoriales.
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
Commenter cet article