Depuis quelques semaines, le poète Xavier Frandon laisse derrière lui des feuilles A4 sur lesquelles sont imprimées des lignes de textes. Ce sont ses poèmes, mais aussi ceux des autres, qu'il dépose ça et là, au quotidien, pour diffuser ce mode d'expression. Avec en ligne de mire, l'aspect « centrocentré » d'un art qui s'est éloigné de son public.
Le 13/02/2015 à 15:54 par Antoine Oury
Publié le :
13/02/2015 à 15:54
Les premiers poèmes ont été déposés il y a deux mois, la page Facebook du projet PAQCAD a fait son apparition il y a trois semaines. « Pour l'instant, je suis seul pour déposer les textes. J'en mets dans le métro, dans les supermarchés, parfois dans des libraires, au cinéma... Je préfère des lieux de passage immédiat, plutôt qu'un emplacement extraordinaire qui peut être préféré par des accrocheurs ou des graffeurs », explique Xavier Frandon.
Ces pages A4 qu'il abandonne au rayon charcuterie font apparaître plusieurs textes, selon la longueur, en rimes. « Je ne veux pas de textes en prose, car cela pourrait faire penser à un tract politique ou une publicité, et susciterait moins l'intérêt des gens », explique-t-il. Avant même la création de la page Facebook, son initiative avait vocation à accueillir d'autres auteurs, et ne s'est jamais limitée à une « campagne d'affichage narcissique ».
D'ailleurs, l'auteur a toujours signé Xavier F., préférant indiquer l'adresse de la page Facebook (et le nom complet de l'auteur, si le texte n'est pas de lui). « De toute façon, personne ne connaît mon nom. Avec la page, je veux voir si une dynamique se crée. » S'il rappelle à plusieurs reprises que le projet est né d'une « envie de s'amuser », il véhicule également l'intention de casser l'aspect « centrocentré » de la poésie.
« Personne ne connaît les poètes de ces 40 dernières années, même des auteurs installés chez Gallimard comme Guy Goffette, et les revues ne rassemblent que le petit monde de la poésie, avec des gens comme moi qui les achètent. On peut aussi comprendre qu'un recueil de 80 pages à 15 € rebute un public plus large, la poésie est devenue un objet de luxe », explique-t-il.
Et Frandon de citer Pablo Neruda, qui allait déclamer ses textes dans les usines, ou la Russie, qui incorpore beaucoup plus de textes poétiques à sa culture populaire. Selon lui, il y a un véritable problème de présence et de représentation de ce mode d'expression dans l'espace public : « Le Printemps des Poètes, j'imaginais ça comme un grand événement de déclamations publiques, et j'ai été très déçu. Je me souviens, place Beaubourg, de l'intervention de chuchoteurs de poèmes : je ne critique pas la démarche, mais elle était assez triste et invisible, au milieu de la foule. Une performance basée sur le silence dans un rassemblement populaire, cela ne me paraissait pas très approprié. »
"Il y a de la place pour la poésie, il suffit simplement de la prendre"
Plusieurs poèmes de Frandon ont été imprimés dans des revues de poésie, et il dispose d'un blog, la revue 392, mais « peu de gens vont voir les blogs ou les sites d'autres particuliers ». L'impression retient l'attention, indéniablement, « même si je ne sais jamais ce qu'il va se passer après : le papier sera jeté ou conservé. Mais, sur les 30 à 50 que je dépose chaque semaine, il y a au moins quelques-uns qui vont susciter l'intérêt. J'en ai mis un sur un panneau de petites annonces il y a un mois et demi, il y est resté. »
Comme Thomas Deslogis, qui avait publié une tribune appelant la poésie à s'intéresser à ce qui se passait autour d'elle, Xavier Frandon aimerait qu'elle sorte de son petit monde. « Je me souviens des critiques qu'on avait adressées à Houellebecq, en expliquant que sa poésie ne reposait que sur des rimes pauvres... Peut-être, et l'appréciation esthétique appartient à chacun, mais la poésie de Houellebecq se développe dans l'actualité, au quotidien. Je voudrais bosser avec des rappeurs, dans cette perspective, parce qu'ils ont su garder ce lien. »
Le semeur de poésie attend donc les contributions de ses confrères : outre l'impératif de la rime, une sélection sera peut-être opérée. « Le mode de diffusion choisi impose des images qui viennent vite, des effets rapides, et sans référence à d'autres travaux : il faut qu'une seule lecture, même rapide, permette de ressentir des choses. »
Merci à Éric Dubois, dont les textes ont été disséminés, pour son aide.
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
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