C'est vendredi, et comme tous les vendredis, voici notre épopée Vendredi, ou l'avis sauvage le vit sauvage...
Le 03/08/2012 à 18:07 par Clément Solym
Publié le :
03/08/2012 à 18:07
Notre héros (si, si) a fini par trouver de quoi se restaurer, en redécouvrant les usages primitifs, mais inoubliables, de ses différents membres : avec ses ongles, il déchire les chairs, ses dents broient les muscles et son estomac, lui, grogne face à toutes ces matières non préalablement traitées...
Mais il n'en a cure : si les nourritures spirituelles lui sont gracieusement fournies par une livraison informelle de caisses de livres, difficile de considérer la littérature à l'estomac... C'est pourtant la découverte d'un livre, isolé, oublié, qui lui a donné la motivation nécessaire pour se prendre en main : Même les cow-girls ont du vague à l'âme.
Sissy Hankshaw a les deux plus longs pouces des États-Unis, ce qui lui a valu le surnom pas très inspiré de « Berthe aux grands pouces » dans son enfance. Heureusement, le style de cet auteur, Tom Robbins, bouscule comme un taureau en rut au milieu d'un harem de vaches grasses, fournissant à ce roman d'initiation à la structure assez commune un aspect charnu qu'on n'oublie pas de si tôt : et surtout, Sissy est libre, libre d'aller où elle l'entend, où pointent ses pouces.
« - Hum ! Eh bien Sissy, l'enfant qui naît n'a pas de volonté ; il est entièrement soumis aux volontés d'autrui. Pendant les premières semaines de sa vie, il dort quatre-vingt-dix pour cent du temps. Au cours de cette période, le pouce est enfermé dans la main, les doigts le dissimulant. En d'autres termes, la volonté, représentée par le pouce, est en sommeil - elle n'a pas commencé à s'affirmer. À mesure que le bébé grandit, il commence à moins dormir, à avoir quelques idées propres et même à manifester un caractère. À ce moment-là, Sissy, le pouce sort de sa cachette dans la paume, les doigts cessent de le recouvrir car la volonté commence à s'exercer, et c'est alors que le pouce - son indicateur - apparaît. »
Même les cow-girls ont du vague à l'âme, Tom Robbins, 10/18, 10,20 €
Rédigé en 76, une partie du roman se déroule à la Rose de Caoutchouc, un ranch peuplé de cow-girls plus proche de Sappho que de John Wayne... Ce qui a commencé à lui donner des idées pour se servir de ce pouce...
Idée entretenue, surtout, par la découverte d'un mystérieux et étrange Manuel de la passion solitaire, signé Moacyr Scliar. Excusez notre bon personnage pour son inculture, mais la signature ne lui sembla qu'un pseudonyme alambiqué pour éviter la condamnation publique suite à des propos honteux : les cuisses de la couverture lui faisaient des clins d'oeil.
S'il fut vite déçu par le potentiel pornographique du bouquin, un heureux hasard évita à l'opuscule de servir de géniteur à un feu, non pas des entrailles, mais tout simplement de bois. La « passion solitaire » du professeur Haroldo, c'est bien évidemment tremper... sa plume dans un encrier :
« Le parchemin était la solution. Mes peurs y seraient consignées. Les banalités du style « cher journal, je vais te confier ce qui me tourmente » n'étaient pas de mise. Pas d'appel au secours qui tienne. Réclamer le secours de qui ? Dieu ? Comment écrire à Dieu ? S'adresser aux anges que Jacob avait vu en rêve ? Aucun ne m'était jamais apparu en rêve. [...] Écrire me permettrait de travailler mon anxiété, de la transformer, tout comme je transformais la matière brute en petites figurines délicates sous la forme de dromadaires, chevaux, agneaux, chevreaux, démons (les uns avec des cornes et une queue, les autres avec une tête de bouc). Dans les deux cas, la main jouait un rôle important [...]. »
Le manuel de la passion solitaire, Moacyr Scliar, traduit par Philippe Poncet, Folies d'encre, 18 €
Ce « chef d'oeuvre du réalisme magique » lui parut quelque peu laborieux, mais passé la retenue que suscite la chronique familiale qui se dessine à l'ouverture du roman, le Manuel s'impose comme un enfant bâtard issu d'une goutte de semence descendue le long de la jambe de dieu pour féconder des écrits apocryphes.
Bon, en tout cas, il venait pour sa part de trouver un nouvel usage à toutes ces feuilles de bananier... Et, malheureusement, ce n'était pas l'expression écrite.
Sex Press, éditions de La Martinière, Vincent Bernière, Mariel Primois, 35 €
Fourbu, vidé, c'est avec beaucoup de difficultés qu'il ramena et même ouvrit l'imposant Sex Press, qui avait dérivé pendant plusieurs jours sur les flots sans s'abîmer (merci la couverture carton de 4 cm d'épaisseur). Quand il découvrit les premières pages de ce recueil de la presse érotique et underground (mieux vaut préciser, au cas où), impossible de le refermer avant d'avoir reluqué toutes ces illustrations (et d'ailleurs, ses forces ne lui permettaient plus).
Soit une décennie de publications irrévérencieuses, sur fond de conquêtes des libertés en tous genres (politiques, sexuelles, morales) : aussi bien en France (avec Actuel, Charlie Hebdo ou Tout, parce que c'était ce qu'on voulait à l'époque) que de l'autre côté de l'Atlantique (là, c'est l'éjaculation de titres, avec Tits & Clits, Suck, Screw, Other Scenes...) Un indispensable, même si les commentaires sont sympathiques, utiles, mais peu pratiques, relégués en fin d'ouvrage et obligeant au va-et-vient (ah mais, ça explique...)
Lui s'en contentait très bien : au moins son attention ne serait pas détournée de ce qui lui occupait l'esprit, mais surtout la main, outil merveilleux... Il ne pouvait pas imaginer que, dans son dos, des cordes vocales usées par les conditions récentes mais toujours vigoureuses se préparaient à l'invectiver, voire à l'agresser...
Par Clément Solym
Contact : clements@actualitte.com
Paru le 01/04/2004
575 pages
10/18
10,20 €
Paru le 06/09/2012
227 pages
Folies d'encre
18,00 €
Paru le 10/05/2012
240 pages
Editions de la Martinière
35,00 €
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