Chaque semaine, ActuaLitté, en partenariat avec l'association Effervescence, réunissant les étudiants et anciens élèves du master
Le 20/01/2015 à 14:12 par Association Effervescence
Publié le :
20/01/2015 à 14:12
Édition et Audiovisuel de Paris-Sorbonne, vous donne rendez-vous : retrouvez dans les colonnes de notre magazine une chronique, réalisée par les étudiants de la formation, racontant la vie du master et de l'association.
Cette semaine, un retour sur une master class du 6 janvier dernier nous donnera l'occasion d'étudier un métier en développement dans le monde du livre et de l'audiovisuel, celui d'agent.
Le 6 janvier 2014, à 19 heures, s'est tenue une master class en Sorbonne, à laquelle étaient présentes deux agents : Lise Arif, fondatrice de l'agence Lise Arif pour scénaristes et réalisateurs, et Laure Pécher, co-fondatrice de l'agence Astier-Pécher, qui s'occupe de représenter des auteurs littéraires et des éditeurs. Ces deux invitées, questionnées par des étudiants du master, ont répondu avec enthousiasme aux interrogations que beaucoup se posent sur ce métier, totalement assimilé dans certains pays, comme les États-Unis, mais relativement peu développé en France.
De nos jours, dans les pays anglo-saxons, il est pratiquement impossible d'être édité si l'on n'est pas accompagné d'un agent. Certains pays européens suivent cette voie comme l'Allemagne, où l'on estime qu'un auteur sur deux a un agent. Pourquoi la France fait-elle figure d'exception ? Cela tient aux spécificités du Code de la Propriété Intellectuelle et du droit d'auteur français qui encadre beaucoup plus les relations auteurs-éditeurs que le copyright anglo-saxon.
Ainsi, aux États-Unis, du fait de la liberté contractuelle, les négociations entre auteurs et éditeurs tenaient souvent du bras de fer et se terminaient rarement en faveur de l'auteur. L'agent est donc apparu en tant qu'intermédiaire. En France, l'utilité de l'agent ne se faisait pas sentir, mais la nouvelle réforme du contrat d'édition commence à opérer des changements en augmentant, semble-t-il, l'intérêt de cet intermédiaire. Les éditeurs eux-mêmes admettent que sa présence répartit les forces de manière plus équitable et rend les relations plus saines. On estime qu'actuellement, en France, deux cents auteurs ont un agent.
L'agent a tout d'abord pour fonction de représenter un auteur (romancier, scénariste...) en cherchant pour lui un éditeur ou un producteur. Son rôle est également d'aider son auteur à négocier ses contrats. C'est l'aspect « technique » du métier. Les négociations peuvent prendre des mois, avec des contrats pouvant aller jusqu'à quinze pages ou plus. C'est là que la présence de l'agent se justifie pleinement : les auteurs n'ont pas forcément de connaissances juridiques, ni conscience de leurs droits ou de ce qu'ils peuvent exiger. Il n'y a d'ailleurs pas que l'aspect financier à négocier, mais aussi la durée des droits, leur étendue, les droits annexes, etc.
Le métier étant complètement internationalisé, un agent voyage beaucoup, tout le temps, partout, pour rencontrer des éditeurs du monde entier et leur présenter ses auteurs. En ce qui concerne son agence, Laure Pécher précise qu'elle ne cède aux éditeurs que les droits en langue française sur les manuscrits qu'elle défend. Pour tout ce qui concerne les droits de traduction, elle négocie elle-même les contrats avec les éditeurs étrangers. À l'inverse, pour les auteurs sans agent, c'est l'éditeur qui se charge des négociations à l'international.
Ce fonctionnement diffère de celui du monde de l'audiovisuel où c'est le producteur qui se charge de vendre son film à l'étranger, une fois celui-ci réalisé. On ne vend pratiquement jamais de scénario à l'international.
Interrogées sur les qualités d'un bon agent, les deux invitées de la soirée étaient unanimes : aussi prosaïque que cela puisse paraître, le premier atout que doit posséder un agent, c'est un carnet d'adresses. Sans réseau, sans contacts, affirme Laure Pécher, on ne peut pas se lancer dans ce métier. Il faut sans cesse prendre son téléphone et pouvoir appeler n'importe quel éditeur pour lui proposer des textes. Lise Arif ajoute qu'il faut également être à l'affût des changements et des nouvelles têtes. Il faut surveiller le marché, savoir reconnaître des talents chez les auteurs, mais aussi chez les producteurs et les éditeurs, car ils seront les interlocuteurs privilégiés. « Le B.A BA de ce métier, c'est l'agenda », conclut-elle.
