Ce matin à Réau en Seine-et-Marne, derrière les murs du Centre Pénitentiaire sud francilien, l'humeur était à l'évasion littéraire. Pour la première fois un jury de détenus, mixte, composé de 5 hommes et autant de femmes, a eu l'honneur de remettre le Prix Paris Diderot, Esprits libres à l'écrivaine Maylis de Kerangal pour son roman Réparer les vivants. Une initiative culturelle et participative réussie. Comme l'a si bien résumé l'un des jurés : « Je suis content qu'on ait ainsi été responsabilisés et je pense qu'on a été au rendez-vous. »
Le 20/06/2014 à 17:46 par Julien Helmlinger
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20/06/2014 à 17:46
CC by SA 2.0 par ActuaLitté
Il aura fallu se plier aux règles drastiques de l'univers carcéral, se délester des appareils connectés et passer quelques portes bien sécurisées, pour pouvoir assister à l'événement. Mais l'écrivaine Maylis de Kerangal, la directrice de l'Université Paris Diderot et quelques autres visiteurs plus ou moins habitués des lieux ont répondu présents. L'ensemble des jurés a ainsi pu expliciter ce qui a motivé son choix de lauréat et causer de littérature de manière plus générale.
Et certains détenus en connaissent un rayon en matière de lecture. Comme l'ont expliqué les jurés de cette première édition du Prix, leur équipe a été montée sur inscriptions. Quant à leur liste de 5 finalistes, dans une optique d'ouverture, ils l'ont voulue diversifiée en termes d'auteurs, mais aussi de maisons d'édition. Outre le livre primé, elle comportait quatre autres titres de publication récente.
Dans l'ordre de préférence, Réparer les vivants était talonné par Mali, ô Mali d'Érik Orsenna, Le Garçon incassable de Florence Seyvos, La petite communiste qui ne souriait jamais de Lola Lafon, et enfin L'extraordinaire voyage du fakir qui était coincé dans une armoire Ikea de Romain Puértolas.
Alors certes, tous les jurés ne partageaient pas le même favori. L'une d'entre eux, conquise, explique son choix : « C'est un livre qui m'a parlé mais qui m'a aussi ouvert à la question du don d'organes. C'est un livre vraiment touchant, il y en avait d'autres de biens mais c'est resté mon préféré. » Quand un autre, davantage touché par le livre d'Orsenna, confie : « Moi c'était pas mon préféré. Il est très bien le livre, mais on est en prison, on a envie de voyager. »
Elle n'était pas encore arrivée lorsque les jurés motivaient ainsi leur choix, mais c'est justement en évoquant cette dernière thématique que Maylis de Kerangal a remercié le jury : « Ce prix émane de vous, je vois une certaine émotion. L'émotion c'est aussi un voyage. Je pense qu'en prison la lecture parle aussi au corps. [...] L'écriture et la lecture sont les deux versos de cette émotion. Je suis émue aussi, et très touchée. »
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Enseignement et culture au centre de Réau
La présidente de l'Université Paris Diderot, Christine Clerici, y est aussi allée de son discours pour rappeler l'attachement de son établissement à la question de l'enseignement et de la diffusion de la culture en milieu carcéral. Elle promet que la Fondation fera son possible afin que cette action puisse se développer, et mènera une action nationale, plus large.
En retour les détenus ont lu une carte qu'ils ont écrite pour remercier les efforts de ceux qui sont venus leur dispenser des enseignements au sein du centre pénitentiaire. Une lecture qui aura fait couler quelques larmes par ici, et élargi les sourires par là.
L'un des détenus, celui en charge de la bibliothèque de l'un des bâtiments nous a expliqué comment il voyait sa noble mission. « Je suis médiateur culturel, un simple passeur, je dois créer des passerelles, supprimer des frontières, apporter quelque chose. Pour un détenu c'est important de savoir qu'il y a un autre monde ailleurs. Pour moi, le but c'est qu'ils viennent me prendre un truc. Je propose souvent des romans initiatiques, on peut commencer avec Le Petit prince et arriver à L'Alchimiste de Paulo Coelho. Faut s'adapter, en fonction de chacun. »
Lui, semble optimiste. Il nous explique que le fonds de la bibliothèque du bâtiment comporte quelque 1800 titres sans compter les stocks de la réserve. Il estime qu'il y a pas mal de projets culturels dans la prison, et que les détenus peuvent parfois compter sur le soutien de médiathèques extérieures, comme celles de Seine-et-Marne où de Combs-la-Ville.
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