Le réseau social est devenu l'un des enjeux d'un internet de partage et d'échange. Après l'ère du 2.0, voici celle de la sociabilisation, dans le cadre d'outils spécifiques. Facebook avait montré la voie, et maintenant, chaque secteur dispose de sa déclinaison. Le livre dispose également de ses réseaux sociaux, et plusieurs acteurs se partagent le marché de la lecture et des chroniques en ligne.
Le 03/06/2013 à 10:05 par Nicolas Gary
Publié le :
03/06/2013 à 10:05
Fin mars, l'édition américaine était chahutée : Amazon venait d'investir dans la société Goodreads, réseau social du livre historiquement installé aux Etats-Unis. La somme investie serait de 150 millions $, mais surtout, les motivations sont multiples. L'une des dernières informations, était que Goodreads et Apple se seraient rapprochées et qu'un accord était sur les rails. En devançant cette alliance, Amazon a fait d'une pierre plusieurs coups.
Pour un libraire, plusieurs éléments motivent quant à la création d'un réseau social autour de sa boutique en ligne :
Amazon, depuis ses premiers temps, s'était appuyé sur la construction d'une communauté de prescripteurs, avec la publication de commentaires des acheteurs. Cette solution, qui a généré différentes polémiques, reste encore trouble : comment différencier un commentaire posté sur le site marchand, par monsieur Quidam Lambda, et celui qui a été acheté par une société chargée de valoriser le livre, ou le produit en question.
Social network friends de Adrian Serghie,
CC BY-SA 2.0
Diversité des acteurs et offres diverses
Le rachat par Amazon signifie donc le retour des liens de vente qui pointeront exclusivement vers le site du cybermarchand. Un manque pour les autres vendeurs en ligne, évidemment, mais également le renforcement d'une position monopolistique pour Amazon. Avec cet investissement, le cybermarchand devancerait également une possibilité d'évolution que Goodreads aurait eue à l'esprit, selon différentes sources : le réseau social aurait eu dans ses projets à venir que de créer sa propre librairie en ligne. Une initiative qui aurait pu précipiter le rachat, plutôt que de voir un réel concurrent se mettre en place.
À l'inverse, pour les éditeurs, la question de la diversité des acteurs littéraires du net, outre-Atlantique, va commencer à se poser : une fois Goodreads racheté, les acteurs prescripteurs ne seront plus légion... Une autre forme de monopole, qui est encore assez lointaine en France - alors que, si les enjeux se dessinent, ils n'ont pas encore les proportions américaines.
Au fil des mois, en France, se sont lancés plusieurs acteurs sur le marché du réseau social. En s'appuyant sur les audiences de Médiamétrie, nous avons réalisé un relevé sur le trafic estimé, croisé avec le nombre de chroniques présentes sur le site en ligne - dans la mesure de ce qui était perceptible. La période définie court du 1er mai 2012 au 29 avril 2013, pour disposer d'une courbe et d'une évolution sur l'année.
Voici un premier descritptif des acteurs. Les datas que nous présentons ici sont issues des données Médiamétrie, partant des six derniers mois. On constate assez clairement qu'en terme de trafic, Babelio tient le haut du pavé, avec deux acteurs qui se distinguent ensuite : Myboox (qui n'a pas retourné nos questions) et BD Gest', qui se démarque en ne se se positionnant justement pas dans la stricte catégorie Réseau social du livre.
Passage en revue des différents intervenants
Entrée livre, le réseau monté par les librairies Decitre, Libfly ou Lecteurs.com semblent pourtant ne pas exister dans les données de Mediamétrie.
Trafic en visiteurs uniques des sites, selon Médiamétrie (exprimé en milliers de VU/mois)
Concernant les contributions des usagers sur les différents sites, il est plus ou moins simple de les comptabiliser soi-même, bien que les acteurs nous les aient communiquées par la suite.
En date du 13 mai, lorsque nous avions arrêté les compteurs pour cette enquête, les chiffres étaient alors les suivants :
De tout cela, il est assez simple de dégager deux conclusions : d'abord, les acteurs dont l'audience n'est pas même repérée par les compteurs de Médiamétrie n'ont probablement pas un trafic délirant. Ensuite, Babelio, en tant qu'acteur historique, se démarque clairement sur les différents aspects - trafic, critiques et croissance.
Site réellement à part, mais particulièrement significatif, BD Gest' est un acteur dont la place, dans le paysage BD français, n'est plus à démontrer, et cela se reflète somme toute très bien dans les critères. Reste alors l'exemple de Myboox, qui a associé une activité de réseau social, à un outil de diffusion d'informations, et dont l'activité sur la toile est finalement liée, comme tout média, aux fluctuations des buzz médiatiques. Par exemple, la diffusion d'un billet sur Google Actualités génère entre 30 et 40 % de trafic supplémentaire, par rapport à un billet qui ne profiterait pas de cette rediffusion.
