Aux dames, on dit que souffler n'est pas jouer, et, généralement, on se fait siffler un pion, perdant par la même occasion un bon coup à jouer. Eh bien, citer n'est pas jouer non plus. Ainsi, au cours de son discours de présentation de Lire en short, la manifestation nationale, dédiée à la littérature jeunesse, Fleur Pellerin a évoqué le Talmud, et une phrase habilement détournée de sa traduction originale.
Le 27/05/2015 à 11:52 par Bartleby
Publié le :
27/05/2015 à 11:52
Page du Talmud - Chajm Guski, CC BY 2.0
Voici la retranscription, mais, comme seul le prononcé du discours fait foi, nous le reproduisons également en version audio :
Une maxime talmudique voudrait que « le monde tien[ne] grâce au souffle d'un enfant qui lit un livre ». Je suis une ministre de la République, une ministre laïque, pour autant cette maxime me frappe par sa justesse. D'ailleurs, le livre est un viatique vers l'universel, il n'est « ni juif ni grec », il est simplement le reflet de l'humain, sa trace. N'est-ce pas un proverbe africain qui présente la mort d'un vieillard comme la disparition d'une bibliothèque ? Alors offrons à chaque enfant la possibilité de meubler les étagères de son imaginaire. C'est le verbe qui fait de nous des humains, et ce verbe, il faut donner à chaque jeune la chance de le rencontrer dans un livre, dès son plus jeune âge.
Cette petite phrase fait partie des choses que l'on entend, ici ou là, et même dans les mémoires de Jacques Chirac. Sauf que le président cite un peu plus justement la phrase du Talmud. Il ne s'agit pas simplement de lire – chose qui servait utilement le propos de la manifestation – mais bien d'étudier.
La phrase se retrouve dans Chabbat 119b et ses traductions peuvent varier. La Communauté juive libérale de Genève indique : « Le monde juif subsiste grâce au souffle des enfants initiés à la Torah. » La communauté israélite libérale de Belgique est plus précise : « Le monde ne tient que par le souffle des enfants du Talmud Torah »
Le campus numérique juif Akadem considère également qu'il s'agit d'étudier la Torah et d'autres fois, on retrouve une version plus allégée, qui indique « les enfants qui vont à l'école ». Bien plus scolaire, comme message, que ludique.
On retrouve un contexte plus détaillé depuis Wikisource, qui traduit
1 Que l'on installe des professeurs [pour] les enfants dans chaque pays et dans chaque région. Et toute ville qui n'a pas d'enfant à l'école talmudique – on excommuniera les hommes de [cette] ville, jusqu'à ce qu'ils installent un professeur [pour] les enfants ; et s'ils n'en installent pas, on détruira la ville : car le monde n'existe que par le souffle des enfants de l'école talmudique.
2. On mettra les enfants [à l'étude] du Talmud dès l'âge de six ou sept ans, selon sa force et sa constitution corporelle ; en dessous de six ans, on ne le mettra pas [à l'étude]. Le professeur [doit] les corriger, pour leur inculquer de la crainte. Mais il ne les frappera pas sévèrement, ou de façon cruelle ; c'est pourquoi il ne les frappera pas avec un fouet ou avec un bâton, mais avec une petite corde.
La suite du texte est assez intéressante, pour ce qu'elle présente de rigueur dans l'apprentissage imposé aux enfants, qui « ne cesseront d'étudier, même pour construire le Temple ».
Difficile, en tout cas, d'imaginer que cette rectitude soit compatible avec l'esprit de détente de Lire en short. Alors même que Fleur Pellerin déclarait un peu plus loin : «Mais je veux que la lecture soit aussi associée aux vacances, à ce moment de partage entre adultes et enfants, qui n'est plus marqué par la nécessaire discipline scolaire, mais liée à ce temps libre qui est en réalité un temps plein. Car le temps des vacances, le temps des copains, est aussi celui des livres. »
Voltaire le disait volontiers : « Le travail est souvent le père du plaisir. » Il faudra donc plancher dur cet été.
Par Bartleby
Contact : contact@actualitte.com
Commenter cet article