L'arrivée d'un logo Triman obligatoire, signalétique commune et simplifiée pour informer le consommateur qu'un geste de tri est possible pour les produits qui le présentent, inquiétait l'édition. Considérer le livre comme un déchet ménager n'avait rien de sexy. Dans un message adressé à ses membres, le Syndicat national de l'édition persiste et signe : l'édition n'est pas concernée. En réalité, si. Enquête.
Le 02/04/2015 à 12:17 par Antoine Oury
Publié le :
02/04/2015 à 12:17
(Alan Levine, CC BY-SA 2.0)
« À terme, il va falloir les imprimer [sur les livres, NdR] », nous précisait-on. Dans un précédent article sur le Triman, nous évoquions en effet que la nouvelle signalétique de tri concernerait bien l'édition de livres. L'apposition était donc plus ou moins obligatoire, mais avec un large champ d'application, puisqu'il était possible de présenter le fameux logo de façon dématérialisée, sur le site de la maison d'édition par exemple. Aucune sanction ou pénalité n'était prévue en cas de non-affichage.
Or, dans un communiqué diffusé à ses adhérents deux jours après notre premier sujet, le Syndicat national de l'édition assurait que les livres sortaient du périmètre d'application du Triman.
[C]ette réglementation ne s'applique pas au livre. En effet, ce décret concerne « tous les metteurs sur le marché de produits recyclables soumis à un dispositif de responsabilité élargie du producteur, qui relèvent d'une consigne de tri ». Or, le livre ne fait pas partie d'une filière REP car ce n'est pas un déchet ménager.
Reprenons à zéro, avec pédagogie : l'affichage du logo Triman, comme le précise le décret n° 2014-1577 du 23 décembre 2014, concerne «tous les metteurs sur le marché de produits recyclables soumis à un dispositif de responsabilité élargie du producteur [REP, NdR], qui relèvent d'une consigne de tri ». Le SNE l'a bien noté. Pour retrouver la définition du dispositif de responsabilité élargie du producteur, il faut revenir à l'article L541-10-1 du Code de l'Environnement.
À compter du 1er juillet 2008, tout donneur d'ordre qui émet ou fait émettre des imprimés papiers, y compris à titre gratuit, à destination des utilisateurs finaux, contribue à la collecte, à la valorisation et à l'élimination des déchets d'imprimés papiers, ménagers et assimilés ainsi produits.
La contribution peut prendre la forme de prestations en nature, dans les conditions prévues au deuxième alinéa du IV.
Dans le grand II, 2°, on peut découvrir que les producteurs de livres bénéficient de conditions facilitées pour assumer cette responsabilité élargie du producteur : le livre est bel et bien exclu de l'assiette de la contribution citée ci-dessus :
2° Les livres, entendus comme un ensemble imprimé, illustré ou non, publié sous un titre, ayant pour objet la reproduction d'une oeuvre de l'esprit d'un ou plusieurs auteurs en vue de l'enseignement, de la diffusion de la pensée et de la culture ;
Seulement, ne pas être soumis à l'écocontribution ne signifie pas que l'on puisse totalement se soustraire à la responsabilité élargie du producteur. La presse, par exemple, ne verse pas d'écocontribution, mais a signé une convention d'engagement volontaire avec le ministère de l'Environnement pour participer à des campagnes de sensibilisation. Ce qui rentre dans le cadre de sa responsabilité élargie de producteur. Le SNE a finalement considéré qu'exception valait exemption.
En fait, les éditeurs sont bien soumis à une responsabilité élargie du producteur, nous explique le ministère de l'Environnement lui-même, mais ne paient pas d'écocontribution, une contribution financière à la mise en place d'une filière de recyclage en France, versée à ÉcoFolio. Autrement dit, Triman s'applique aux livres, et la responsabilité élargie du producteur concerne l'édition.
