Profitant de la Foire du livre de Bruxelles, l'Association des Editeurs Belges, ADEB, vient d'interpeller les pouvoirs publics, ainsi qu'elle l'avait déjà fait en mai 2009. Et l'on retrouvera plusieurs points déjà soulevés à l'époque, concernant la numérisation, la TVA ou encore les manuels scolaires, dans une lettre ouverte, qu'ActuaLitté reproduit ici dans son intégralité. Bernard Gérard, directeur de l'ADEB, revient également avec nous sur le contexte de cette lettre.
Le 21/02/2014 à 16:29 par Nicolas Gary
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21/02/2014 à 16:29
« C'est une période politique importante qui approche, et qui nous donne l'occasion d'évoquer auprès des représentants politiques les différents enjeux auxquels notre secteur doit faire face. Le mémorandum a été adressé à tous les représentants des partis démocratiques belges, et plus spécifiquement à ceux qui ont trait à la culture, l'enseignement, ou la fiscalité », nous précise le directeur.
C'est qu'en effet, des élections se dérouleront le 25 mai prochain, et que l'ADEB fait état de «l'absolue nécessité d'une politique globale et intégrée du livre en Fédération Wallonie-Bruxelles dans un paysage budgétaire où le livre reste lourdement sous-financé par rapport aux autres secteurs culturels et les aides, trop limitées à certains genres éditoriaux ».
le secteur contribue largement au développement économique du secteur culturel belge comme le démontre l'étude récente de Partners In Marketing sur La contribution économique de l'industrie du droit d'auteur et des droits voisins en Belgique (juin 2013) où l'on révèle que le secteur génère 87.742 emplois (6ème secteur le plus important en termes d'emploi dans notre pays). Plus spécifiquement, le milieu de l'édition participe pour près de 10% à ce chiffre. En outre, le chiffre d'affaires global de production de l'édition de langue française en Belgique équivaut à 229 millions d'euros.
Pas si simple, la politique en Belgique
« À noter que les trois niveaux de pouvoirs en Belgique sont le fédéral (compétant pour les dossiers juridiques et fiscaux entre autres), le communautaire (compètent pour la culture et l'enseignement) et le régional (compétent pour les nouvelles technologies et l'export, par exemple).
Aussi, si le fédéral légifère en matière de prêt public, cela a des incidences sur la politique communautaire - donc les bibliothèques, qui rentrent dans la compétence, au titre de la lecture publique. Mais aussi sur le régional qui a les nouvelles technologies dans ses champs d'action ( supports informatiques aux écoles, développement du numérique, etc.)
Tout cela rend donc la prise de décision en Belgique très difficile puisque les trois niveaux de pouvoir doivent s'accorder et se mettre au diapason pour qu'une loi soit effective. Comme le fédéral (ou vice versa) doit de plus convaincre les institutions communautaires et régionales des deux (trois) langues nationales et que les niveaux de pouvoirs ne sont pas tenus par les mêmes majorités politiques. On comprend mieux d'où le Belge tire sa réputation d'homme consensuel… »
C'est donc en sept points que l'édition belge souhaite simplifier ses problématiques, et fait donc un tour d'horizon, et réclame que « des mesures adéquates » soient prises :
édition scolaire en Fédération Wallonie-Bruxelles, en favorisant l'utilisation systématique et responsable du manuel scolaire à l'école tout en s'assurant dans le cas d'une politique de ressources éducatives libres - Opening Up Education - que celle-ci se développe en concertation avec les éditeurs (voir infra, point 1) ;
Open Access, en organisant une concertation durable, large et réfléchie en la matière, qui tienne compte des particularités des secteurs concernés (point 2) ;
TVA, par l'application immédiate en Belgique du taux réduit (6%) pour le livre imprimé aux livres et publications numériques y compris les bases de données éditées en ligne ou sur support électronique (point 3) ;
droit d'auteur et aux droits voisins, en veillant prioritairement à préserver la liberté contractuelle et les intérêts des acteurs concernés dans tous les dossiers où ces droits essentiels à la création devront être adaptés à l'ère numérique (point 4);
reprographie et à « l'exception numérique enseignement », en fixant une rémunération équitable pour les ayants droit (éditeurs et auteurs) préjudiciés lors de la prise des nouveaux Arrêtés Royaux en la matière, et ce en étroite concertation avec le SPF Economie et les instances représentatives des ayants droit telles que Reprobel et Auvibel (point 5) ;
approvisionnement régulier et structuré du marché, en maintenant les conditions économique de la distribution du livre en Fédération Wallonie-Bruxelles (point 6) ;
exportation, en soutenant la diffusion et les programmes d'aide à l'achat de nos livres sous format « papier » ou « numérique » permettant ainsi l'accès à nos ouvrages dans des pays ou des régions à faible économie à l'instar des aides similaires existantes, tel le programme « Plus », en France.
