Le Festival Livres & Musiques de Deauville, après plus de dix ans d'existence, reste une exception dans le paysage des événements littéraires, en associant avec rigueur les deux formes artistiques. Forte de cette responsabilité, la manifestation a cette année doublé le Prix de la Ville, afin de récompenser Célia Houdart pour Gil (P.O.L.) et Michel Bernard pour Les Forêts de Ravel (La Table ronde).
Le 11/05/2015 à 07:22 par Antoine Oury
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11/05/2015 à 07:22
Ils furent une centaine au départ, puis le jury du Prix de la Ville passa par là, présidé par Jérôme Garcin : Scholastique Mukasonga, François Bott, Philippe Labro, Arnaud Cathrine, Christine Orban et quelques autres ont mené des « débats homériques » pour réduire la liste à 20 ouvrages, puis à 7. Même si les gagnants sont connus, les membres du jury viendront chacun défendre leur petit favori.
Stéphane Héaume, lui-même lauréat en 2012, a rejoint le jury cette année et invite à découvrir Les Vrais Paradis, de François Jonquet, publié par Sabine Wespieser, « une grande découverte d'un texte qui raconte la naissance d'une jeunesse dans les années 1980, au Palace, dans le 9e arrondissement de Paris ».
Pour Scholastique Mukasonga, le coup de cœur a été inattendu : Bye Bye Elvis, de Caroline de Mulder (Actes Sud), qui commence comme une énième biographie du chanteur, bifurque soudain vers le personnage de John White, un vieil Américain grabataire qui se révélera peu à peu.
« Je ne m'étais jamais aperçu que tant de personnes venaient se suicider à Venise », remarque pour sa part Christine Orban après la lecture de San Michele, signé Thierry Clermont (Seuil). La promenade entre les tombes d'un couple amoureux, ponctuée par les évocations des épitaphes d'écrivains, de penseurs, de musiciens ou de collectionneurs.
Une musique rapide et lente, c'est le programme que se fixe un groupe de 5 adolescents, rassemblés dans un garage pour monter un groupe. Et aussi le titre du préféré de Philippe Labro, signé Cyrille Martinez chez Buchet/Chastel. Le rythme du livre épouse parfaitement le programme musical des jeunes gens, alternant entre descriptions fouillées et dialogues mitraillés. « Un bloc d'intensité », souligne Labro.
Enfin, Arnaud Cathrine, lui aussi nouveau venu au sein du jury, remet sa mention au roman Les grands, de Sylvain Prudhomme (L'Arbalète/Gallimard), l'histoire d'un sexagénaire qui replonge dans son passé de musicien après le décès d'une proche. Une immersion dans l'histoire de la Guinée-Bissau, avec les coups d'État du présent, et le contrecoup du passé.
« La musique, art suprême »
Vient le moment des lauréats : « On peut remercier Ravel, qui a inspiré à la fois Jean Echenoz et Michel Bernard », remarque François Bott. Les Fôrets de Ravel raconte l'histoire du « petit soldat Ravel », résolu, malgré son physique peu combatif, à s'engager dans l'armée lors de la Première Guerre mondiale. Il finira finalement conducteur de camions et d'ambulances, à Bar-le-Duc, ville natale de Michel Bernard.
Un des moments forts de l'ouvrage, lu par l'auteure et comédienne Anne-Marie Philipe, fait entendre Ravel, assis derrière un vieux piano déniché à l'hôpital, jouer du Chopin, du Fauré ou ses propres mélodies. « Michel Bernard a beaucoup de style, à une époque où cela n'est pas très recommandé », remarque François Bott, qui conseille également Le corps de la France et Mes Tours de France, du même auteur.
Jérôme Garcin saluera le roman Gil, de Célia Houdart, en reprenant tous les morceaux qu'elle cite dans son livre : la « Cantate profane » de Philip Toop, « Nausicaa » de Hans Herder, « Demi-jour » d'André Barsacq... Autant de morceaux de fiction, créés par l'auteure pour ponctuer le parcours de Gil, un pianiste qui se découvre du jour au lendemain une voix de ténor. « C'est la vie d'un ténor, mais dans une prose de sonate », résume Jérôme Garcin.
Les deux lauréats, étant donnée l'importance qu'acquiert la musique dans leurs écrits, sont ravis qu'un prix littéraire célèbre leur union. « Proust, Ramuz, Colette, Robert Pinget — qui a un jour échangé un manuscrit contre un violoncelle — Jean-Jacques Schuhl, tous les auteurs que j'apprécie entretiennent un lien fort avec la musique », souligne Célia Houdart.
« La musique est un art suprême » lancera Bernard Michel, qui a réalisé un doublé à Deauville en recevant le Prix des Lecteurs, décerné par la médiathèque deauvillaise le matin même. « Les écrivains voient, produisent du rêve, mais les musiciens voient l'envers du rêve. »
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