Il ne peut en être autrement. Irina Teodorescu a forcément dû naître avec le sourire. Naturel et spontané, il révèle, sans artifices, une écrivaine fort sympathique, à la fois déterminée et enthousiaste, douce et sensible, libre et sans amertume visible.
Le 25/11/2014 à 09:41 par Cécile Pellerin
Publié le :
25/11/2014 à 09:41
Un mélange de sérieux et d'extravagance discrète et fine, de vivacité et d'ingéniosité qui enchantent et s'accordent bien, au final, avec l'univers qu'elle dépeint et la tonalité qu'elle emploie dans son roman, la malédiction du bandit moustachu
À 35 ans, La malédiction du bandit moustachu est votre 1er roman (mais votre 2e publication*), mais depuis quand écrivez-vous ?
Depuis toute petite, j'écris des poèmes. J'étais en quelque sorte la poète de l'école. J'écrivais pour toutes les occasions. J'ai continué à écrire au collège et c'est au lycée que l'envie d'écrire m'a quittée. Prise ailleurs sans doute, par les Beaux-Arts d'abord puis par ma venue en France (j'ai suivi l'homme que j'aimais). Ensuite je suis tombée enceinte, me suis mariée et pendant près de 8 ans, je n'ai pas pensé à l'écriture et puis un jour, tout à coup, je me suis rappelée que j'aimais écrire et alors je me suis remise à écrire. Mais en français, cette fois.
Comment est née cette histoire de bandit ?
L'histoire du bandit est née de divers mythes, légendes, d'histoires qui circulent pas mal en Roumanie, mais, je pense en France aussi, mais à la base c'était en Roumanie. Maintenant que j'ai écrit ça et que j'ai des retours, il y a plein de gens qui me disent : "Ah oui moi aussi j'ai eu ma famille maudite". Tout le monde a une malédiction dans sa famille (rires).
À un moment donné, il y a eu en Roumanie un système de bourgeoisie opposé à des paysans qui n'étaient pas libres. Alors évidemment il y eut des mouvements de révolte et ça a créé ces bandits "Robin des bois", qui portent le nom de "Haïdouks". Je voulais que ce bandit soit comme ceux-là, mais pas complètement non plus, c'est pourquoi je n'ai jamais précisé où cela se passe.
Voilà d'où mon histoire est partie, mais en même temps, il y a l'autre histoire, l'histoire d'amour contemporaine du couple. Cette histoire-là est venue des dessins, des portraits que je fais.
Quelqu'un m'avait commandé un dessin pour un couple qui venait de se marier ; c'était leur cadeau de mariage, et, pendant que je dessinais, j'étais en train de penser à ces histoires de mariage et je me disais : "c'est fou quand même comment on y croit à fond". C'est beau et moi-même j'y crois alors que j'ai divorcé (rires). Ainsi je me posais ce genre de questions : "est-ce que ça peut vraiment exister, durer, une histoire d'amour ? Est-ce qu'on ne serait pas plutôt comme les autres animaux sauvages qui sont en couple juste pour se reproduire et après voilà, chacun suit son chemin", etc. J'avais toute une réflexion autour de ça et je me suis dit :" tiens je pourrais peut-être combiner les deux".
L'espoir me fascine ou plutôt cette caractéristique humaine de croire à des idéaux alors que c'est presque irrationnel, me fascine. Cette histoire de communisme, par exemple, me fascine aussi. Comment ont-ils pu y croire ?
Ce roman mélange plusieurs tonalités, reste assez inclassable. Histoire d'amour, mais aussi roman d'aventure et fantastique, conte populaire et philosophique, comédie grinçante, etc. comment vous y êtes-vous pris pour varier autant les ambiances sans jamais dérouter le lecteur ? Comment d'ailleurs le définiriez-vous, vous-même, ce roman ?
Alors déjà, je crois qu'il y a pas mal de lecteurs qui sont déroutés. Sur des blogs, j'ai lu que des gens avaient laissé tomber. Ils se sont perdus.
D'ailleurs dès le départ, quand j'ai eu fini d'écrire, j'ai demandé à 3-4 personnes de lire mon manuscrit pour avoir un avis et j'ai une amie qui m'a dit : « Bon, j'ai commencé, j'ai lu 2-3 chapitres…. » Et elle m'a précisé qu'elle n'arrivait pas à entrer dedans, qu'elle ne comprenait rien, que c'était trop compliqué et qu'ensuite, elle a lu la fin, qui l'a fait pleurer et du coup elle m'a donné des consignes pour que j'améliore mon texte.
