Chaque semaine, ActuaLitté et Effervescence, association réunissant les étudiants et anciens élèves du Master Édition et Audiovisuel de Paris IV-Sorbonne, vous donnent rendez-vous : retrouvez dans les colonnes de notre magazine une chronique, réalisée par les étudiants de la formation, racontant la vie du Master et de l'association. Cette semaine, un nouveau retour sur la Journée Portes ouvertes du 6 avril !
Le 23/04/2013 à 10:40 par Association Effervescence
Publié le :
23/04/2013 à 10:40
Trois tables rondes thématiques avaient été organisées lors des premières Portes Ouvertes du Master Édition et Audiovisuel, organisées par Effervescence le samedi 6 avril, pour aborder tour à tour les questions de l'adaptation du livre au cinéma, de la série télévisuelle et de l'édition numérique contemporaine.
Si vous n'avez pas eu la chance d'assister à la dernière table ronde de la journée, voici ce que vous avez manqué…
La question initiale était simple : quelles sont les possibilités éditoriales contemporaines en matière de numérique ? Car si l'édition numérique est devenue incontournable pour tous ceux qui s'intéressent à l'univers du livre, elle soulève également beaucoup de questions et remet aussi bien en cause le processus de commercialisation que la communication à développer autour du livre.
Les intervenants du jour ont tour à tour exposé leurs regards, leurs expériences personnelles et leurs visions à la trentaine de spectateurs venus suivre la discussion pour tenter de leur apporter quelques éléments de réponse : Nicolas Gary, rédacteur en chef du site ActuaLitté, a orchestré la discussion entre Julie Guilleminot, éditrice aux Éditions L'Apprimerie, Étienne Mineur, co-fondateur des Éditions Volumique et Xavier Cazin, fondateur de la plateforme Immateriel.fr.
Le numérique, étape de plus dans la création éditoriale
Le numérique a certes bouleversé nos pratiques de lecture, mais il a surtout touché le milieu éditorial en son cœur : le métier d'éditeur est remis en questions tout en prenant davantage de valeur. Les acquis sont à reconstruire, les réflexions éditoriales reprennent de plus belle et remettent en jeu les fondements du métier : il faut pouvoir manier la typographie et trouver des manières de jouer avec la mise en page, comme on le fait déjà avec le livre papier.
Les intervenants s'accordent sur le fait qu'il ne serait pas juste de considérer que le métier est en régression à cause de l'arrivée du numérique ; au contraire, il est en pleine évolution. Aux éditeurs de trouver d'autres idées, d'autres concepts, d'autres approches, notamment en termes de technologie avec l'arrivée de l'EPUB 3. Les petits éditeurs ont la possibilité de côtoyer les plus grands par leur créativité, condition sine qua non à leur succès. Les toutes jeunes éditions de l'Apprimerie en sont un bel exemple ; les jeunes concepteurs qui composent l'équipe ont voulu préserver l'expérience de lecture des plus jeunes tout en effectuant une transition entre les livres découverts au cours de leur enfance et ceux plus austères qui leur étaient imposés au collège.
Julie Guilleminot et ses collègues ont su prouver, par leur inventivité, qu'un livre pouvait être drôle par sa mise en page avec, pour leur Voyage au centre de la Terre revisité, un sommaire en forme de boussole.
Pour Étienne Mineur, la vraie révolution du numérique réside dans le fait de pouvoir poser ses doigts sur un écran ; ce geste, anciennement proscrit, témoigne d'une nouvelle manière d'appréhender l'objet « livre ». Les petites maisons d'édition, à l'image des éditions de l'Apprimerie et des éditions Volumique, doivent avoir des auteurs investis et ingénieux, prêts à proposer et à tester de nouvelles choses, capables de réfléchir sur les comportements de lecture actuels.
Pourquoi ne pas concevoir, par exemple, un livre de cuisine numérique où les pages tourneraient toutes seules, évitant ainsi les tâches de beurre, de chocolat ou d'huile sur l'écran ? Pourquoi ne pas utiliser une interactivité sans écran et mobiliser de la sorte les atouts du numérique sans pour autant tomber dans la facilité ?
Le numérique engendre une redéfinition du métier d'éditeur qui pourrait finalement s'avérer positive ; il ne s'agit pas de rompre avec les codes traditionnels, mais d'en inventer de nouveaux pour s'inscrire dans une époque en pleine mutation. Les tablettes, liseuses et smartphones invitent à repenser la notion de confort de lecture : il faut pouvoir se sentir à l'aise en lisant sur un support numérique et retrouver le plaisir que l'on a à tourner les pages du papier. Or, s'il est acquis que l'édition ne peut plus contourner la question du numérique, celle-ci demeure pour certains éditeurs une source de frilosité évidente : lorsqu'ils réalisent un chiffre d'affaires de 97 % grâce au papier, quelle raison auraient-ils de se lancer dans le numérique ?
