L'État s'approprie nos livres sans nous demander notre avis, on nous dépossède de la seule richesse qui fait notre vie – la loi sur les indisponibles est une goujaterie.
Le 23/03/2013 à 10:59 par François Bon
Publié le :
23/03/2013 à 10:59
Donc ça y est, malgré toutes les critiques, malgré le non-dialogue, malgré les signatures extorquées à des organisations qui ne représentent qu'elles-mêmes tout en parlant au nom des écrivains, la BNF vient de mettre en ligne le moteur de recherche des milliers de titres qu'elle s'approprie sur notre dos.
Et pourtant, qu'est-ce qu'ils en ont claqué, de l'argent public, pour condamner l'opt-out du temps où c'était Google qui mettait des livres en ligne...
La goujaterie de la BNF au service des basses oeuvres de l'État, c'est beaucoup plus sur la manière de faire, que sur l'escroquerie commerciale.
Il faut quand même commencer par l'escroquerie commerciale : dans 2 mois j'ai 60 ans, je publie depuis exactement 31 ans. Je n'ai pas d'autre travail, jamais eu de salaire fixe. J'ai commencé à cotiser à l'Agessa en 1986, ça veut dire que vers mes 68 ans, en 2021, je pourrai prétendre à une retraite d'environ 2/3 de SMIG. Ma seule possession c'est mon travail, les livres que j'ai écrits et qui font l'objet de contrats de commercialisation avec mes éditeurs successifs. Je n'ai pas d'autres revenus que ceux que je retire de l'exercice de ce métier, là par exemple pour 10 jours au Maroc avec des stages enseignants et les conférences.
De ce travail qui est le mien, dans ma petite boutique d'artisan, les sbires virtuels de la BNF entrent sans frapper, ouvrent mes armoires, me piquent trois livres et disparaissent. C'est aussi simple et brutal que cela : ce que j'ai de meilleur, la seule chose qui résulte de mon travail, les sbires de la BNF viennent et me le prennent.
D'après cette loi que tout le monde a condamnée, mais que le ministère de la Culture socialiste a cautionnée sans sourciller, sans doute occupé à des tas de problèmes bien plus graves que quelques plumitifs réduits à la situation de quasi clodo, la BNF devait publier la liste des ouvrages saisis par ses sbires. Même pas : on vous balance un site avec une case moteur de recherche, et à vous d'aller tâtonner à l'aveugle pour savoir lesquels de vos titres ont été raflés.
Didier Daeninckx se retrouve ainsi avec 12 titres spoliés. Et il vit de quoi, le Didier, sinon de son écriture. Il paraît que ce matin une lettre recommandée est partie de la poste d'Aubervilliers à l'attention de la direction de la BNF, avec pour titreContre le hold up. Dans les 12 titres volés à Daeninckx, À louer sans commission, numérisé par nos soins, illustrations et inserts codés par nos soins, en diffusion numérique depuis 2 ans sur publie.net et donc l'ensemble des librairies numériques qui nous diffusent. C'est ça, les indisponibles ?
Non, on essaye de se frayer notre chemin avec un travail numérique artisanal de qualité, et ils viennent nous verser leur seau de merde sur la figure, avec des numérisations faites à l'arrache, moulinette de scannage déversée au kilo sur la toile. Ce qui les gêne, c'est quoi, notre démarche ? C'en est même ridicule, puisque la BNF est abonnée à publie.net, ce dont nous sommes reconnaissants. La BNF paye donc des officines privées pour numériser un titre dont elle propose déjà l'accès à ses usagers. L'argent public n'est pas à ça près.
Et c'est pareil pour Lilian Bathelot avec son beau Zinedine, que nous proposons aussi depuis 2 ans en numérique, et depuis septembre dernier en papier plus numérique. Et c'est pareil pour Michel Embareck, 4 livres sous le boisseau, dont 2 que nous diffusons sur publie.net. Je n'ai pas checké tout le monde : 3 titres de Jacques Serena, 3 titres de Michèle Kahn.
Dans cette loi, un arrangement obscur qui fait que les sociétés d'auteur, la Sofia principalement, mais la Scam semble complice, se feront reverser une part de la commercialisation, et une fois payés leurs luxueux hôtels, leurs modestes salaires de direction, les aréopages de communicants qu'ils emploient, reverseront trois broquignoles à l'auteur. Comme s'il n'y avait pas déjà assez de branches mortes dans ces usines à gaz détournant l'argent de la création vers ces organismes opaques, avec le droit de prêt en bibliothèque, la taxe sur la copie, le pourcentage sur les ventes de clés USB, bureaucratie qui étouffe et nous étouffe.
Pour ce qui me concerne, trois titres :
Limite, publié chez Minuit en 1985, mon 2ème livre, mais droits repris il y a 3 ans en accord avec Irène L.. Ce livre, je ne l'ai pas numérisé, mais entièrement recopié, en installant pour chaque séquence un commentaire sur le making-of. Plutôt qu'un livre numérique, je propose depuis plusieurs mois l'accès ouvert à cette version web complètement originale. La BNF me vole un livre caduque, et commercialise sans autorisation un texte que j'ai décidé de diffuser moi-même sur mon site, dans une version enrichie, révisée et augmentée.
