Au commencement, il y avait les ténèbres. Et après ? Face au grand mystère de la création, notre rédaction étant un sanctuaire de pêcheurs laïque, il nous aura bien fallu nous résoudre à nous munir de nos bâtons de pèlerins pour aller donner notre langue au Chat. Pas n'importe lequel, celui de Philippe Geluck.
Le 23/10/2013 à 10:07 par Julien Helmlinger
Publié le :
23/10/2013 à 10:07
Car après le succès du Chat Erectus, l'artiste belge signe son retour annuel en librairies avec deux nouveaux ouvrages : La Bible selon le Chat aux éditions Casterman, et Peut-on rire de tout, un bouquin en prose pour changer, publié chez JC Lattès. Entre deux rendez-vous avec les médias de masse, le caricaturiste s'est réservé un peu de son temps pour répandre la bonne parole dans les colonnes d'ActuaLitté. Doux Jésus...
Les moutons les plus bigots doivent possiblement retenir leur souffle, invoquant leur berger en grinçant de toutes leurs dents. Pendant que d'autres créatures hérétiques, davantage portées sur l'eucharistie que sur les chemins de croix, se demandent peut-être quelles levures peuvent bien fermenter dans le sang du prophète de Bruxelles. Pour ce 18e album du félin, toujours conjugué au second degré, Geluck s'attaque à la périlleuse caricature du sacré. Blasphème ?
On ne trahira sans doute pas un grand secret en affirmant que pour Philippe Geluck, auteur de bande dessinée que l'on ne présente plus, il faut rire de tout, et ce 11e commandement est probablement le plus divin à ses yeux. Dans la Bible du Chat, récit BD dans un format à l'italienne, parce que dessiné sur application, et comportant deux livres réunis en un seul coffret, l'écrivain nous fait revivre un Premier Testament au poil. Avec son essai publié chez Lattès, Peut-on rire de tout ?, le Belge enfonce le clou sans même avoir besoin de nous faire un dessin. Si les deux livres se répondent, comme nous le confirme Geluck, cela ne nous a toutefois pas empêché de lui poser quelques questions.
Habemus Geluck
ActuaLitté : Quand la souris de Disney s'adresse aux bambins, à qui parle le Chat ?
« Je ne m'adresse pas à quelqu'un en particulier, je m'adresse au public en général comme quelqu'un qui fait du stand-up. Et avec l'expérience je me rends compte qu'en fait, le personnage parle au lecteur. Même si je fais des grands tirages et que je m'exprime sur des médias de masse, la relation d'un livre c'est entre l'auteur et le lecteur au moment où il lit de façon très linéaire. Au début je pensais m'adresser à des jeunes adultes. J'avais 22 ou 23 ans quand j'ai créé le Chat, pensant m'adresser à des gens de ma génération et je me rends compte désormais que l'éventail est beaucoup plus large. Cela va des enfants de 8-10 ans jusqu'au très vieux. Les enfants sont attirés par le chat, s'ils ne doivent pas saisir toutes les blagues, qu'ils ont besoin d'un coup de main en ce qui concerne les références culturelles, sinon ils perçoivent très jeunes le second degré. »
Pourquoi s'être tourné vers la caricature et la figure féline en particulier ? Un moyen de taper fort sans en avoir l'air ?
« Le chat est venu comme ça, on choisit pas un personnage, ça s'impose, une espèce d'évidence. La caricature... Depuis longtemps j'écris des choses, déjà du temps du 'Docteur G', et surtout au moment de 'Geluck se lâche' et de 'Geluck enfonce le clou'. Là j'ai pris un vrai plaisir à tremper ma plume dans le vitriol et l'essai que je publie chez Lattès est dans cet esprit là. J'ai fait une publication qui ressemble à un livre, à un essai, à un truc sérieux sur des questions graves ou en tout cas récurrentes, et puis en fait ça part très vite dans un délire absolu. Tout ce qu'on teste, y compris dans les idées, il faut le tordre comme un élastique afin de vérifier sa solidité et moi c'est l'exercice auquel je me livre [et quitte à ce que ça claque]. »
En menant le Chat sur le terrain de la religion, n'avez-vous pas peur du blasphème ?
Le prophète consulte son dictionnaire avant de poursuivre :
« 'Blasphème : parole qui outrage la divinité, la religion ou le sacré, ou par extension une chose ou personne quasi-sacrée'. Mais on peut se demander en quelle mesure on pourrait s'estimer blasphémateur quand on ne fait pas partie de ladite religion. Les livres sacrés sont interprétés par les spécialistes, et ce n'est pas toujours pris au pied de la lettre, car les préceptes sont un peu difficiles à décrypter. Ce n'est pas un mode d'emploi comme pour un lave-vaisselle, du coup je n'ai pas l'impression de blasphémer parce que je ne suis pas dans cette règle, je ne suis pas baptisé. Et je pense que c'est ce qui donne la plus grande liberté de pensée. Si on y réfléchit, donner une religion à des enfants, c'est un peu leur enlever leur liberté de réfléchir, on leur donne les réponses avant qu'ils ne se posent les questions. C'est une forme de manipulation mentale dès le berceau. »
Un regard vers le ciel, l'inspiration divine n'est pas loin :
« La religion c'est quelque chose qu'il faut faire en privé, il n'est pas nécessaire de montrer son culte à tous les passants. »
Et le sérieux le plus profane revient :
« Il devrait y avoir une forme de laïcité de base qui ne ferme aucune porte et qui permette une fois qu'on a débattu et bien réfléchi, et qu'ensuite chacun se pose la question en son âme et conscience si ça va l'aider dans sa vie de choisir telle ou telle religion. Ce serait drôle d'en faire l'expérience sur une micro-société et voir trente ans plus tard ce que ça a donné, mais on ne peut pas bien sûr. »
Cette Bible du Chat, n'est finalement qu'un premier testament, et le prophète n'est nommé qu'à la fin. Il y aura une suite ?