TVA, piratage, les sujets de luxe
« Sur la TVA, par exemple, la Belgique dispose d'un taux réduit de 6 % pour les ouvrages imprimés, contre 21 % pour les livres numériques. Bien sûr, la France et le Luxembourg ont introduit une concurrence déloyale en décidant d'harmoniser les taux dans leurs pays, mais nous aimerions aussi que le gouvernement belge prenne une pareille initiative, de sorte que le différentiel de 15 % disparaisse. Nous avons beaucoup parlé et travaillé avec M. Jacques Toubon, et aujourd'hui, la prise de position de l'Allemagne est un signe politique et fiscal très fort en faveur d'une TVA réduite pour les livres numériques. »
L'Allemagne reste « un pays pragmatique », et si la position est nouvelle, que de vouloir harmoniser TVA sur le papier et le numérique, elle n'en reste pas moins un signe fort adressé à la Commission européenne. « Nous avons, ici, en Belgique, des éditeurs qui ont choisi d'installer une antenne au Luxembourg, ou en France, pour profiter d'un meilleur taux. Cela n'a aucun sens de laisser la situation ainsi. »
L'autre enjeu, pour le territoire belge, c'est celui du piratage. « La littérature représente, de mémoire, 25 % des ventes en France, mais c'est loin d'être le cas en Belgique, où la bande dessinée réalise plus de 50 %, et les ouvrages de savoir et de sciences humaines plus de 30 %. Or, pour le premier secteur, nous sommes confrontés à un réel problème de piratage, c'est un peu la spécificité de notre marché du livre. Et nous demandons que soient prises les mesures nécessaires pour que l'on fasse respecter le droit d'auteur. »
Open Access et manuels scolaires
Dans les autres domaines, comme le secteur de l'éducation, on remarque que la production de manuels scolaires dans les Flandres est cinq fois supérieure à celle francophone. Et au regard des résultats de la dernière étude PISA, les résultats scolaires des élèves francophones sont moins bons que ceux de leurs concitoyens flamands. « Tout cela repose sur une formation qui est plus structurante, et l'on a l'impression d'une utilisation plus laxiste des contenus scolaires. »
En parallèle, si le monde de l'édition scolaire s'oriente vers des approches numériques, il importe de donner aux enseignants des formations qui leur permettent de manipuler les nouveaux outils avec pertinence. « Il faut que les professeurs puissent jongler avec les outils modernes, que leurs élèves connaissent souvent bien mieux qu'eux. Et dans le même temps, que des investissements soient réalisés, pour équiper les établissements. »
Mais quand on évoque la question scolaire, la notion d'Open Access n'est désormais plus très loin. « Nous sommes évidemment favorables à une diffusion large… non, la plus large possible, des savoirs, mais il faut que l'on conserver des périodes d'embargo, pour assurer à l'éditeur qu'il puisse rentabiliser son investissement. Et là, il faut le faire intelligemment : pour un ouvrage scientifique, la science va tellement vite, retenir l'oeuvre durant une année, ce serait long, alors qu'au terme de quelques mois, les connaissances peuvent être obsolètes. En revanche, un livre sur le Haut Moyen Âge, dans les sciences humaines, peut avoir une durée de vie plus longue, parce que les connaissances ne seront pas remises en cause aussi rapidement. »
Or, dans le même temps, les éditeurs sont de plus en plus confrontés à l'obligation de sous-traiter la production. « Les anciens imprimeurs sont tous devenus des éditeurs, avec le temps. Ils pouvaient alors suivre l'ensemble de la fabrication, alors qu'aujourd'hui, de nouveaux coûts apparaissent pour les éditeurs, avec de nouveaux modèles économiques à mettre en place. »
En somme, les difficultés du secteur éditorial belge ne sont pas vraiment éloignées de celles que l'on rencontre en France. Avec quelques spécificités, bien entendu.
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
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