Chaque semaine, ActuaLitté, en partenariat avec l'association Effervescence, réunissant les étudiants et anciens élèves du
Le 13/05/2014 à 19:42 par Association Effervescence
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Publié le :
13/05/2014 à 19:42
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master Édition et Audiovisuel de Paris-Sorbonne, vous donne rendez-vous : retrouvez dans les colonnes de notre magazine une chronique, réalisée par les étudiants de la formation, racontant la vie du master et de l'association.
Cette semaine, nous partageons avec vous la réflexion de quatre spécialistes réunis autour d'une même question : les librairies françaises sont-elles sur le point de disparaître ?
« Des villes sans librairies ? » C'est le titre volontairement provocateur d'une série de manifestations organisée à l'École normale supérieure de la rue d'Ulm les 13 et 19 mars derniers par Ruth Vogel-Klein, maître de conférences d'allemand à l'ENS, et Rose Labourie, ancienne élève de l'ENS et étudiante en M2 Édition à la Sorbonne.
L'objectif était de proposer une réflexion sur l'avenir des librairies en France, à l'heure où les fermetures de ces lieux essentiels à la vitalité urbaine font régulièrement la une des journaux et où la concurrence des sites de vente en ligne apparaît plus que jamais comme une menace. Les interventions de quatre spécialistes venus livrer leur point de vue sur la question ont toutefois donné au public de nombreuses « raisons d'espérer », à contre-courant du pessimisme qui semble aujourd'hui de rigueur.
La librairie : un commerce pas comme les autres
Michel Ollendorff, consultant indépendant en gestion de la librairie, a commencé par souligner les spécificités de ce commerce, soumis à la loi Lang de 1981 sur le prix unique du livre. Il s'agissait à l'époque d'éviter que les grandes surfaces ne proposent des remises trop importantes, au risque de vider les librairies de leurs clients. Cette législation représente une exception de taille au sein du commerce de détail, car le libraire n'a dès lors pas de liberté pour fixer la marge dont il dispose et doit négocier sa remise auprès de l'éditeur ou du diffuseur.
La loi Lang a ainsi permis la survie d'un réseau de librairies dense, que de nombreux pays nous envient. Outre sa législation spécifique, la France se distingue aussi par une production de nouveautés très importante : on compte 60 à 70 000 nouveaux titres publiés par an. Cet afflux de livres est un défi permanent pour le libraire, qui doit gérer au mieux les ouvrages qui lui sont envoyés par l'office – biais par lequel les librairies sont approvisionnées en nouveautés.
Le but premier de la loi Lang : protéger les librairies indépendantes face aux grandes surfaces spécialisées
Librairies indépendantes du Poitou-Charentes
Enfin, il faut aussi avoir en tête que le bilan de la librairie est par nature structuré d'une manière particulière : le livre est en effet acheté avant d'être vendu au client. Il est donc essentiel de gérer de manière efficace le fonds de roulement de manière à ne pas laisser le stock s'accumuler, tout en gardant une offre suffisamment large. Si le commerce du livre exige une grande rigueur, Michel Ollendorff défend toutefois une vision résolument positive de ce secteur : quand elle est bien gérée, la librairie est un commerce qui fonctionne.
Le défi des sites de vente en ligne
Vincent Chabault (université Paris-Descartes), qui travaille sur la sociologie de la médiation marchande du livre, a évoqué l'influence de l'informatique et du numérique sur les pratiques d'achat du livre. La diffusion des ordinateurs et d'Internet dans les foyers depuis la fin des années 1990 a entraîné un développement important du commerce électronique. La vente de livres en ligne est un secteur florissant : aujourd'hui, 18 % des livres sont vendus sur Internet, chiffre qui ne cesse d'augmenter. Quoiqu'il existe une multitude d'acteurs dans ce secteur, on remarque un phénomène de concentration autour de deux sites principaux : amazon.com et fnac.com.
L'installation d'Amazon en France en l'an 2000 a eu une influence décisive sur l'évolution du commerce de livres en ligne. Dès les origines, plusieurs critiques ont été soulevées à l'encontre d'Amazon, notamment la question de la gratuité des frais de port, le fait que l'entreprise bénéficie de la fiscalité luxembourgeoise ou encore le problème des subventions publiques qui lui sont accordées. Une proposition de loi visant à interdire à Amazon de cumuler la remise de 5 % sur le prix du livre et la gratuité des frais de port doit être examinée prochainement, mais il convient de ne pas surestimer l'effet d'une telle mesure qui ne suffira vraisemblablement pas, à elle seule, à freiner l'essor d'Amazon.
