La situation, pour synthétiser, devenait insupportable, et le PDG de Hachette, Arnaud Nourry, l'avait subtilement glissé, au sortir de la présentation des résultats trimestriels du groupe Lagardère : « Noël approche, pour les deux parties, alors nous avons fait de notre mieux pour que la saison soit la meilleure possible. » Voici donc qu'après une année de conflit, l'éditeur fait la paix avec Amazon, pour profiter d'une saison des fêtes prochaine, et ne pas manquer les ventes à venir.
Le 16/11/2014 à 16:56 par Nicolas Gary
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16/11/2014 à 16:56
Hamed Saber, CC BY 2.0
D'aucuns se seraient lassés de ces échanges incessants, à travers la presse, les communiqués, ou les interventions d'auteurs. Mais pour les sociétés, le problème se résumait à peu de choses : Hachette perd des ventes, et Amazon s'offre une vilaine publicité. Pour tenter de faire plier le premier, et lui imposer des prix bas, pour la vente d'ebooks, le second avait déployé une armada de solutions bien tordues. Délais de livraison excessivement longs, aucune remise sur les ouvrages (papier ou numérique) et précommandes supprimées.
Évidemment, deux commerçants n'en arrivent pas à ces extrémités sans un différend originel, aussi dévastateur que la pomme qu'Adam croqua – au moins. Qui des deux a déclenché les hostilités, bien habile qui le déterminera. Qu'importe : ce 13 novembre, Amazon et Hachette Book concluent un accord, le font savoir au monde entier, qui s'en félicite, exulte : le happy end avec coucher de soleil, en somme. Au point de faire disparaître les raisons du désaccord ?
Victoire après prolongations et tirs au but, mais de qui ?
Rappelons quelques faits : d'abord, Amazon s'est mis en tête de faire grimper ses marges, et ses bénéfices, parce que les investisseurs grognent. Chaque nouveau résultat financier affiche des pertes, pas tout à fait le tableau qu'attend un actionnaire. Aussi, Amazon a demandé aux éditeurs d'abonder à « un fonds de développement marketing », ou co-op, qui ponctionne 5 à 7 % du montant des ventes brutes.
En somme, toutes les solutions telles que les précommandes, les affichages de recherches, les recommandations personnalisées, et autres services permettant de bien encadrer le client, sont payants. Exactement comme un Barnes & Noble pouvait faire payer la présence promotionnelle d'un ouvrage, dans ses boutiques. Sauf que la méthode de discussion d'Amazon ressemble à celle d'un bulldozer.
Car, à vrai dire, il importe peu de savoir qui a gagné ou qui a perdu dans cette discussion, surtout que les détails de la transaction ne sont connus que d'une poignée d'élus. La bataille s'achève, chacun enterrera ses morts, et ils auront tous la tête de Benjamin Franklin – le billet de 100 $ américain. Amazon a une fois de plus démontré qu'il pouvait couper l'arrivée d'eau, dès que ça le chantait, et Hachette a su bomber le torse, et faire rouler les muscles. Bravo.
En revanche, il ne faut pas oublier que les lecteurs et les auteurs (qui sont aussi lecteurs) ont passé leur temps à compter les points. Bien entendu, tout le monde s'est ému de ce que les manœuvres amazoniennes auraient pour conséquence, à l'avenir, de réduire les opportunités pour les nouveaux auteurs. Des maisons d'édition pressurisées par des conditions marchandes trop agressives ne prendront plus de risques, publieront des ouvrages mainstream qui assurent des revenus, et vogue la galère vers un appauvrissement de l'offre.
Le retour du contrat d'agence, outil anti-dumping ?
L'accord devrait donc avoir protégé tant les auteurs que les lecteurs, mais l'idée n'est pas partagée par tous. À compter de 2015, l'éditeur et le revendeur mettront en place le modèle sur lequel ils se sont entendus : un contrat d'agence, qui permet à l'éditeur de fixer le prix de vente. Et fait redouter un retour des ebooks chers, chose déjà prévue par Amazon.
En effet, cette fixation des prix est exactement ce pour quoi le ministère de la Justice américain a condamné Apple, en août 2013 – condamnation que les éditeurs américains ont évitée de justesse en versant une amende de 166 millions $. Ces derniers s'étaient engouffrés dans la solution contractuelle que les équipes de Steve Jobs proposaient, et qui avait accompagné le lancement de l'iPad : 30 % de commission pour Apple, et prix fixé par l'éditeur. Moralité : on les accuse d'entente : les prix de vente avaient littéralement explosé, ce qui ne déplaisaient pas aux éditeurs, à tous les éditeurs en même temps.
