Il était nu. Ou presque. Moi aussi, remarquez. Enfin, presque, aussi. Et seuls. En tout cas, seuls autour de cette petite table basse. Pour l'interviewer, changé en groupie, ce fut comme une apparition, aurait raillé Flaubert. Surtout que lui sortait d'une rencontre avec la divine Diane Kruger. Qui prenait la place de qui, en cet instant ? D'ailleurs « elle va bien, merci ». Y'avait assurément pas de Poirier dans cet établissement hors de prix, au pied de la Maison de la Radio. Mais un Frédéric Pommier, c'est certain. Et en verve. Il paraît que pour séduire, l'humour c'est important. Alors, je me lance : « M. Pommier, à force d'épingler les gimmicks et les tics de langue, de fil en aiguille, vous finirez en mercerie ? »
Le 10/04/2012 à 14:52 par Clément Solym
Publié le :
10/04/2012 à 14:52
Là, on sent bien que c'est tombé à l'eau. Il sourit. « Ce métier se prête à toutes les reconversions. » Pas certain qu'il plaisante. Il est venu pour évoquer Paroles, paroles, un ouvrage où son plaisir est « de pointer, et faire en sorte que les lecteurs aient l'oreille qui se dresse, autant que la mienne peut se tendre. Qu'ils puissent s'interroger autant que moi, en se demandant si cette expression, employée à tout va, a encore du sens. Totalement creuse ? Peut-être… »
Mince… j'oublie ma référence à Dalida. Et probablement le verre que je voulais lui proposer après l'entretien. « L'époque est outrageusement propice à ce travail. En pleine campagne les politiques s'expriment en permanence. A la télé, à la radio, dans les journaux, et à la télé, la radio encore. Cette période est propice aux expressions. C'est une mécanique différente : celle des journalistes, c'est le manque de temps, qui pousse à imiter les expressions des autres journalistes. Il suffit d'un certain parler pour avoir l'attitude. Une grande partie du travail est simiesque. Et ces expressions toutes faites sont extrêmement utiles, et consistent à empêcher d'aller chercher des expressions plus adéquates, qui ne seraient pas reconnues comme journalistiques. »
D'accord, Frédéric. Tout ce que tu veux, Frédéric. De toute manière, je m'en fous, j'écoute plus, l'iPhone enregistre tout, et je n'entends plus que le son de ta voix. Un vrai plaisir. Les mêmes intonations qu'à l'antenne, les mêmes reprises de souffle. Si je ferme les yeux, je suis sûr d'entendre mon poste de radio.
« Cette bravitude, de madame Royal, on l'a décrite comme du grand n'importe quoi. Mais les journalistes ne parlent jamais de 'petit n'importe quoi'. Il faut que ce soit grandiloquent, exagéré. Le grand air, et pas le petit air, la Grand-Messe et pas la petite messe…Pour les auditeurs, les spectateurs, il faut du grand. Dans Paroles, paroles, bravitude, je l'ai illustré avec un dialogue de personnes qui n'emploient que des mots qui n'existent pas. Et puis, pour conclure leur dialogue, j'ai ce petit encart dans lequel je rappelle que Nicolas Sarkozy a également employé une foule de mots qui n'existent pas. Les trentagenaires, pour les trentenaires, d'héritation, pour héritage, de conquérance, pour conquête, de latitude pour fatuité… Mais l'intérêt des médias était alors pour les bourdes de madame Royal, et pas les barbarismes de Nicolas Sarkozy. Qui est plus coutumier des barbarismes que des néologismes. »
Ainsi, Paroles, paroles, c'est un éclairage différent sur ces mots. Une construction qui amène vers trois niveaux de lecture. Un titre, composé d'un délicieux mot-valise, dans la droite succession des poèmes de Laforgues, puis une narration, un texte, un récit, qui se donnerait à lire tout simplement, tout facilement. Puis, petite cerise, c'est un encadré historique, « qui remet en perspective et donne sens, pour employer deux expressions très en vogue, justement ». Visuellement, cela donne quelque chose d'intéressant, mais c'est dans le sens qui se dégage des trois lignes que l'on découvre la quatrième voie. Et pour cela, reconnaît Fred'Pom', pas besoin de se faire couper la tête…
« Tout se lit ensemble. Les nouvelles un peu plus longues pourraient se passer de l'exergue et du titre. Mais un texte comme La Douillette ne pourrait pas avoir de sens privé de l'exergue. C'est un bon exemple pour montrer que les mots tuent. A fortiori quand ils sont employés par des politiques. Le sens y est dans la narration, mais ce qui lui donne son éventuelle efficacité est dans l'exergue, qui rappelle que, oui, David Douillet avait employé le mot 'tapette'. Et qu'après, il s'était défendu de ce que l'on avait sorti le mot de son contexte. Contexte qui était… son livre. » (rires) « Et moi, je m'appuie sur tout cela pour faire rire. Parce que la vie est trop triste pour que l'on ne s'amuse pas de tout ce que l'on peut. Mais pas seulement. »
Un quart des textes avait été prévu pour la radio, mais « cela ne marche pas. Je ne suis pas capable de compiler ces textes. Dans la radio, on est sur l'instant, dans l'actualité de la semaine. Après, ça n'a plus de sens. Même si le livre permet de redonner un contexte. C'est aussi cela que je trouvais intéressant : ces phrases des politiques, désormais, elles nous appartiennent. Avec Formules en toc et mots en tic, je retrouvais le va-et-vient des formules médiatiques : les journalistes qui parlent à la radio ou la télé essayent de parler comme les gens de la rue, et ceux de la rue imitent le parler des gens de la télé. Comme de plus en plus de personnes de la rue sont interrogées pour la télé, on donne la parole à tout le monde… les radios libres, puis les émissions donnent leur quart d'heure de célébrité à tout le monde. Alors, ce premier livre était sur le vocabulaire commun. Au contraire, Paroles, paroles relève de la mémoire collective. »
