L'adultère, voilà un sujet : une femme trompée, un mari perdu dans une relation amoureuse, une maîtresse virulente… tous les ingrédients d'un vaudeville, classique, humain, trop humain. Un ouvrage de la rentrée littéraire explore le sujet, du point de vue de cette épouse trahie : Moment d'un couple, de Nelly Alard, (éditions Gallimard). Il fait parfois froid dans le dos : quand l'amant décide de quitter sa maîtresse, celle-ci devient presque folle : harcèlement au SMS, chantage affectif, tentative de suicide... Ah, l'amour !
Quelques années plus tôt, un ouvrage publié aux éditions Stock, Un homme dans la poche, avait pris le point de vue inverse, racontant l'abandon total d'une jeune femme dans les bras d'un homme marié. Une passion immodérée, destructrice, pour un journaliste et une séparation douloureuse : « A tant t'aimer, à tant me croire aimée, aujourd'hui, je t'ai perdu mon amour. » Et chez Nelly Alard : « Il n'y a que deux choses qui m'intéressent : Un, est-ce que tu veux nous quitter, moi et les enfants ? […] Deux, est-ce que tu es amoureux ? »
Le roman de Alard débute par une séance de cinéma annulée : Olivier et Juliette, le couple légitime s'était aménagé une soirée, parce que le lendemain, le mari journaliste a prévu de partir à Rome. Dès la seconde page du livre, on est plongé in medias res : Olivier crache le morceau.
Voilà. J'ai une histoire avec une fille, c'est une élue socialiste, ça dure depuis trois semaines, et maintenant elle veut que je te quitte, et là, nous parlions au téléphone, je lui ai dit que j'allais au cinéma avec toi, elle a commencé une crise d'épilepsie, elle a laissé tomber le téléphone, elle crie, je ne sais pas ce qu'elle a, je ne sais pas quoi faire.
L'aveu de l'adultère implique que l'homme annule son voyage pour la capitale italienne. Il avait prévu de partir, justement, avec sa maîtresse. Un comble : c'est à Rome qu'Olivier et Juliette se sont rencontrés. Évidemment, cette dernière est ferme : si son mari part, il reviendra pour prendre ses valises…
La littérature fait son cinéma
Dans le roman paru chez Stock, c'est peu juste avant une séance de cinéma que l'amant se décide à tout raconter à sa femme. Or, l'amant et la maîtresse avaient prévu de partir pour l'Allemagne. Un pays où le couple légitime avait vécu...
C'était la veille du départ. Affolée, je t'avais appelé. J'étais seule, sur mon canapé, terrifiée. Tu n'aurais jamais dû me dire que vous sortiez ce soir-là au cinéma, elle et toi.
.../... Ce soir-là, tu choisis alors de tout dire. Tu te libéras sur elle et sur moi du poids de cette histoire. Tu rentras chez toi en me disant – ou peut-être ne serait-ce que le lendemain matin ? – que bien sûr nous ne partirions pas.
Une histoire de cinéma qui, dans les deux livres, occupera une place prépondérante. La maîtresse abandonnée l'évoquera comme un souvenir douloureux : il marque l'aveu de l'adultère, le voyage annulé et la fin de la relation. L'amant préfère tout raconter pour pouvoir rejoindre l'amante. Exactement comme dans le livre de Nelly Alard, où finalement, le mari ira rejoindre sa maîtresse, redoutant qu'elle ne fasse une bêtise.
On reparlera d'ailleurs de cinéma, chez Nelly, alors que la maîtresse, appelée Victoire, se présente à 23h, au pied de l'immeuble où vit le couple, avec son fils à la main. Une fois entrée dans leur appartement, une conversation surréaliste se déroule dans la cuisine. « Quand nous allons au cinéma ensemble vous faites une crise de nerfs », lancera Juliette. La séquence est sidérante.
Dans Un homme dans la poche, la maîtresse se retrouvera chez le couple et constate : « L'adultère, ça se règle en cuisine. »
Ta femme et moi, nous discutons longuement dans la cuisine. Le chat rôde. Où va-t-on, se lamente la radio. Les hommes et les femmes n'ont plus de quoi payer leur loyer, je n'ai pas de travail et le chômage touche dix pour cent de la population, mais je pleure dans une cuisine parce que tu m'abandonnes.
Chez Nelly Alard, la cuisine est un moment de souffrance, d'où Victoire sort presque triomphante, après « une finale de Roland-Garros, la foule est muette, silencieuse. Tendue ». Dans l'autre roman, c'est un motif récurrent, une véritable obsession.
"Ce fut maladroit"
Mais qu'en est-il du mari ? Confessant sa faute dans les deux romans, il choisira de prendre quelques jours pour réfléchir, dans une maison de campagne. Dans l'un, il part pour la villa des Jonquilles, seul. Dans l'autre, Olivier va à Aubigny, avec son fils. La passion de la maîtresse, dans l'un et l'autre texte, ne connaît pas de limites : elle aligne trois cents kilomètres pour rejoindre son amant dans sa retraite. « Ce fut maladroit », avoue-t-elle dans Un homme dans la poche.
