Pour célébrer l'heure du repas, et alors que nous célébrons ce mois-ci l'anniversaire de la parution du livre, en 1958, En avant la zizique... et par ici les gros sous, nous avons voulu innover en matière de recette. Une cuisine qui provient du sel de la mer, et plus précisément, de L'Écume des jours, un ouvrage pour lequel Boris Vian n'eut aucune reconnaissance de son vivant – et qui sera mythifié après sa mort, comme un hymne à la jeunesse.
Le 22/09/2014 à 11:55 par Cécile Mazin
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22/09/2014 à 11:55
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Dans les premières pages, Colin, le protagoniste principal, s'apprête à passer à table, avec son ami Chick. C'est son cuisinier, Nicolas qui se charge de faire à manger. Avec un mets tout particulier, et une recette détonnante. Avant de s'en régaler, on pourra toujours revoir la bande-annonce du film de Michel Gondry, avec Romain Duris, Audrey Tautou et Omar Sy. Qui était particulièrement décevant du fait des acteurs, mais arrivait à retranscrire plutôt fidèlement l'atmosphère du livre de Vian
Cette année 2014, ce sont aussi les 60 ans de la publication du texte Le déserteur, que l'on célèbre. L'argent ne coule pas à flots et le succès n'est pas vraiment au rendez-vous. C'est le chanteur Marcel Mouloudji qui le premier chanta ce texte alors même que la France faisait face à sa défaite à Diên Biên Phu, échec qui marqua la fin de la guerre d'Indochine. Et, pour Boris Vian, 1954, c'est encore une période de galère.
Publiée une première fois chez Gallimard en 1947, L'écume des jours ne trouvera son public qu'à partir de sa réédition en 1963, soit quatre ans après la mort de Vian.
Colin poussa la porte émaillée de la cuisine. Le cuisinier Nicolas surveillait son tableau de bord. Il était assis devant un pupitre également émaillé de jaune clair et qui portait des cadrans correspondant aux divers appareils culinaires alignés le long des murs. L'aiguille du four électrique, réglé pour la dinde rôtie, oscillait entre « presque » et « à point ». Il allait être temps de la retirer. Nicolas pressa un bouton vert, ce qui déclenchait le palpeur sensitif. Celui-ci pénétra sans rencontrer de résistance, et l'aiguille atteignit « à point » à ce moment. D'un geste rapide, Nicolas coupa le courant du four et mit en marche le chauffe-assiettes.
– Ce sera bon ? demanda Colin.
– Monsieur peut en être sûr, affirma Nicolas. La dinde était parfaitement calibrée.
– Quelle entrée avez-vous préparée ?
– Mon Dieu, dit Nicolas, pour une fois, je n'ai rien innové. Je me suis borné à plagier Gouffé.
– Vous eussiez pu choisir un plus mauvais maître ! remarqua Colin. Et quelle partie de son œuvre allez-vous reproduire ?
– Il en est question à la page 638 de son Livre de cuisine. Je vais lire à Monsieur le passage en question.
Colin s'assit sur un tabouret au siège capitonné de caoutchouc alvéolé, sous une soie huilée assortie à la couleur des murs, et Nicolas commença en ces termes :
– Faites une croûte de pâté chaud comme pour une entrée. Préparez une grosse anguille que vous couperez en tronçons de trois centimètres. Mettez les tronçons d'anguille dans une casserole, avec vin blanc, sel et poivre, oignons en lames, persil en branches, thym et laurier et une petite pointe d'ail.
– Je n'ai pas pu l'aiguiser comme j'aurais voulu, dit Nicolas, la meule est trop usée.
– Je la ferai changer, dit Colin.
Nicolas continua :
– Faites cuire. Retirez l'anguille de la casserole et remettez-la dans un plat à sauter. Passez la cuisson au tamis de soie, ajoutez de l'espagnole et faites réduire jusqu'à ce que la sauce masque la cuillère. Passez à l'étamine, couvrez l'anguille de sauce et faites bouillir pendant deux minutes. Dressez l'anguille dans le pâté. Formez un cordon de champignons tournés sur le bord de la croûte, mettez un bouquet de laitances de carpes au milieu. Saucez avec la partie de la sauce que vous avez réservée. »
– D'accord, approuva Colin. Je pense que Chick aimerait ça.
– Je n'ai pas l'avantage de connaître M. Chick, conclut Nicolas, mais s'il ne l'aime pas, je ferai autre chose la prochaine fois, et cela me permettra de situer, avec une quasi-certitude, l'ordre spatial de ses goûts et de ses dégoûts.
Par Cécile Mazin
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