Amazon, premier concurrent des librairies traditionnelles
Nic Taylor Photography, CC BY NC ND 2.0, sur Flickr
Vincent Chabault souligne qu'il ne faut cependant pas négliger la réflexion menée par le lecteur-consommateur, qui tend actuellement à prendre conscience des limites du système de la vente en ligne et des avantages apportés par la librairie traditionnelle. Les clients sont en effet à la recherche d'une relation personnalisée et de conseils adaptés à leur profil, ce que seules peuvent leur apporter des librairies professionnelles.
Les librairies dans l'histoire : adaptation et renouvellement
Frédérique Leblanc (université Paris-Nanterre), sociologue spécialisée dans l'appréhension du métier de librairie, distingue librairie et point de vente du livre. La différence principale tient au fait que, en librairie, le commerce n'est qu'un moyen au service du livre, et non l'inverse. Une librairie se caractérise aussi par l'association originale de livres qu'elle présente en vitrine, la manière dont elle travaille avec l'office afin de répondre aux attentes de sa clientèle ou encore la politique d'animation qu'elle mène.
La survie des librairies a en réalité toujours été un sujet d'inquiétude. Dès l'apparition des grands magasins à la fin du XIXe siècle, on a craint que ceux-ci ne représentent une menace pour les libraires traditionnels. Pourtant, depuis les origines, différents modes de commercialisation de l'imprimé et du livre ont coexisté : les libraires se sont ainsi toujours trouvés en concurrence avec d'autres acteurs, qu'il s'agisse autrefois des colporteurs ou aujourd'hui des sites de vente en ligne. Face à ces défis, la librairie a su constamment se renouveler et s'adapter aux nouvelles attentes des clients.
Les colporteurs, déjà considérés comme une concurrence dangereuse au xviie siècle
Source : mheu.org
Les inquiétudes actuelles concernant l'avenir des librairies doivent donc être relativisées. La lecture reste en effet une activité très prisée : on n'a jamais autant lu qu'aujourd'hui. Les pratiques culturelles ont de plus la caractéristique d'être cumulatives ; la place croissante qu'occupent les écrans dans notre vie n'entraîne donc pas nécessairement de désaffection vis-à-vis des livres traditionnels. Aujourd'hui, la librairie indépendante continue à faire 22 % des ventes, un chiffre qui reste constant depuis de très nombreuses années.
La librairie, une parenthèse au cœur de l'espace urbain
Enfin, Caroline Meneghetti, fondatrice de la librairie indépendante L'Ouvre-boîte, a livré son point de vue de professionnelle sur le sujet. L'Ouvre-boîte est une librairie de quartier, installée dans le 10e arrondissement de Paris, une zone géographique historiquement populaire qui est en pleine métamorphose. Chaque librairie est de fait dépendante de l'espace urbain dans lequel elle s'inscrit, de la population et des boutiques qui l'entourent. Il est à noter qu'à Paris la librairie est un commerce qui fonctionne : il y a actuellement autant de librairies qui ouvrent que de librairies qui ferment.
L'un des grands enjeux de la librairie indépendante est aujourd'hui de parvenir à faire entrer les clients potentiels dans la boutique. Le taux de transformation y est en effet extrêmement élevé : plus de 80 % des personnes qui y entrent quittent la librairie après avoir fait l'acquisition d'un ou plusieurs livres. La vitrine est à cet égard un élément essentiel, et l'une des grandes tâches du libraire est de parvenir à en faire un espace d'exposition attractif.
La vitrine, espace aux enjeux cruciaux pour les librairies
librairielusagedumonde.blogspot.com
Enfin, Caroline Meneghetti souligne l'importance de pouvoir proposer une véritable politique d'animation qui participe pleinement à la vie culturelle du quartier. Ces animations ont toutefois un coût financier important, qui est généralement tout juste compensé par les ventes générées à cette occasion. Mais il s'agit là d'une des grandes forces de la librairie physique par rapport à la vente en ligne : elle fonctionne comme un lieu de rencontre qui permet le contact entre auteurs et lecteurs. Malgré les défis qu'elles doivent actuellement affronter, les librairies continuent de résister car elles jouent un rôle social essentiel. Ainsi que l'ont souligné nos quatre intervenants, la relation entre la librairie et ses lecteurs apparaît à ce jour encore irremplaçable.
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À mardi prochain !
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