Notons que BD Gest' est également rediffusé par Google Actualités.
Réseau de lectrice, plus ou moins sociables
ironypoisoning, CC BY-SA 2?0
La prescription sur internet, grande interrogation ?
Mais il faut également en conclure que l'offre des réeaux sociaux du livre intervient à une période où la probématique de la prescription est essentielle. Pour un lecteur, traditionnellement, la recommandation en librairie se déroulait avec le seul libraire, qui avait réalisé sa table avec sa sélection. On y retrouvait également de petits cartons avec son avis sur les titres favoris.
Son travail se déroulait donc autant sur la présentation des livres choisis, autant que sur l'accueil du client. On pourra à ce titre réécouter notre interview avec Benoît Bougerol, ancien président du Syndicat de la librairie française, qui soulignait tout l'importance de l'accueil. Et du sourire. Surtout du sourire.
Cet accueil, combinait à une certaine connaissance de la clientèle, représentait une forme d'âge d'or de la librairie. Surtout qu'il convient de remettre un peu en question la capacité d'un être humain à connaître idéalement les goûts de ses clients. Il n'empêche que, dans les faits, il est certain qu'un bon librare que l'on questionne parviendra à faire des propositions cohérentes.
L'arrivée sur Internet change toute la donne : il est possible de faire l'équivalent d'un millions de tables, car il n'existe aucune limitation d'espace. De même, on peut disposer d'un catalogue de 500 000 titres en stock... pour lesquels il faut impérativement avoir du contenu enrichi. En révisant son algorithme, Google, avec la mise à jour Panda, avait en effet réalisé un tri gigantesque dans les sites de e-commerce, en faisant tomber le référencement des sites qui n'affichaient pas des informations originales. Pour ressortir, il fallait distinguer sa fiche produit de celle de on voisin. C'est ainsi que certains, Amazon en tête, on eu recours à de la recommandation automatisée.
Si l'on ajoute à tout cela une fonctionnalité qui permet aux clients-lecteurs d'interagir les uns avec les autres, et de se faire découvrir mutuellement des ouvrages, alors on se retrouve devant une plateforme qui, englobant tous ces aspects, devient un réseau social de lecteurs.
somiz, CC BY 2.0
Nouvelle ère de sociabilisation et marchés futurs
Avec le rachat de Goodreads par Amazon, c'est une autre page de la prescription de livres qui s'est ouverte. L'intérêt étant que les internautes découvrent chez l'un et achètent chez l'autre - et comme les deux sociétés n'en forment plus qu'une, la boucle est bouclée. En somme, les réseaux sociaux, s'ils n'ont pas tous vocation à devenir des librairies, ou à être rachetés par des sites de e-commerce, pratiquent la prescription et la mise en relation essentielle, sur internet.
Probablement la raison pour laquelle, en september 2009, Libfly avait proposé un rapprochement avec le Syndicat de la librairie française.
Basé sur une vision commune de la promotion des livres et de la lecture, un partenariat entre le portail LIBFLY et le réseau de la librairie permettrait aux utilisateurs de LIBFLY de rechercher et de réserver directement un livre dans toutes les librairies présentes sur le réseau.
LIBFLY mettrait donc à disposition des libraires son outil innovant de mise en relation entre libraires et lecteurs ainsi que ses contenus. Ce service permettrait aux internautes d'obtenir une liste des librairies possédant le livre recherché et de le réserver en ligne pour un retrait ultérieur. Pour un confort de recherche accru, LIBFLY associerait ce service aux fonctionnalités de géolocalisation du site, afin de permettre aux lecteurs de repérer automatiquement les librairies les plus proches de son lieu de résidence qui possèdent le livre recherché. Les membres du site pourraient également choisir de sauvegarder une liste de librairies qu'ils fréquentent plus particulièrement pour privilégier la visibilité des résultats dans cette sélection d'établissements.
Pour un lecteur, le réseau social devient alors un nouvel espace de découverte, de prescription et d'échanges interlecteurs. Est-il possible que s'opère un effet de vases communicants entre recommandations de lecteurs et de libraire, comme le soutient Entrée Livre - qui a fait reposer son modèle sur ce principe ? Difficile à déterminer.
Il faudrait cette fois faire intervenir la critique que l'on trouve dans la presse, pour établir, cette fois en examinant les contenus mêmes, et les oeuvres, comment s'organise cette autre approche de la prescription... (votre notre article : La presse dans l'abîme des Big Datas)
Notre dossier est assorti de 5 interviews auprès d'acteurs du livre 2.0 :
Nous les mettrons à jour si nous recevons les réponses de Myboox et EntréeLivre.
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
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