C'est que, généralisée à tous les revendeurs, cette solution de contrat avait mis tous les revendeurs sur un pied d'égalité, et bien entendu, contrarié les plans d'Amazon en la matière. Sans concurrence possible, avec des prix uniques pour tous, le géant de Seattle n'avait plus les moyens de pratiquer un dumping décrié, mais qui lui conférait un net avantage sur tous les autres libraires en ligne. Le procès n'avait pas tardé, après que le DoJ a décidé de suivre les recommandations d'Amazon, et ouvert une enquête.
Je te tiens, tu me tiens...
L'une des questions que soulève ce nouveau contrat d'agence, provient des déclarations conjointes de Michael Pietsch, le grand patron de Hachette Book et David Naggard, vice-président Kindle : si Hachette fait des efforts sur ses prix de vente, alors Amazon octroiera des conditions plus intéressantes. Or, dans un courrier aux agents et aux auteurs, Michael Pietsch a garanti que les montants reversés aux auteurs seraient inchangés. D'ailleurs, on s'amusera de lire que c'est le vice-président de Kindle qui intervient, et non le PDG d'Amazon ou encore son bras droit : tout ne tournait donc qu'autour du Kindle...
Beverly, CC BY 2.0
« Le nouvel accord offre des avantages considérables. Il nous donne la pleine responsabilité des prix publics de nos ebooks. Cette approche, connue sous le nom de contrat d'agence, protège la valeur du contenu de nos auteurs, tout en permettant à l'éditeur de modifier les prix des ebooks de manière dynamique et de sorte à maximiser les ventes. Surtout, le pourcentage du chiffre d'affaires sur lequel les droits d'auteurs de Hachette sont versés, pour les ventes numériques, ne diminuera pas en vertu du présent accord », assurait justement Pietsch.
Tout porte à croire alors que les prix publics seront revus à la hausse, pour que l'éditeur s'aménage une marge de manœuvre, en cas de besoin. Et après tout, Carolyn Reidy PDG de Simon & Schuster, ne disait rien de moins dans un courrier adressé aux auteurs, sur l'accord passé avec Amazon « économiquement avantageux, à la fois pour Simon & Schuster et ses auteurs, puisqu'il maintient la part des revenus pour l'auteur, sur les ventes de livres numériques ».
Une sécurité, bien entendu, mais dans le cas où le prix de vente diminuerait, comment les auteurs sont aussi assurés qu'ils verront leurs revenus diminuer. Et d'ailleurs, pourquoi ne pas profiter de l'accord pour fixer un taux de droits d'auteur supérieur à ce qu'il n'est aujourd'hui ? Disons, 40, voire 50 % du prix public ?
2015 est un autre jour... qui durera plusieurs années
Ce retour du contrat d'agence encourage les observateurs à considérer que, somme toute, Hachette a remporté la partie. Sauf que les « conditions plus avantageuses » que promet Amazon ont tout de l'objet de pression – autrement dit, si les menaces cessent, le chien n'a pas lâché son os. D'autant plus que l'accord est dit pluriannuel : aucune renégociation n'interviendra avant un petit moment. Un marché apaisé pour quelque temps, où chacun a pu retrouver un peu de sa superbe – et surtout, ne pas manquer la saison des fêtes.
Rappelons que fin septembre, les éditeurs britanniques ont demandé l'ouverture d'une enquête, soulignant que le marché numérique, « souffre d'un déséquilibre chronique et déstabilisant pour les auteurs, les éditeurs et les libraires ». Les autorités de la concurrence ont été saisies pour que justice soit faite – cette fois, pas celle des contrats, mais bien celle qui prévaudra pour l'ensemble du marché. La Publishers Association jurait : « Les débouchés commerciaux pour les livres numériques sont restreints et trop peu nombreux. » Et d'estimer que « le marché de la vente de livres imprimés, en ligne, est également très restreint... ce qui, finalement, limite le choix des consommateurs des acteurs de la vente au détail ». La régulation du marché de tout un pays, et plus simplement des accords de branche...
Mine de rien, cet accord ressemble à l'alliance de la carpe et du lapin : d'un côté l'éditeur protectionniste, de l'autre, le revendeur arriviste. De là à clamer qu'il s'agit d'une grande victoire pour les auteurs et les lecteurs, il faut tout de même savourer le cynisme. Et surtout, cela ne change rien à ce qu'Amazon possède 50 % du marché du livre, selon les différentes estimations. Si l'on parle de match nul, c'est que l'on oublie que se jouaient seulement là les éliminations.
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