Chers voisins : "J'ignorais les joies de la surveillance des poissons rouges"
Elles sont grinçantes ou douces, elles nous parlent de nous, de notre société, c'est la rubrique estivale de ActuaLitté : les Lettres du Mont Moulin...
Chers voisins,
J'ignorais jusqu'à très récemment les joies de la surveillance des poissons rouges que vous nous aviez confiés, la veille de votre départ en vacances. Fish & chips – c'est ainsi que vous les aviez baptisés - occupent maintenant l'espace de notre vieille télévision dans la cuisine et répondent désormais aux noms de Zig et Puce (enfin, quand ils entendent !). Nous avons organisé pour eux des concours de rumba et de merengue dominicain, mais ils ont l'air plus motivé par le rhum, façon ti'punch, qui clôture leur déjeuner que par la musique latino.
Le vétérinaire est venu hier accoucher la femelle (très certainement Puce) d'un bâtard de brochet de 3,3 kg que nous avons mis dans un bocal séparé. C'est fou ce qu'un poisson aussi petit que Puce pouvait accueillir dans son ventre.
Qui aurait donc pu penser à une fécondation aussi aberrante entre un poisson rouge et un grand prédateur de nos belles rivières de France ? Je pense qu'un défaut de surveillance est à l'origine de cet accouplement nous a dit le veto – en nous lançant un regard suspicieux - qui a été obligé de faire un rapport à la Direction des pêcheries de la Seine. Le travail de la parturiente a duré 12 heures environ mais l'habileté du veto a permis d'éviter les écarteurs.
Le petit a déjà commencé à grossir (pas facile de le peser dans l'aquarium quand il bondit pour attraper ses proies) et nous le découvrons d'une voracité extrême. Philomène a laissé la première phalange de son majeur au cours du dernier repas. J'ai su lui apporter quelques paroles de réconfort en lui démontrant qu'elle ne s'en servait pas beaucoup. Enfin, vous verrez les progrès du bestiau à votre retour.
Zig et Puce semblent apprécier la promenade quotidienne en scooter, l'aquarium télévision fixé adroitement sur le siège passager par deux sandows. J'ai pris la précaution de recouvrir leur nouveau lieu de vie d'un couvercle hermétique afin que l'eau ne s'échappe point dans les virages. Un bocal à poignées aurait été plus adapté. Il paraît que cela existe déjà et que l'on appelle cela faitout ou marmite dans certains foyers.
Hier, nous sommes allés voir couler la Seine. J'ai eu nettement l'impression qu'ils se sentaient davantage en sécurité dans leur cage de verre que dans l'eau grise du Port des Champs Élysée ou j'avais arrimé leur coquette demeure. De retour à notre appartement, Zig a consciencieusement léché la paroi vitrée, signe évident de reconnaissance pour la variété Oranda à laquelle il appartient et, Puce a manifesté sa joie en remuant ses tubercules nasaux ostensiblement, comme tout poisson Pompom qui se respecte.
Avec quelques cours intensifs de tagalog et de pilipino, j'ai fait ce que je pouvais pour les instruire, mais j'en ai ras les branchies. Je sens bien que vous leur manquez. Rien ne remplace la tendresse de parents adoptifs tels que vous qui plongent leur tête dans l'aquarium, une fois par semaine, pour resserrer les liens affectifs, en remuant les oreilles. Aussi, nous attendons impatiemment votre retour prévu pour vendredi prochain, jour de la friture.
J'espère enfin que vous disposez de quelques économies, car la note du vétérinaire est assez salée.
Mais vous pourrez la payer en trois fois, car ce n'est pas tous les jours qu'on accouche d'un brochet mâtiné d'un faux semblant de carpe.
Je vous baise amicalement les nageoires.
Par Clément Solym
Contact : cs@actualitte.com
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