À ta voix au téléphone, lorsque je t'annonçai que j'arpentais le parvis d'une église voisine, j'ai bien senti que j'avais outrepassé une limite, dépassé les bornes, franchi une ligne jaune dont le tracé suivait précisément celui de l'enceinte grillagée de la propriété familiale.
La seule chose que tu ménageais, provisoirement, c'était la villa des Jonquilles, les deux jours que tu étais censé passer seul, pour réfléchir, la maison où je t'avais rejoint malgré toi. Mais cet ultime secret partagé ne résista pas longtemps.
Chez Alard, c'est Olivier qui explique à sa femme la situation :
Le soir de mon arrivée, elle m'a appelé elle m'a dit je suis sur l'autoroute j'ai crié non, j'étais en train de coucher Johann. Il m'a demandé pourquoi tu cries, Papa ? C'était un cauchemar. Elle est arrivée plus tard, tu m'as rappelé comme je te l'avais demandé, c'était affreux, tu te souviens, j'étais essoufflé, j'ai mis cinq minutes à retrouver ma respiration, elle était dans le jardin, je ne voulais pas écourter notre conversation, j'avais peur qu'elle entre à tout instant dans la maison, que tu saches qu'elle était là.
Dans les deux livres, amant et maîtresse feront l'amour - le mari prenant soin de ne pas dormir avec sa maîtresse. Chez Alard, c'est à cause de ce fils présent sous le toit. Troublante, cette impression de lire, comme les deux faces d'une même médaille. Mais après tout, l'amour est universel…
Simone de Beauvoir, ou La femme rompue
Ainsi, et comme il se doit, chaque oeuvre contient une tentative de suicide de la maîtresse éplorée :
J'ai vu la voiture arriver et j'ai couru, j'ai traversé, quasiment sous le capot, c'était un pari, j'ai gagné, mais toi, je t'ai perdu, la voiture a pilé, ils ne roulaient pas très vite. Ils ont pilé et ont grogné et klaxonné, et sûrement m'ont prise pour une pas nette, ce qui, j'en conviens, n'est pas illégitime de leur part. Mais quand l'amour s'en va… c'était l'amour de ma vie du moins je le croyais, je croyais que le bonheur c'était toi, et rien autour dans le monde, rien d'autre ailleurs mais tout en toi, mon existence résumée dans cette longue silhouette.
ou encore, un peu plus loin :
Fais bien attention à toi, tu ne me l'as pas conseillé, homme muet, tu choisis simplement de hurler avant que je ne me précipite devant les roues de la voiture qui arrivait trop doucement.
Tout cela est très lyrique, et pour Victoire, la scène est bien moins glorieuse :
Dès qu'on a été dans la rue, on l'a lâchée, elle a essayé de se jeter sous une voiture devant nos yeux.
.../...
Il prend son air exaspéré. Qu'est-ce que tu voulais que je fasse, Juliette. Tu as entendu ce que je t'ai dit ? Elle s'est jetée sous une voiture DEVANT MES YEUX. Devant tes yeux, bien sûr, soupire-t-elle, soudain épuisée, très calme. La prochaine fois qu'elle vient ici, je te préviens, j'appelle les flics.
Mais ce qui commencera à réellement perturber le lecteur, c'est la présence grandissante de Simone de Beauvoir dans le livre d'Alard. Elle apparaît sous la forme d'un cadeau de Victoire à Olivier, La femme rompue, en Folio. La stratégie est intéressante : Beauvoir raconte comme un homme marié finit par quitter sa femme, alors qu'il entretient une liaison. C'est finalement Juliette qui lira ce texte, sorte de journal intime racontant la vie d'une épouse abandonnée.
On le devine, il n'en est pas fait mention dans Un homme dans la poche, mais ce qui rend cette allusion troublante, c'est qu'elle rejoint un faisceau d'éléments qui prêtent à sourire. En effet, dans le roman de Alard, la maîtresse en question est une élue PS, qui plus est normalienne, ayant pris fait et cause pour le féminisme. Pour L'Express, il y a là matière à trouver les clefs du roman.
Tant qu'il y aura des hommes
Si le livre publié en 2005 par Aurélie Filippetti et celui de Nelly Alard, sept années plus tard, ont nombre de points communs : ils nous parlent des relations amoureuses, toujours si complexes. Quant à Beauvoir, on sait combien l'actuelle ministre de la Culture l'apprécie : elle l'expliquait à L'Express dans un entretien accordé en janvier 2008.
J'ai lu les Mémoires d'une jeune fille rangée, puis, plus tard, ses Lettres à Nelson Algren, qui ont cassé l'image de beauté froide que l'on avait d'elle. C'était la preuve éclatante que féminisme ne rimait pas avec frigidité, comme on tend parfois à le laisser penser. Enfin, en 2005, en écrivant mon deuxième roman, Un homme dans la poche (Stock), j'ai relu L'Invitée, magnifique texte sur l'adultère.
