Le différend commercial avait été révélé dans la presse voilà plus de six mois, mais l'affaire avait certainement débuté en novembre 2013. Amazon avait instauré des mesures restrictives contre les ouvrages publiés par Hachette – fiction, non-fiction ou romans graphiques – sans que l'on comprenne le sens de ces actions. Les précommandes de livres étaient rendues impossibles, plus aucune réduction sur les ouvrages, et des délais de livraison invraisemblables, en regard des habitudes du cybermarchand. C'est un bras de fer qui s'était amorcé, tournant, principalement, autour du livre numérique.
Le 14/11/2014 à 09:28 par Nicolas Gary
Publié le :
14/11/2014 à 09:28
Steve Jurvetson, CC BY 2.0
Comme nous l'avons annoncé hier, Hachette et Amazon sont parvenus à un accord pluriannuel, ne dévoilant qu'en filigrane crypté les raisons de leurs désaccords et les conditions de réconciliation. L'unique message qui transparaît, est que l'éditeur est encouragé à pratiquer des prix bas, même s'il a retrouvé le droit de les fixer, s'il veut bénéficier d'avantages spécifiques. Ce qui interroge encore sur les conditions marchandes avec les autres revendeurs...
Durant toute cette période de négociation, deux camps se sont distingués : des auteurs, plutôt classés dans la catégorie best-sellers, qui sont massivement montés au créneau, pour défendre l'éditeur – quand bien même ce n'était pas le leur. Des campagnes de communication, jusqu'à la publication dans le New York Times d'une pleine page de publicité, tout était bon pour attaquer le comportement d'Amazon, inqualifiable, bien évidemment. Ils déploraient surtout d'avoir, par les millions de livres qu'ils avaient vendus au cours de leur carrière, participé au succès d'Amazon, et être aujourd'hui si mal payés de retour. Un peu comme si les relations commerciales avaient quelque chose de la Lune de miel...
Mais en face, des auteurs plus modestes, tentait d'expliquer leur position, faisant valoir que le cybermarchand leur apportait la présence et la visibilité qui n'était plus de mise dans les grands établissements, ni chez les libraires indépendants. Et surtout, qu'en matière de livre numérique, le cybermarchand avait tout de même fait beaucoup pour démocratiser le format, et permis ainsi l'ouverture d'un nouveau marché.
En somme, chacun défendait sa position, avec quelques voix particulièrement puissantes, comme celle de l'animateur Stephen Colbert, qui avait amorcé une campagne de dénigrement publique. Et s'était offert le luxe d'envoyer Amazon se faire foutre, littérairement, en direct durant son émission.
Le livre numérique, noeud gordien autour de la gorge
Le problème n'était pas bien compliqué, entre les deux firmes : il s'agissait d'argent. Mais pas de n'importe quel argent : celui des livres numériques, produits sur lesquels Amazon tentait d'avoir un plus grand contrôle. Sans compter sur la résistance de Hachette Group. Sauf qu'à ce jour, on ne sait pas qui a cédé à l'autre, même s'il semble bien que l'éditeur ait peut-être un peu plus reculé.
Amazon a en effet toujours clamé que la fixation des prix par un éditeur ne le dérangeait pas, or Hachette, dans le communiqué, annonce bien qu'il a gagné le droit de fixer ses tarifs de vente. Ce que Jeff Bezos souhaite, ce sont les tarifs les plus bas possible, pour appâter de nouveaux clients, si possible. Dans ce contexte, l'éditeur est invité à fixer des prix bas, pour bénéficier de conditions avantageuses : avec plus de détails sur ce point, il serait plus simple de déterminer comment s'est résolu le conflit. Mais pour l'heure, seules les suppositions sont de mise.
