Plus d’énergies fossiles, plus d’eau, plus d’arbres, plus de place, plus de couche d’ozone, plus de banquise, plus de biodiversité, plus de saisons… D’ici peu la bise sera venue et l’Humanité se trouvera fort dépourvue. Alors que faire ?
Christian de Duve, médecin et biochimiste lauréat du prix Nobel de médecine et de physiologie (1974), commence par désigner un coupable : la sélection naturelle. Cette belle mécanique a la vue courte : elle ne juge que les effets immédiats et n’a donc pas de prise sur les conséquences à long terme. La théorie de Christian de Duve est que les traits adaptatifs qui ont fait le succès de l’être humain sont autant de bombes à retardement poussant l’Homme au pillage inconsidéré et égoïste des ressources naturelles et le menant, in fine, à sa propre perte. Bref, Homo sapiens sapiens a les défauts de ses qualités, et ces défauts ont des conséquences à l’échelle planétaire. Voilà en quoi, d’après Duve, l’Homme est entaché d’un « péché originel » génétique.
Malheureusement, l’auteur ne consacre que cinq petites pages à justifier et étayer cette thèse. Or il s’agit là de psychologie évolutive, discipline encore balbutiante née à la fin des années 80, dont l'objectif est d'expliquer l’émergence des caractéristiques de la pensée humaine dans le cadre de la théorie de l'évolution. En psychologie évolutive tout est toujours plus complexe qu’il n’y paraît. Par exemple, Duve reconnaît que l’Homme a le pouvoir de surmonter sa propre nature grâce à son « cerveau supérieur ». Mais quoi ? Cette qualité n’est-elle pas elle aussi issue de la sélection naturelle ?
C’est d’ailleurs l’hypothèse fondatrice de la psychologie évolutive : le cerveau humain est le produit de l’évolution et constitue une adaptation aux contraintes environnementales. La sélection naturelle semble donc à la fois à l’origine du problème et de sa solution, et son rôle est plutôt ambigu. Sans compter qu’il existe un autre suspect : l’évolution culturelle, que Duve (quoi qu’il en dise) n’envisage tout simplement pas. Il y avait là matière à maints débats.
Pourquoi de Duve, qui a très certainement la carrure et les arguments nécessaires, n’a-t-il pas défendu son hypothèse ? Car la thèse du « péché originel » génétique n’est pas un fait établi et se doit donc d’être discutée en profondeur, observations précises et exemples probants à l’appui.
Christian de Duve |
Par opposition, la parcimonie de détails « techniques » sert à merveille la première partie de l’ouvrage dans laquelle Christian de Duve explique brillamment en quoi consiste la sélection naturelle. Pour raconter l’origine de la vie, le principe de l’évolution et l’apparition de l’Homme, il ne s’embarrasse pas de références à des recherches ultra-spécialisées et, dans ce cas, il a bien raison puisque ce qu’il raconte là fait consensus auprès des scientifiques. Son récit y gagne en rythme, en pertinence, les idées essentielles ressortent clairement et s’enchaînent naturellement. Cette cadence effrénée fait de cette « brève histoire de la vie », pourtant lue et relue mille fois ailleurs, une belle synthèse qui instruira sans les ennuyer les novices et permettra aux initiés une intéressante mise en perspective.
Mais revenons au « péché originel » génétique. Au fait, quel rapport avec le péché originel ? Eh bien, à mon humble avis aucun, mais : d’une c’est vendeur, et de deux il tenait probablement à cœur à de Duve (bien que chrétien, il rejette une lecture littérale de la Bible et considère la religion comme un système moral) de redorer le blason de la Bible : « Les anciens sages en savaient assez de la nature humaine pour y déceler une faille fondamentale, héritée des premiers parents et transmise de génération en génération » (C. de D., p168). Clairvoyants les ancêtres ! Mais ils auraient mieux fait de le dire franchement plutôt que d’inventer cette histoire de serpent ! Plus sérieusement, il me semble que la notion de péché n’est pas pertinente dans le contexte, voire malheureuse.
Tout d’abord dans le péché, il y a transgression d’une loi divine, difficile de voir le parallèle avec le cas qui nous occupe : l’Homme n’aurait-il pas au contraire trop bien suivi les lois du dieu « sélection naturelle » ? D'autre part, le concept de péché appelle les notions de repentir et de pardon divin. Je ne pense pas que l’Humanité ait commis une faute dont elle doive se repentir pour obtenir le pardon de Mère Nature. Il me semble amplement suffisant, voire plus efficace, de considérer que l’espèce humaine commet des erreurs auxquelles elle doit remédier avant qu’il ne soit trop tard. L’Humanité ne doit pas racheter le salut de son âme, elle doit trouver des solutions, ce qui est quand même différent.
Justement, des solutions, Duve en propose. C’est même pour ça qu’il recherchait un coupable : comprendre l’origine du problème pour imaginer des moyens d’y remédier. De sa thèse du péché originel génétique naissent sept scénarii potentiellement « rédempteurs » (pas forcément mutuellement exclusifs). Le premier consistant à ne rien faire, je passe. Le deuxième est provoc à souhait : il s’agit de l’eugénisme grâce au clonage. Sauf qu’on est loin de pouvoir appliquer cette technologie à l’Homme et, quand bien même : « On ne voit pas comment on pourrait changer 6 milliards d’individus » (C. de D., p188). Exit donc l’évolution dirigée par ingénierie génétique. Troisième scénario : Protéger l’environnement. Tiens c’est pas bête ça ! Au-delà de la lapalissade, Christian de Duve évoque ici une idée cruciale : la dérive anti-scientifique des écologistes est très grave, car « si l’on veut des interventions écologiques efficaces, il est important qu’elles soient conduites d’une manière rationnelle avec l’aide et les conseils d’experts honnêtes et compétents ; ce que les scientifiques sont en grande majorité » (C. de D., p201).
Scénario 4 : l’évolution culturelle (envisagée comme solution et jamais comme cause possible du problème). D’après Christian de Duve, la propagande (oui, vous avez bien lu) serait le seul moyen pour que cette évolution soit suffisamment étendue et rapide. Scénario 5 : donner leur chance aux femmes… Allez, ça mange pas de pain. Scénario 6 : faire appel aux religions (oui, vous avez encore bien lu). Quoi de plus normal finalement, ne sont-elles pas les reines de la propagande ? Pour le coup, je botte en touche et vous conseille la lecture de Pour en finir avec Dieu de R. Dawkins. Enfin, dernier scénario envisagé : contrôler la démographie en favorisant la diminution de la natalité. Ça paraît effectivement pertinent.
Pas de solution miracle donc. Et une question demeure : en quoi diable avait-on besoin de l’hypothèse de « péché originel génétique » pour imaginer ces solutions possibles ?
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Emilie Gaillard est docteur en biologie moléculaire et cellulaire, spécialisée dans les neurosciences.
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