Alors qu'elle était députée PS de Moselle, elle avait également signé une lettre ouverte en 2010 à Sakineh Mohammadi Ashtiani, condamnée à la lapidation par le gouvernement iranien pour adultère, et repris dans différents médias, comme Elle.
Nous sommes les héritières de Simone de Beauvoir, des suffragettes, des 343 salopes. Nous sommes les soeurs des militantes du planning familiales, des mères de la place de mai, des femmes afghanes, algériennes et iraniennes et parce que tous ces combats nous lient, entendez chère Sakineh, du fond de votre geôle, qu'il n'y a pas de fatalité à la barbarie de ceux qui n'ont trouvé qu'une façon de masquer leur faiblesse et leur échec politique en plaçant sous le joug une jeune femme libre.
Comédie française, comédie humaine
Enfin, si le cinéma fut un moment terrible, dans le livre de Stock, la maîtresse, quelques jours auparavant, avait décidé de suivre son amant, jusqu'au théâtre. C'est à la Comédie française que le couple se rend, tandis qu'elle les attend :
Vous alliez au cinéma comme vous étiez allés au théâtre, un soir, quelque temps auparavant. J'attendais sur un banc. Je regardais les femmes passer en me demandant laquelle, en les enviant toutes d'avoir partagé avec toi ne serait-ce qu'une même rangée à l'orchestre, une loge au balcon. Comme si ce monde m'était à tout jamais interdit, plus étranger encore qu'il ne l'avait été jadis, je voyais la façade du Palais-Royal avec des yeux éteints.
Le Palais-Royal ? C'est le lieu où se trouve la Comédie française. Et justement, Olivier et Juliette ont prix un abonnement, et, chose étonnante, la maîtresse était là :
Elle était devant le théâtre hier soir, poursuivit Olivier, elle nous attendait à la sortie pour te voir. J'avais passé trois heures au téléphone avec elle l'après-midi, elle a refait la même crise que le jour du cinéma.
Plus tard, Juliette se fera cette réflexion :
Cette fille est vraiment malade, pensa Juliette, elle déraille complètement, elle se trompe de rôle, elle dit mon texte, depuis le début elle se trompe de rôle, bon Dieu, c'est pour ça qu'elle ne supporte pas qu'on aille ensemble au ciné ou au théâtre, dans le livre il ne va au spectacle qu'avec sa maîtresse.
Le livre en question, c'est… celui de de Beauvoir. Et Juliette s'en rappelle parce que Victoire a envoyé un message à Olivier pour lui dire : « Tu peux quand même me laisser une toute petite place dans ta vie. » Une phrase que… la femme trompée prononce dans le texte de de Beauvoir.
Un peu de politique (fiction ?)
Tout aussi intrigante, la question du port du voile islamique à l'école, dont fait état Alard.
Au nom de ses convictions féministes, Victoire avait défendu le droit des jeunes musulmanes à suivre un enseignement laïc sans renier pour autant leur religion. [...] Mais la position adoptée par V avait l'immense avantage d'apparaître comme audacieuse, en rupture avec la ligne majoritaire au PS, et en conséquence de faire inévitablement parler d'elle.
Et qui ne manque pas de rappeler cette pétition datée du 1er juin 2003, l'époque du roman de Alard, reprise par Libération sous le titre Oui au foulard à l'école laïque. On peut y lire : «C'est pourquoi, à la question qui nous est imposée : " faut-il interdire l'école aux jeunes filles qui portent un foulard islamique ? ", nous répondons sans hésiter : Non, car l'école laïque est une école qui doit accueillir tout le monde - et nous exigeons que soient enfin posées les vraies questions. » Et, fait cocasse, Aurélie Filippetti compte parmi les signataires, comme si la réalité et la fiction entretenaient d'étranges relations.
Deux récits qui évoquent les réactions de deux femmes : l'une prise dans un tourbillon passionnel, portant à tous les excès. L'autre, dont le courage impressionne, garde la tête froide : courageuse, patiente, prête à tout pour garder l'homme qu'elle aime, quand ce dernier se laisse porter au gré des vents. Raison et Passion. Chez Nelly Alard, tout devient cérébral, calculé, pour déjouer l'oppression : une armure mentale. En lisant Un homme en poche, la narratrice fonce dans le mur, et elle klaxonne. Avec des similitudes fortuites, ou non.
Qu'importe en fait, qu'il soit question chez Alard de l'actuelle ministre de la Culture ou que celle qui était députée de Moselle ait pu raconter, sept ans auparavant, la vie d'Olivier et Juliette. Le livre d'Alard est splendide, force le respect et parle magnifiquement des souffrances d'une femme trahie.
Toutefois, selon nos informations, la ministre de la Culture se serait émue auprès d'Antoine Gallimard, de la publication du livre de Nelly Alard...
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