Car vendre des livres numériques suppose également pour les éditeurs une réflexion autour de la propagation des ouvrages : comment atteindre les lecteurs qui vont acheter leurs livres dans des libraires de quartier sans passer par Apple ou Android ? Il faut des relais de distribution capables d'assurer la liaison entre l'éditeur et son public ; mais dans cette organisation idéale, difficile de contourner le géant Apple…
L'hégémonie Apple
Apple pourrait effectivement être perçu comme un dieu tout-puissant dans ce monde de l'édition numérique, avec un droit de vie ou de mort lourd de conséquences. En changeant ses règles tous les trois mois, il impose aussi ses contraintes en termes de contenu aux éditeurs, littéralement soumis à la dictature de la Pomme.
Il existe actuellement 5 points de vente qui effectuent 95 % du chiffre d'affaires en termes de numérique, et les rares librairies qui tentent de leur côté de distribuer les ouvrages dématérialisés représentent entre 3 % et 4 %. Le problème posé par le support est majeur ; il faut trouver un moyen de le contourner et proposer, pourquoi pas, des URL qui pointeraient vers des fichiers. Xavier Cazin, co-fondateur de la plateforme Immatériel.fr, estime que cette solution serait la bonne.
Malgré l'hégémonie d'Apple, le géant américain offre tout de même la possibilité à de petits éditeurs de distribuer leurs créations dans le monde. Pour faire exister les livres de manière générale, le mieux est encore d'aller chercher les acheteurs un à un, mais les éditeurs numériques ont bel et bien l'avantage de pouvoir déposer leurs ouvrages sur l'AppStore tandis que les maisons d'édition papier doivent se contenter de leurs réseaux habituels. L'actualisation immédiate de l'offre après une éventuelle mise à jour est un autre atout non négligeable ; tandis qu'il faut lancer des réimpressions pour le papier, le numérique peut instantanément corriger d'éventuelles erreurs.
Il est bien sûr possible de contourner la dictature d'Apple en inventant ses propres règles. Un auteur doit pouvoir dire « J'écris ce que je veux, quand je veux ; à mon éditeur de tout mettre en œuvre pour que le public puisse y avoir accès. » Car la censure économique imposée par Apple a de graves conséquences ; un auteur de BD peut s'autocensurer parce que son éditeur va lui demander de changer un détail afin que les 5 000 exemplaires prévus soient vendus. Progressivement, les auteurs n'oseront plus proposer leurs projets et se conformeront aux critères Apple afin de proposer une offre répondant à une demande économique. Comment peut-on repenser la logique de vente et ainsi contourner la dictature économique des 5 points de vente numérique ? Comment attirer le lectorat vers une offre dématérialisée sans le priver d'une qualité rédactionnelle ?
Le streaming
L'offre streaming pourrait être une solution à envisager, selon Étienne Mineur ; tout comme elle existe déjà en ce qui concerne la musique, il faudrait partir de cette piste de réflexion pour les livres et l'adapter aux demandes du lecteur. S'il y a un plaisir physique dans le fait de posséder matériellement un bon livre, puisqu'on l'achètera plus facilement si on a aimé le lire, pourquoi ne pourrait-on pas dans ce cas jouer sur une offre « Fremium » offrant un accès gratuit à un extrait du livre ou au premier chapitre, qui deviendrait ensuite payant pour obtenir la suite du livre ? Cela permettrait à la fois d'alimenter le réseau des ventes d'ouvrages numériques tout en conduisant le lecteur vers des ventes physiques potentielles suite à des lectures coup de cœur. Dans cette optique, il faudrait donc que la qualité soit au rendez-vous puisque le plaisir de la lecture du livre numérique serait un plaisir à retrouver dans la relecture et la possession de sa version papier.
La solution du streaming pourrait devenir la polémique de demain, avec notamment la question de la valeur en toile de fond : si je permets aux lecteurs d'accéder à un livre de manière semi-gratuite, comment monétiser ce service et quelle valeur sera celle du livre ?
Dans tous les cas, les possibilités offertes par l'édition numérique contemporaine semblent émerger d'une seule et même idée : la créativité. Pour que le livre numérique existe, aux auteurs de construire une histoire prenante, aux éditeurs de leur faire confiance et d'être à la fois inventifs, ambitieux et téméraires. L'avenir de leurs maisons semble résider dans leur capacité à communiquer autour de leurs ouvrages et à répondre aux demandes du lecteur 2.0 en lui proposant de nouvelles manières de concevoir l'objet livre.
Rendez-vous la semaine prochaine pour faire le bilan de la table ronde sur l'écriture de la série télévisée ! En attendant, on est sur Facebook et Twitter.
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