Pour justifier son idée de prix bas, Amazon avait avancé un savant calcul, par lequel le prix de 9,99 $ fait augmenter les ventes de 74 %, en regard de prix de vente d'ebooks de 13,99 $. Une conception du commerce qui avait fait sourire, sans pour autant décoincer la situation. Ce qui fera moins sourire, en revanche, c'est donc ce retour de la fixation du prix de vente : déjà les consommateurs sur les forums, s'inquiètent de ce qu'ils avaient connu à l'époque d'Apple, et redoutent que le prix de vente ne soit trop élevé pour les livres numériques. L'inflation engendrée par le contrat d'agence avait tout de même conduit à un procès – dont on sait aujourd'hui qu'il avait été fortement inspiré au ministère de la Justice, par... Amazon.
Ce qui est en revanche évident, c'est que l'accord intervient entre les deux parties alors que s'approche le Black Friday, et le Cyber Monday, deux événements commerciaux nationaux, où les citoyens américains n'ont de cesse de dépenser de l'argent pour préparer leurs cadeaux de Noël. Rater cette date, pour l'éditeur, et pour le cybermarchand, dans une moindre mesure, aurait été un véritable loupé financier. Un grand soupir de soulagement a dû être poussé, chez les uns comme chez les autres. C'est en tout cas ce qu'Arnaud Nourry, le grand patron de Hachette, expliquait à l'AFP : « Noël approche, pour les deux parties, alors nous avons fait de notre mieux pour que la saison soit la meilleure possible. »
Les auteurs, protégés ? "On attend de voir"
Du côté des agents et des auteurs, on apprend que Michael Pietsch a écrit pour faire part de cette bonne nouvelle. « Le nouvel accord offre des avantages considérables. Il nous donne la pleine responsabilité des prix publics de nos ebooks. Cette approche, connue sous le nom de contrat d'agence, protège la valeur du contenu de nos auteurs, tout en permettant à l'éditeur de modifier les prix des ebooks de manière dynamique et de sorte à maximiser les ventes. Surtout, le pourcentage du chiffre d'affaires sur lequel les droits d'auteurs de Hachette sont versés, pour les ventes numériques, ne diminuera pas en vertu du présent accord. »
Là encore, on doit être soulagé de l'apprendre chez les auteurs. « Je crois fermement que ce nouveau contrat rétablit une relation positive avec Amazon, un leader important dans l'industrie de la vente au détail, et que cette relation forte profitera aux écrivains que nous publions depuis de nombreuses années, et pour ceux à venir. »
On n'aurait pas mieux dit combien la société a été angoissée de perdre le canal de vente que représente Amazon, et surtout, angoissée de perdre des auteurs, plus intéressés par l'efficacité de la vente, que la relation avec leur éditeur.
(Zhao !, CC BY 2.0)
Et bien entendu, Douglas Preston, celui qui emmenait le groupe d'auteurs millionnaires, dans le conflit contre Amazon, s'est déclaré soulagé. « Je ne peux qu'espérer que, si des désaccords surgissent de nouveau, entre Amazon et les éditeurs, ce dernier ne cherchera jamais plus à obtenir un effet de levier en sanctionnant les livres et les auteurs », précise-t-il par email, à l'AFP. Si l'on considère qu'Amazon domine les ventes de livres numériques, avec 60 % de parts de marché, selon le cabinet Forrester Research, les vœux de Preston ressemblent à une expression de naïveté troublante.
D'ailleurs, Roxana Robinson, de l'Authors Guild, le syndicat des auteurs, affirme : « Nous avons entendu dire que cet accord est favorable aux auteurs, mais nous n'avons à ce jour aucun moyen de le savoir. Dans l'intervalle, nous espérons que Hachette, à la lumière de la loyauté dont ses auteurs ont fait preuve tout au long de cette débâcle, saisira l'occasion pour réviser son taux de droits versé aux auteurs, qui est de 25 % du bénéfice net de l'éditeur. » À bon entendeur...
Après les négocations commerciales, les services de la Justice ?