30, rue de la Poste, en 95, après 4 ans d'ateliers d'écriture à Sète et Montpellier-La Paillade, je publie au Seuil une suite de fictions brèves chaque fois liées à un visage croisé dans ces ateliers. 15 ans après, les personnages-sources de 30, rue de la Poste sont loin des ateliers d'écriture, j'ai toujours rapport avec plusieurs d'entre eux, mais si j'ai décidé de ne pas reprendre ce livre, c'est pour ne rien grever de leur vie d'aujourd'hui. La BNF passe avec son rouleau compresseur, et rafle le livre.
Le Solitaire : vers 1991, un éditeur exigeant, toujours aux frontières du livre d'art, François-Marie Deyrolle, accueille un bref travail en binôme avec un proche ami graveur, Jacques Muron, et une série de gravures au burin spécialement crées pour ce livre à petit tirage. Qu'est-ce que l'État gagne à aller massacrer un tel travail d'édition fine ?
Donc tout faux.
Évidemment, on nous en prévient, le droit de demander – c'est ça l'opt-out – le retrait de l'ouvrage. Le vol d'abord, et à vous de vous débrouiller pour réparer le casse. On clique sur le formulaire et on remplit les case :
civilité, demandent-ils, 1er critère obligatoire – et toi, BNF, t'en as eu de la civilité pour entrer chez moi et venir fouiller mes armoires ?
engagement sur l'honneur à fournir que je suis bien l'auteur de mes propres textes – en dehors de l'absurdité, puisque c'est eux-mêmes qui me déclarent l'auteur de ce texte, sinon je ne l'aurais pas trouvé – toi, BNF, t'en as eu, de l'honneur, à venir visiter mes chiottes voir s'il n'y avait pas encore un petit épuisé à mettre dans tes poches ?
envoyer une copie de ma carte d'identité, comme chez les flics – et toi, BNF, je peux avoir l'identité des sbires que tu as employé à ton ramassage ?
Je vais le faire cependant. Parce que je ne veux pas que s'accomplisse sur mon dos un acte de vulgaire arracheur de sacs. J'accepterai l'humiliation de rédiger une déclaration sur l'honneur comme quoi j'ai l'honneur d'être moi quand j'écris mes livres, que j'ai une carte d'identité et que je paye mes impôts.
La BNF, qui a dû payer des centaines de milliers d'euros pour son site et 'informatique derrière (au moins ça de rassurant, les voleurs ont probablement dû eux-mêmes se faire voler), prévient que je n'ai pas le droit de faire la démarche en une fois pour mes 3 livres, que je dois faire 3 fois la démarche. Du nul. Et ils vont me dédommager, du temps que je vais perdre simplement pour récupérer ce qu'ils m'ont volé ? Tu parles.
Je voudrais finir là-dessus. J'ai repéré un titre de Jean-Paul Goux (son essai sur Gracq), et un titre de Philippe de la Genardière, un titre de Pierre Bergounioux : 3 auteurs que je mets très haut dans le contemporain, mais qui ont fait le choix de rester à distance des pratiques Internet. Ils ne sauront donc jamais le vol ?
Mais, pour deux auteurs mes aînés, pour lesquels j'ai amitié et respect, autant pour l'homme que pour l'artiste, 9 livres de Jacques Roubaud, et 10 livres de Bernard Noël. Voilà 2 de nos plus considérables auteurs, de stature internationale. Ils ont chacun, cette année, 82 ans. Cher Jacques, cher Bernard : on les condamne, à 80 ans passés, à envoyer à la BNF leur carte d'identité et leur déclaration sur l'honneur pour réclamer le bien spolié ? Eh, la BNF, chez Bernard Noël il y a plein de magnifiques tableaux des plus grands peintres, ses amis : tu ne veux pas aller lui en piquer un, aussi ?
En plus, tous les conservateurs de la BNF vous diront que Jacques Roubaud continue de traîner bien souvent ses pataugas dans les salles de lecture – vous n'auriez pas pu le prévenir ? Et Bernard Noël, POL a entamé la publication de ses oeuvres complètes. En admettant que nous n'ayez pas son e-mail, à nonoleon (c'est comme ça que commence son mail), POL ça ne vous dit rien, ça ne figure pas dans vos répertoires ?
Là, c'est la goujaterie qui s'ajoute au vol. Je n'aurais jamais cru ça de mon pays. Je croyais aussi que la BNF était précisément une institution qui se portait garant que certains territoires resteraient à l'écart de la cochonnerie du monde.
J'ai honte. Juste : je ne me laisserai pas faire. Et vous appelle vous tous, auteurs, et même vous tous, qui n'avez pas jugé utile de venir expérimenter avec nous la diffusion numérique, qui n'est pas une affaire de moulinette et de vente au kilo, mais d'accompagnement, de mise en place, de propulsion, de solidarité réseau, à aller farfouiller dans le champ recherche de la caverne des voleurs – ne les laissez pas vous spolier, faites la demande de retrait. Transmettez le message autour de vous, à chacun de vos amis auteurs concentrés.
Merde à l'État, merde à la BNF. Ils n'ont plus notre confiance. Nous avons tout accepté, et même notre réduction à l'état de quasi clodo. Mais le pur dépouillement, vol par effraction, parce que notre travail c'est notre seul bien, on ne laissera pas passer.
article sous licenceCreative Commons BY-NC-SA
Commenter cet article