Nous continuons cette série avec une saga dédiée aux jeunes filles. Son succès planétaire a déjà remplacé les derniers tomes d'Harry Potter dans la mémoire de bien des lectrices, et pourtant, les vampires de Stephenie Meyer sont fusillés par la critique : style d'écriture banal, scénario facile, et j'en passe. Le premier reproche fait à Twilight concerne cependant l'image des vampires qu'elle véhicule à travers Edward Cullen, un végétarien qui brille au soleil, joue au base-ball en famille le dimanche et va au lycée alors qu'il est âgé de plus d'un siècle.
Sidereal, CC BY NC ND 2.0, sur Flickr
Et... de nombreux spécialistes ont d'ores et déjà remarqué que le succès de Twilight repose sur un fantasme adolescent bien plus que sur l'originalité d'une histoire que l'on connait depuis Roméo et Juliette.
A moins que vous ayez passé ces dernières années dans une caverne ou sur une ile déserte, vous n'avez pu manquer Twilight, sa marée de fans et de produits dérivés, ses conventions et son thème. Juste au cas où, voici quand même les trois bandes annonces françaises des films, qui vous offriront une assez bonne vision du contenu des livres :
Chapitre 1 : Fascination
Chapitre 2 : Tentation
Chapitre 3 : Hésitation
Hachette jeunesse a publié la traduction du premier roman de Twilight en 2005 et en 2008, plus de 100 000 exemplaires du premier tome étaient déjà vendus.
L'écriture de Stephenie Meyer est pourtant qualifiée de banale par les critiques, bien que ses fans haussent bien haut la bannière du chef d'œuvre et du génie. Au détour de sites littéraires, vous aurez peut-être vu que le scénario manque d'originalité, l'amour impossible étant, à priori, un thème usé jusqu'à la toile. Quoique... l'histoire d'amour impossible avec un vampire est d'évidence parue au bon moment. La plupart des critiques disent d'ailleurs que "Twilight pourrait être une bluette ordinaire, si le fiancé de la belle n'était pas un vampire !"
Un vampire comme petit ami ? C'est devenu LE fantasme moderne, au point de donner naissance à des T-Shirt "I want a vampire boyfriend" ! La preuve, au cas où vous ne me croiriez pas ;)
"Pourquoi une jeune fille voudrait-elle à ce point un vampire comme petit ami ?" C'est le même chemin à suivre que pour la précédente chronique consacrée à Eragon, et sa fameuse "pourquoi un enfant voudrait-il devenir l'ami d'un dragon ?".
Le dragon protège les enfants qui, en dépit de son aspect effrayant, n'en ont pas peur. Le vampire de Twilight répond lui à un vieux, très vieux fantasme sexuel : celui de l'amour chaste tel qu'on peut le connaitre timidement à l'adolescence (lorsqu'on découvre son corps), entre les bras d'un bad guy à la fois protecteur et "incroyablement fort".
Vous savez peut-être déjà que Stephenie Meyer est mormone (pas de sexe avant le mariage !), et que cette confession religieuse transparait quasiment à chaque page de son roman : Edward Cullen, respectable vampire végétarien d'un siècle, joue au base-ball en famille et se contente pour beaucoup d'un amour platonique avec Bella, empreint de cette chasteté qu'on retrouve, au hasard de l'histoire, dans les romans courtois médiévaux ou encore dans les valeurs puritaines de la vieille Amérique. D'ailleurs, sur beaucoup de points, Edward se comporte en parfait chevalier servant. Quand à Bella, c'est l'archétype de l'adolescente mal dans sa peau, et dans laquelle de très nombreuses jeunes filles peuvent se reconnaitre. Ces particularités des deux protagonistes de la saga rendent l'identification à Bella extrêmement facile, d'autant plus que Stephenie Meyer a délibérément retiré toute description relative à son héroïne".
Le producteur de Twilight, Greg Mooradia, dit lui-même que « Dans Twilight, le vampirisme est une belle métaphore du désir adolescent et de la difficulté de l'assouvir ».
Mais au fait, depuis quand le vampire est-il un symbole sexuel ? Je serai tentée de dire depuis toujours, ainsi que le font remarquer des spécialistes comme Alain Pozzuoli ou Jean Marigny, la morsure du vampire est comparable à un viol : la victime est endormie et rarement consentante. Les psychanalystes ont remarqué que les canines pointues de l'homme vampire s'apparentent à un pénis et que la bouche de la femme vampire réveille cette vieille peur du vagin à dents, instrument de castration. Difficile, dans ce cas, de désirer une relation avec une telle créature !
Pourtant, la symbolique du monstre de mort a fortement évolué depuis le XIXe siècle, le vampire s'est peu à peu humanisé : Bram Stoker nous effrayait avec son Dracula qui donnait pour seul désir celui de s'armer de gousses d'ail, puis lorsqu'on a lu Anne Rice et découvert ses vampires à la sexualité débridée, on a apprit à les connaitre autrement qu'en démons assoiffés de sang. Twilight est un résultat de cette lente évolution. Dans le même temps, et surtout depuis les années 70, on s'affranchit de l'éducation judéo-chrétienne : les vampires ne sont plus qu'une incarnation du diable, les voilà en bad guy fascinants... on brise aussi les anciens tabous sur les mœurs sexuelles.
Quand à savoir pourquoi Stephenie Meyer a inventé le vampire végétarien vivant en famille, une partie de la réponse réside dans le fait qu'aimer un vampire "traditionnel" serait une forme de sado-masochisme, qui impliquerait de se laisser mordre à sang et d'en tirer du plaisir. Aimer un vampire devenu végétarien et luttant contre sa propre nature, au contraire, celà relève du fantasme et du jeu avec la peur, la lutte contre les instincts primaires de l'homme, contre la soif de sang, et contre sa propre violence. On y retrouve aussi la fascination pour l'immortalité, le vampire étant l'une des rares créatures à ne pas subir les affres du temps tout en conservant sa volonté propre (contrairement au zombie, par exemple) et son intégrité physique.
Par là, un livre qui dit entre les lignes "vous pouvez être aimée d'un être surpuissant, immortel, étrange et capable de vous tuer en trois secondes sans risque" et puis "vous pouvez devenir comme lui" ne peut être qu'irresistiblement séduisant, en dépit d'une plume et d'un scenario banals.
Par Tsaag Valren
Contact : tsaagvalren@gmail.com
Commenter cet article