La note erronée diffusée par le SNE
Il est vrai que les éditeurs avaient échappé à la boucle papier, un autre logo imposé aux fabricants de produits à base de papier et généralement accompagné par le paiement d'une taxe au titre de l'éco-contribution. Mais leur responsabilité en matière de tri et de recyclage est pleine et entière. Et nécessite la mise en place de solutions de grande ampleur, et non des initiatives individuelles comme le suggère la Commission environnement du SNE :
[C]haque éditeur est libre d'indiquer sur ses livres que celui-ci est composé d'éléments recyclables. Chacun peut informer ses lecteurs des engagements pris par sa maison en matière environnementale (utilisation de papier recyclé, papier issu de forêts gérées durablement, voire de recyclage des livres). Cette information peut se retrouver directement sur les livres ou sur le site internet des éditeurs.
La misère du recyclage en France
Chez ÉcoFolio, organisme qui travaille avec les parties prenantes dans l'industrie du papier, le ministère de l'Environnement et l'Ademe (Agence de l'Environnement et de la maîtrise de l'énergie), on nous précise que le travail avec les éditeurs est minimal. En effet, les adhérents d'ÉcoFolio sont ceux qui paient une écocontribution, ensuite utilisée pour financer des actions générales d'intérêt public, le financement de filières de recyclage, d'études ciblées, de campagnes de sensibilisation...
Mais même des industries soumises à la responsabilité élargie des producteurs qui ne versent pas d'écocontribution, comme la presse, travaillent avec ÉcoFolio.
« L'objectif de simplification derrière Triman, c'est pour que la France rejoigne ses collègues européens pour le recyclage du papier », explique ÉcoFolio. « Faire comprendre aux gens que tous les papiers se recyclent, mais aussi qu'il est possible d'écoconcevoir les papiers, pour qu'ils soient plus simples à recycler. »
L'organisme explique par exemple que l'édition comporte un certain nombre de stocks d'invendus, et que le recyclage de ces papiers inutiles doit se faire d'une manière plus réfléchie, pour faciliter le recyclage. Le papier peut se recycler 5 à 10 fois, et il permettrait de lever la pression écologique (déforestation), voire économique (la pâte à papier est une matière première très chère, car elle est importée).
L'édition avait fait état d'un prix très élevé de la pâte de papier, qui rendait parfois délicate l'impression des ouvrages en France : avec le coût de la main d'œuvre ajoutée à celui de l'import de la pâte à papier, difficile de s'y retrouver. Participer à la création d'une filière française du recyclage de papier sauverait la mise : « Le recyclage est local, et la filière recyclage pourrait générer entre 90.000 et 100.000 emplois, non délocalisables », nous précise-t-on. Le prix du papier recyclé est encore très variable, pour le moment, mais c'est aussi en raison de l'absence de structuration d'une filière écoresponsable.
(biphop, CC BY-NC-SA 2.0)
« La consommation de papier issue du bois est encore très importante, parce que son prix est plus faible que celui du papier recyclé. Mais il faut entrer dans un cercle vertueux, que les consommateurs achètent du papier recyclé et que les producteurs se tournent vers lui, et le prix baissera au niveau de celui du bois, voire en dessous », analyse ÉcoFolio.
La France est particulièrement en retard par rapport à ses voisins, sur le plan du recyclage de papier : 52 % des papiers sont recyclés en France (+ 3 % en un an), et l'Hexagone reste loin derrière l'Allemagne (75 %) et l'Espagne (65 %)... Depuis 2007 et la création d'ÉcoFolio, l'action est un peu mieux organisée, et la France gagne en moyenne 2 ou 3 points par an.
Le grand problème qui se présente, c'est que toutes les collectivités françaises ne sont pas à égalité devant le recyclage de papier, mais en sont légalement responsables : le coût de gestion du papier est beaucoup plus élevé que dans le reste de l'Europe, et les collectivités locales assument ces coûts au moment même où l'État réduit ses dotations.
Par exemple, certaines collectivités peuvent s'en sortir pour 130 € avec la collecte et le tri de la tonne de papier, et équilibrer leurs comptes avec le financement ÉcoFolio et la vente du papier recyclé, voire faire des bénéfices. Pour d'autres, le coût de la collecte et du tri approche les 400 €, et il est difficile de les amortir. La solution la plus économique et la plus efficace reste le dépôt de bac bleu de collecte, ou des apports volontaires de proximité, qui permettent de réunir en un certain nombre de points fixes la collecte.
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
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