À partir de ce moment-là, j'ai compris que c'était un parti pris, qu'il y allait avoir des gens qui n'aimeraient pas. C'est une espèce de quitte ou double. Mais voilà, je préfère, je crois. Je n'aime pas trop être dans le consensuel. Je n'aimerais pas que tout le monde dise : « Ah ouais, c'est rigolo j'aime bien ». Je préfère qu'il y ait des gens qui disent : « j'ai rien compris ». Je m'en fiche, au contraire. C'est pas très sympa pour le lecteur, non ?
Dans mes premiers lecteurs [du manuscrit], personne ne m'a parlé de conte. Je n'avais pas idée du conte. J'avais plutôt idée d'un film muet en noir et blanc au départ, genre western de l'Est et après le film se colore. Je l'imaginais plus comme ça et les gens ont parlé de conte. Pour moi il y a une grosse différence entre le livre fini [titre + couverture] et le texte que j'ai écrit.
J'ai vu que les gens achètent un livre drôle et moi, j'ai jamais pensé que j'avais écrit un livre drôle. Pour moi, c'est un livre un peu loufoque, mais pas drôle. À quel moment, est-on mort de rire en lisant ce livre ?
Votre roman se déroule en Roumanie. Vous êtes roumaine d'ailleurs. Pourquoi avoir choisi d'écrire votre histoire en français ?
Je n'écris qu'en français. C'est comme ça. Je pense en français. J'ai la double nationalité. Je suis née en Roumanie, j'ai grandi en Roumanie. Quand j'étais petite, je n'aurais jamais pensé venir en France, vivre en France et écrire un livre en français. C'est très bizarre. Ma famille est en Roumanie, j'y retourne régulièrement, mais j'ai beaucoup d'amis qui sont partis. J'ai beaucoup d'amis un peu partout, sauf en Roumanie.
Envisagez-vous de traduire votre propre livre en roumain ?
Non pas du tout. Je l'ai dit, je pense en français. À aucun moment, ça ne me vient en roumain. Même parfois, quand je fais des traductions à ma mère, elle est morte de rire, car c'est comme si je faisais une « Google traduction ». J'exagère ! Je parle quand même bien roumain. Mais je n'adapte pas bien en fait. Oui, c'est l'adaptation plutôt que la traduction qui se fait mal.
Aujourd'hui, comment vous sentez-vous d'abord ? Française ou Roumaine ?
À 19 ans j'ai quitté la Roumanie. Cela fait 16 ans, à peu près que je vis en France. Bientôt ça va faire le même temps ici et en Roumanie. Mais la Roumanie, c'était l'enfance et, mine de rien, c'est important. Je me sens très à l'aise dans ma langue maternelle et pas très à l'aise en français, par contre. Je sais que des fois je fais des fautes, j'ai des doutes sur quel temps utiliser, etc., mais ça me plaît en fait. Ok, je me dis, c'est peut-être pas le bon temps, mais c'est exactement ce que je voulais dire.
Comme c'est une langue qui m'échappe, le français, qui peut m'échapper à tout moment, je ne suis jamais sûre à 100 % comme je peux l'être du roumain.
Je pense que je serai roumaine toute ma vie. Je ne me sens pas française. C'est très compliqué. Je reste déracinée. J'ai un problème de place dans la vie. Je pense que c'est un peu inhérent à la question de l'immigration. C'est toujours compliqué de trouver sa place. Je ne me sens pas étrangère en Roumanie, mais je vois des différences, je les sens. Il y a des choses qui ne me plaisent pas, qui m'embêtent.
Pensez-vous qu'écrire dans une autre langue que la sienne, libère l'écriture, permet un certain lâcher-prise, apporte une distance nécessaire pour oser davantage peut-être ?
Oui. Comme la langue peut m'échapper, moi aussi je peux lui échapper. C'est un peu donnant-donnant. C'est pas grave, on ne va pas se fâcher parce qu'on garde notre liberté. Comme si c'était un organisme vivant. Du coup on a une relation à vivre.