Ainsi, « je vous demande de vous arrêter », tout le monde sait que c'est de Balladur, alors que l'on a tout oublié de ce qu'il a fait. « Nicolas Sarkozy pourrait rester le président du 'Casse-toi pov'con', et ne laisser que cela à la postérité. De même, 'Au revoir', c'est Giscard. Il faut être un grand malade pour aller retrouver dans les archives de l'INA ce qu'il avait dit avant. » De quoi en déduire que Frédéric Pommier est un grand malade ? « Complètement. Et assumé. » (rires)
« Je ne suis pas un méchant. Je ne maîtrise pas la méchanceté. Le livre ne se veut pas grossier, ni injurieux. Alors, oui, ils en prennent pour leur grade. Mais c'est justifié : plus on a de hautes fonctions, plus nous incombent de devoirs et de responsabilités. Pour revenir sur le 'Casse-toi pov'con' de Sarkozy, ou quand il parle de 'racaille' oui, je pense qu'il n'a pas le droit de dire ça. Je pense que David Douillet n'a pas le droit de parler de 'tapette', que Laurent Wauquiez n'a pas le droit de dire que les dérives de l'assistanat sont un cancer de la société. Je pense vraiment qu'ils n'ont pas le droit. Alors, je m'en prends à eux de façon détournée, mais leur fonction leur interdit, devrait leur interdire de parler comme ça. Que Villepin dise qu'il est 'déterminé à aller jusqu'au bout', ça ne mange pas de pain. Et pourtant, c'est aussi l'expression de ceux qui ont… 'jeté l'éponge'. Ils ont tous envie de venir à notre rencontre, mais aucun ne se demande si l'on veut réellement les recontrer… »
Dans cette histoire d'expressions, c'est finalement un jeu de dupes. « Ils cherchent tous la formule - Mélenchon est probablement le meilleur aujourd'hui. Pourtant, tous veulent avoir celle qui fera la Une des journaux le lendemain, mais ils se font avoir, parce que les journalistes sont des filous et qu'ils cherchent celle qui les met en défaut. »
Et 18 bis Boulevard Hache-coeur, une autre chronique qui relève plus de la création radiophonique, toujours sur France Inter, une prochaine adaptation ? « C'est ce que l'on me demande dans les Salons du livre. Les auditeurs viennent me le réclamer. Un livre avec des dessins, pourquoi pas ; en réécrivant tout, bien sûr… Peut-être même dans une édition numérique, cela s'y prêterait bien. » Un exercice de création essentiel, même si épuisant - « on enregistre tout le jeudi, alors dans la nuit du mercredi au jeudi… je ne dors pas, c'est plus simple ».
« La radio, c'est un instantané. Si l'on fait une bourde, ou que l'on se trouve moins bon, on se rassure en disant que ce n'est que de la radio. L'apparition du podcast, ou de la vidéo change un peu la donne. Mais souvent, cela ne reste pas. Les auditeurs ne retiennent pas longtemps. Une voix en chasse une autre, les chroniques succèdent aux chroniques, et l'oreille, très sollicitée, ne peut pas tout retenir. Alors, je suis allé à l'antenne en me disant que j'avais la chance d'avoir un micro, et me disant qu'il fallait qu'il se passe quelque chose. C'est une conception éloignée du journalisme, mais très créatrice, que je revendique. C'est ainsi que je mène les chroniques du vendredi matin. Le feuilleton permet quatre fois par semaine de faire entrer les auditeurs dans mon monde, et d'ouvrir la porte à mes personnages. Et puis, on écrit des livres ou l'on fait des enfants, pour que quelque chose reste. Moi je fais de la radio. Mais j'ai envie qu'il reste quelque chose. Le livre, ça reste aussi. »
Voilà… 45 minutes avec Fred' Pom'… La groupie en sort ravie. Le journaliste a les dérapages nécessaires. Et son petit livre ? « Oh, il y a plein de choses qui manquent ; je suis méticuleux et perfectionniste. Parfois, des expressions me viennent, que je regrette de ne pas avoir mises. Aujourd'hui, je ne peux plus renouer avec mon passé de journaliste politique, alors il faudrait que je revienne avec d'autres gimmicks. Il faut être inspiré, et ne pas lasser. Je préférerais que celui-ci trouve son public. »
L'avantage, c'est que Paroles, paroles n'est pas un livre de circonstances. Dans un an, on peut le retrouver, le reprendre et sourire tout autant. « Ce livre est une divagation littéraire, mais pas exactement… C'est une promenade littéraire, à travers les formules politiques qui enrichissent notre mémoire commune. Certaines d'entre elles auront une postérité - un tiers. Je vais vous embêter, parce qu'il en a 50, et que c'est impossible à diviser trois. »(éclats de rire)
« Mais pour les expressions qui resteront, certaines sont déjà ancrées. Le 'Je vous ai compris', plus personne ne peut l'utiliser. Plus aucun ne peut se risquer à le reprendre, sauf à passer pour un pâle imitateur du général. Surtout que je vous ai compris, signifiait je vais vous trahir. L'indignation d'Hessel a marqué les esprits ; le 'casse-toi pov'con' aussi… »
Pas pour le meilleur...
Paru le 16/02/2012
202 pages
Seuil
14,20 €
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