En revanche, l'accord passé entre Simon and Schuster, voici quelques semaines, et celui de Hachette ce jour, pourraient apporter de nouvelles solutions aux prochains groupes éditoriaux qui entreront en négociation avec Amazon. La directrice générale du groupe éditorial, Carolyn Reidy, assurait dans un courrier, fin octobre que cet accord « est économiquement avantageux, à la fois pour Simon & Schuster et ses auteurs, puisqu'il maintient la part des revenus pour l'auteur, sur les ventes de livres numériques ».
Ce jeudi, la maison mère de Hachette a cependant avoué que les ventes de livres numériques ont été bloquées aux États-Unis, et que son dernier trimestre avait tout simplement plongé, dans le domaine du livre, du fait de ces ventes manquées. Avec 31 % de ventes d'ebooks en 2013, sur la même période, on passe à 28 % pour cette année. En revanche, les résultats étaient en baisse de 18,5 % pour le marché du livre, sur cette période, contraignant la maison mère à avouer que « la situation difficile avec Amazon », expliquaient les résultats.
De quoi comprendre assez rapidement la force de nuisance d'Amazon – et rassurer Preston : Amazon recommencera à taper sur les livres, s'il a besoin de faire pression. Pour James Patterson, qui avait rejoint la coalition de Preston, « le livre a besoin d'être défendu dans ce pays. Pour le moment, cet accord contribue à le faire ». Ce qui n'empêchera d'ailleurs pas leur groupement d'auteurs de poursuivre leur demande auprès du ministère de la Justice : Authors United et l'Authors Guild se sont en effet fendus d'un courrier pour demander que la société de Bezos soit mise sous enquête antitrust. Nous verrons bien si près de 10.000 auteurs réunis parviennent à attirer l'attention du DoJ.
Peut-être profitera-t-on de l'euphorie générale pour rappeler au groupe Hachette que les 5000 titres qui étaient victimes des attaques d'Amazon subissent également une autre pression, celle des systèmes de contrôles anti-piratage mis à l'œuvre par l'éditeur. Le monopole d'Amazon s'est établi par le temps, mais avec l'assentiment d'un public qui n'a certainement pas pris conscience de ce qui se jouait. Or, dans le même temps, les éditeurs ont non seulement encouragé Amazon, et son format propriétaire, mais en plus, ajouté un verrou numérique pour s'illusionner dans la protection de leurs fichiers. Les clients sont alors prisonniers, à double titre : d'un côté, du format propriétaire, de l'autre, de l'interdiction légale de toucher auxdits fichiers.
Alors, on ouvre les yeux en grand ?
Paris, le 13 novembre 2014,
COMMUNIQUE DE PRESSE
Accord signé entre Hachette Book Group et Amazon
Hachette Book Group, filiale américaine du groupe Hachette Livre, et Amazon ont annoncé la conclusion d'un accord pluriannuel portant sur la commercialisation aux USA des ebooks et des livres imprimés.
Michael Pietsch, CEO de Hachette Book Group s'est félicité : « Pour nos auteurs c'est une bonne nouvelle. Ce nouvel accord sera bénéfique aux auteurs de Hachette Book Group pour les années à venir et assure à Hachette Book Group le bénéfice des puissants moyens marketing de l'un de nos plus importants partenaires dans la vente de livres . »
David Naggar, Vice President Kindle, a dit : « Nous sommes heureux de ce nouvel accord qui prévoit une incitation pour Hachette Book Group à proposer des prix plus bas, ce qui, pensons- nous, profitera autant aux lecteurs qu'aux auteurs ».
Cet accord prendra effet au début de l'année 2015. Hachette Book Group fixera les prix de vente de détail de ses ebooks et bénéficiera de conditions plus avantageuses s'il baisse ces prix.
Dans l'immédiat, Amazon et Hachette Book Group retrouvent leurs relations commerciales normales et les livres de Hachette Book Group bénéficieront d'une promotion renforcée sur le site d'Amazon.
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
Commenter cet article