L'agent doit aussi posséder patience et diplomatie : « Ce sont des métiers où il y a des implications personnelles, émotives, d'orgueil très fortes, explique Laure Pécher. Et quand un auteur a travaillé des mois sur un texte et échoue, cela peut donner des choses catastrophiques. » Un bon agent doit donc aussi savoir gérer le « craquage » d'un auteur qui découvre que son roman a fait un flop, et même être capable, s'il le faut, de recoller les morceaux.
L'agent se doit également d'être pugnace ; l'obstination est de mise pour convaincre producteurs et éditeurs. Il faut réitérer ses offres, quitte à passer le relais à un collègue pour cela. Cependant, les deux invitées se rejoignent par leur optimisme : « Les échecs sont rares, dit Laure Pécher. Les projets échouent plus que les auteurs. Et si l'on n'arrive pas à placer un auteur pour un projet, tant pis, on y arrivera sur le suivant. » De son côté, Lise Arif explique : « Je dis toujours que je crois aux auteurs, pas au projet. On croit en des artistes. Le projet est une étape, un accident. »
En ce qui concerne le choix des auteurs, chaque agent crée sa liste d'auteurs et sa « ligne » exactement comme un éditeur crée son catalogue et sa politique éditoriale. Le talent de l'auteur et le potentiel de son texte sont des critères évidents, mais la dimension humaine est elle aussi extrêmement importante. Ainsi Lise Arif commence toujours par rencontrer le scénariste ou le réalisateur en personne et se fie à cette rencontre pour déterminer si oui ou non elle pourra travailler avec cet auteur.
Dans le domaine littéraire, explique Laure Pécher, l'agent travaille avec l'auteur, parfois directement sur le texte. Tous les cas de figure sont possibles : certains auteurs ont besoin de retravailler leur texte, y compris sur l'orthographe, l'intrigue... d'autres non. Dans le monde anglo-saxon, une grande partie de l'éditing est fait chez les agents. Cela ne signifie pas que l'agent doive se substituer à l'éditeur : le remaniement du texte n'a d'autre but que de proposer le projet sous sa forme la plus aboutie et la plus séduisante possible, tout en laissant une marge de manœuvre à l'éditeur, afin qu'il puisse apposer sa marque sur le livre à venir. Dans un milieu où les manuscrits sont légion, ce travail doit permettre de faire ressortir la singularité de l'auteur au milieu de la masse : selon Lise Arif, quand on est auteur, on ne réussit pas par la ressemblance, mais par la différence. Cela reste cependant paradoxal, car, dans le même temps, il faut – souvent – répondre à une commande du producteur.
Néanmoins, les deux agents soulignent la nécessité de retravailler avec précaution. « Si un texte est tricoté, détricoté dans tous les sens, au bout d'un moment, on le tue », explique Laure Pécher, ce à quoi Lise Arif ajoute : « Si l'on brouille trop les lectures, on peut finir par donner un projet incohérent. C'est fragile. Mon action principale va porter sur le pitch et la note d'intention, plus que sur le scénario. »
Remarquons d'ailleurs que le pitch n'est pas qu'une pratique du monde de l'audiovisuel ; il a aussi son importance face aux éditeurs (français comme étrangers), au point que l'on parle de romans « pitchable » ou « pas pitchable ». Laure Pécher confie que les plus gros succès commerciaux de son agence s'étaient faits sur le pitch, alors qu'ils ne correspondaient pas forcément aux meilleurs textes.
Et chez les auteurs ? Quelles sont les qualités attendues par un agent, quels sont leurs pires défauts ? Les deux agents mettent en avant la nécessité d'être réactif. Lise Arif regrette que l'écriture des scénarii soit trop marquée par des codes littéraires : « Écrire à la première personne, c'est interdit à la télé : il faut des histoires. De l'action. Écrire un bon scénario, c'est très complexe et ce n'est pas littéraire. Mais les auteurs-scénaristes ont du mal à se détacher de ces codes. Des personnes de culture scientifique font parfois de meilleurs scénaristes. »
Laure Pécher, quant à elle, déplore les illusions des jeunes auteurs. Certains n'ont aucune notion des réalités du marché du livre et ne savent pas à quel point les chiffres de tirage et de ventes sont bas. Ils sont souvent surpris de n'être vendus qu'à quatre cents exemplaires ou de ne pas être traduits. Les agents littéraires ont à combler ce manque de connaissances sur l'économie du livre.
Par certains aspects, le métier d'agent se rapproche donc de celui d'éditeur ou de producteur ; tous deux partagent cette même vocation de porter un projet, de soutenir des artistes et de faire ressortir au maximum leur potentiel.
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À mardi prochain !
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