L'idée d'écrire en roumain ne me plaît pas ni d'ailleurs l'idée que mon roman soit traduit en roumain. Ça me stresse. Le roumain est une langue que je maîtrise, je comprends exactement ses nuances et pourtant je ne sais pas comment dire des choses que j'ai dites en français en gardant la même nuance. Dans une traduction, on doit renoncer à certaines choses ; même le titre, je n'arrive pas à savoir ce que ça donnerait en roumain.
Là, le roman va être traduit en allemand. Je suis très contente parce que je ne connais pas un mot d'allemand.
Comment écrivez-vous ? Est-ce un travail facile ou laborieux ?
Ce n'est ni facile ni laborieux. J'écris à la main. Lorsque j'écris, j'écris tous les jours. Ça me prend tout mon temps. Là, en ce moment, j'écris 6 pages de cahier par jour minimum. Ce qui me prend 2 heures environ. Ensuite je tape ce que j'ai écrit et je corrige en même temps dans la même journée sinon ça me perturbe. Quand j'écris, j'ai hâte de savoir ce qui va se passer ; comme si je lisais un livre plutôt que de l'écrire.
Lorsque vous n'écrivez pas, que faites-vous ?**
Je fais des portraits avec prédiction poétique. Du coup j'écris des petites choses, des petites formes. J'ai fait des expos, je réponds à des commandes. C'est rigolo, les gens à qui je fais le portrait, finissent par réaliser la prédiction que j'ai écrite.
En fait, à la base, je suis graphiste et j'ai développé des interventions artistiques comme des ateliers d'écriture en entreprise ou destinés à un grand public. J'anime des ateliers autour de l'écriture.
Quels auteurs vous inspirent ?
Je change tout le temps. Là j'ai découvert cet été Le léopard des neiges de l'Américain Peter Matthiessen [L'Imaginaire, Gallimard]. C'est plutôt un journal de route, le récit d'une expédition scientifique, mais aussi spirituelle. Il ne se passe rien pendant près de 400 pages et j'adore, j'adore. Je n'avais aucune envie de le finir, je voulais rester avec cet écrivain, son style.
J'aimerais tellement un jour arriver à écrire comme ça, un livre où il ne se passe rien parce que, moi, lorsque j'écris, je ne peux pas résister à la tentation qu'il se passe des choses.
J'aime beaucoup aussi Mircea Eliade et son roman Forêt interdite [Gallimard]. J'aime beaucoup ce livre, cette recherche mystique à l'intérieur de ce drame.
Votre prochain projet d'écriture existe-t-il déjà ? Si oui, pouvez-vous en parler ?
Je ne sais pas à quoi il va aboutir. C'est une histoire de deux femmes artistes qui s'aiment, qui forment un couple et puis qui ne s'aiment plus. Je ne pense pas qu'il soit drôle. J'ai beaucoup de questionnements en l'écrivant, j'y mêle aussi des réflexions sur l'Art. Cela se passe en Roumanie, en France et dans un autre endroit indéterminé à une époque contemporaine. C'est un peu bizarre de parler de ça maintenant. Si ça se trouve, c'est nul.
Qu'est-ce qui vous fait rire dans la vie ?
J'ai un sens de l'absurde. Je crois que c'est un peu roumain. Je n'arrive pas à m'empêcher de raconter des conneries tout le temps. Ça exaspère mon entourage d'ailleurs, car je ne réponds jamais d'une façon sérieuse.
Sinon, j'aime beaucoup la vie. C'est vrai, mes personnages sont noirs, mais en même temps, je les aime bien. Pour Ion-Aussi, je voulais faire un personnage horrible, vraiment horrible, mais en même temps, je n'ai pas pu m'empêcher d'en faire un père aimant.
Je pense qu'on n'est jamais complètement méchant ni bon à moins d'être un Saint. La moyenne, disons les gens en général, sont comme ça, mélangés.
Que souhaiteriez-vous dire à vos prochains lecteurs ?
J'aimerais leur dire qu'ils peuvent se perdre dans mon livre, qu'il faut s'y perdre, cela n'est pas grave, au contraire !
*Treize (recueil de nouvelles), Editions Emue (2011) Librairie Chapitre
La malédiction du bandit moustachuest publiée chez Gaïa (2014) et a obtenu lePrix André Dubreuil – SGDL du premier roman librairie Chapitre
**Plus d'infos sur l'activité graphique d'Irina : http://salez-poivrez.tumblr.com/ et plus de précisions sur les portraits avec prédiction poétique, portraits à prédiction poétique
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