« Je ne sais pas encore s'il y aura une suite, je vais voir comment est l'accueil. Je ne peux pas me faire un plan de carrière en me disant 'je vais faire 2 testaments d'un coup et on verra bien'. Là j'emmène quand même mes fidèles, si j'ose dire, mes fidèles lecteurs, dans une aventure que nous n'avons jamais abordée ensemble. C'est une histoire longue, une forme narrative très différente du chat classique. »
Au niveau du procédé créatif de cet opus qu'est-ce qui a changé ?
« Il y a eu énormément de changement dans le procédé créatif, en fait je me suis amusé vraiment comme un petit fou parce que le rythme du gag efficace à chaque foi, tac-tac, c'est épuisant. Là j'ai le fil d'une histoire et que je peux nourrir de choses drôles , parfois il y a plusieurs degrés de lecture et de gag dans une image, mais ce n'est pas comme je pratiquais auparavant, un dessin = un gag. C'est une autre contrainte parce qu'il faut construire le récit, tenir le lecteur en haleine, c'est différent.... »
Voilà que le Chat prend la place de Dieu et vous celle du prophète, l'animal a fini par posséder son créateur au bout des 18 épisodes ?
« Il a pris le pouvoir oui, il c'est un drôle de rapport schizophrène, 'je te crée toi qui vas me créer' , mais tout va bien entre nous. Le vrai c'est moi, et lui ne fait que jouer son rôle, comme Charlton Eston n'était pas Moïse, là le chat joue le rôle de dieu et vous y avez cru. C'est ça qui est bien. »
Tous les prophètes sont inspirés, vous, qu'est-ce qui vous inspire ?
« Moi j'ai qu'un but c'est de dispenser la bonne parole du gag, d'apporter un peu de baume au coeur de mes contemporains, au fond, j'ai la faculté de faire rire mes lecteurs et c'est très bien d'apporter du bonheur de cette façon. Ça me pousse à être bon et à bosser. Mon collaborateur principal me dit souvent de lever le pied, de faire une année sans bouquin, que je le mérite, et je réponds que du côté de ceux qui ont l'habitude de recevoir le Chat à Noël, il leur manquera quelque chose. Je sais que je suis attendu par une communauté de lecteurs et qu'ils seraient tristes. Ce rythme est là, chaque année. La poule qui ne fait pas son oeuf quotidien déçoit et si elle s'arrête trop on en fait une poule au pot. »
Comment se présente l'accueil de la communauté chrétienne ?
« Pas encore de grabuge... Dès que les livres ont été annoncés par les premiers articles de presse, il y a eu des prises de bec sur le net. Comme toujours sur les forums, des gens lancent des invectives et tout le monde a un avis avant d'avoir lu, et ça se termine en pugilat généralisé, mais ce n'est pas le plus important. Ce sont des espaces où s'expriment des gens fielleux et souvent anonymes. C'est un espace de liberté, mais si cette liberté éclabousse les autres elle ne vaut plus grand-chose. Comme si elle est trop cadrée d'ailleurs, faut trouver la juste mesure, comme l'exprimait très bien le dessin de Siné, dernièrement, 'pas de liberté pour les ennemis de la liberté'. »
Finalement, sans trop spoiler votre essai, peut-on rire de tout ?
« C'est une question de disposition d'esprit et de caractère. Moi j'arrive à rire de tout. Pour moi c'est indispensable, cela fait partie de mon équilibre de ma sauvegarde, j'ai besoin de rire des choses en le faisant fraternellement même si je peux pratiquer l'humour très vache c'est jamais blessant. Je réussis à peu près ça, à faire rire même de sujets dures et dramatiques, mais avec complicité, et sauf rares exceptions, je ne pense pas que les gens se sont sentis humiliés par mes dessins. Si c'est proche de l'insulte, ce n'est pas la peine. Cette complicité avec le public permet de partir sur des terrains minés, et sans faire des choses dégradantes. »
On peut s'attendre à ce qu'une nouvelle église soit fondée sur cette nouvelle loi ?
« Pas encore de cathédrale en construction, ce n'est pas de mon ressort, mais ce serait sympa d'avoir des brigades du gag un peu comme les témoins de Jéhova qui sonnent aux portes sauf pour faire marrer tout le monde. C'est bien, mais bon le dimanche matin on a pas forcément envie de se donner des leçons sur la rédemption, on préfère le passer en famille. »
Et le mot de la fin ?
« Le bagage de la religion catholique est quand même très lourd à porter. Les mortifications, la culpabilité, 'c'est ma faute, on est responsable..' Quand on pense aux millions de vies foutues, abîmées, salies par cette manipulation de masse, c'est quand même effrayant. Alors, j'ai fait un petit pipi face au tsunami. »
AMEN...
Commenter cet article