Chaque semaine, ActuaLitté, en partenariat avec l'association Effervescence, réunissant les étudiants et anciens élèves du
Le 10/02/2015 à 15:02 par Association Effervescence
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10/02/2015 à 15:02
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master Édition et Audiovisuel de Paris-Sorbonne, vous donne rendez-vous : retrouvez dans les colonnes de notre magazine une chronique, réalisée par les étudiants de la formation, racontant la vie du master et de l'association.
Cette semaine, nous nous intéressons aux prix littéraires ! À quoi sert un prix littéraire ? Qu'est-ce qui fait la longévité d'un prix ? Comment devient-on juré ? Un prix a-t-il une identité ? À toutes ces questions, nous vous proposons de lire les éléments de réponse apportés par quatre jurés de prix prestigieux.
Jeudi 5 février, une table ronde sur les prix littéraires était organisée à la Sorbonne grâce au partenariat entre le prix des grandes écoles et la filière édition du master 2 MEA (pour en savoir plus sur ce partenariat, c'est ici). Adrien Cools (président du jury du prix des grandes écoles) et Antoine Logerais (président de l'association Effervescence) étaient entourés par quatre jurés professionnels : Pierre Assouline représentait le prix Goncourt, Christian Giudicelli le Renaudot, Christine Jordis le Femina, et Pascale Frey le prix des lectrices d'Elle.
L'identité d'un prix, son essence
Face au nombre de prix littéraires existants, il est légitime de se demander ce que chacun apporte de singulier. À la question de l'identité d'un prix littéraire, les quatre jurés étaient unanimes ; un prix n'en a pas réellement. Selon Pierre Assouline, « l'identité d'un prix ne se construit pas ».
Pour Christine Jordis, l'identité du Femina est indéfinissable, à cause, notamment, des différentes personnalités qui composent son jury : douze femmes qui se renouvellent, aux goûts très différents. Le cas du Renaudot est particulier : ce prix avait bien, à l'origine, une identité forte liée à la presse, car son jury était composé de journalistes. Christian Giudicelli a raconté avec plaisir au public l'anecdote de la fondation du prix : des journalistes attendaient le résultat du prix Goncourt. Comme celui-ci tardait à être annoncé, ils décidèrent de créer leur propre prix. Le Renaudot est depuis traditionnellement décerné le même jour que le Goncourt. Mais cette identité s'est diluée au fil des ans, car le jury se compose désormais aussi bien d'écrivains que de journalistes.
Pierre Assouline a indiqué au public que le prix Goncourt avait trouvé son identité au bout de dix ou quinze ans, remarque intéressante, car elle n'a pas été suivie d'une explication sur ce que serait cette identité. Il s'agit donc plutôt d'une stabilité : de nos jours, le prix Goncourt constitue un rendez-vous annuel très attendu. L'identité d'un prix littéraire serait donc plutôt liée à sa longévité qu'à une singularité propre : un prix finit par exister dans le paysage des lettres françaises et en devient un point de repère. Mais si les quatre jurés présents appartiennent à des prix anciens (le plus jeune, celui des lectrices d'Elle, fête cette année sa quarante-cinquième édition), vaste est « le cimetière des prix littéraires » selon Pierre Assouline.
Les professionnels de la profession, et les autres
Le respect des traditions peut cependant contribuer à ancrer un prix dans la durée et à le rendre identifiable pour le public, même si ces traditions vont contre le courant d'une époque. Christine Jordis explique ainsi que lorsqu'elle a proposé à ses consœurs d'ouvrir le jury du Fémina aux hommes, elle s'est heurtée à des réactions virulentes. Il lui apparaît désormais que c'est là une des caractéristiques fondamentales de ce prix.
Le cas du prix des lectrices d'Elle est particulier puisque ce ne sont pas des professionnels du monde des lettres qui votent. Pascale Frey et Olivia de Lamberterie sélectionnent les livres nominés, qu'elles proposent ensuite à un panel de cent vingt lectrices. Les lectrices sont choisies grâce à un questionnaire, portant sur le nombre de livres qu'elles lisent ou leurs genres préférés. Elles doivent également écrire un court texte sur un ouvrage qu'elles ont aimé. Autre particularité du prix, qui peut aussi être sa faiblesse : il récompense en mai des ouvrages parus plusieurs mois auparavant, qui sont parfois en passe d'être publiés en poche. Autrement dit, il ne contribue pas réellement au lancement d'un livre, comme la plupart des autres prix.
Pour Pierre Assouline, Christian Giudicelli et Christine Jordis, le fonctionnement est totalement différent. Ils expliquent que les membres des jurys se cooptent, le Renaudot ayant en outre cette particularité que chaque juré dispose d'un droit de veto sur les candidatures des nouveaux arrivants. Le jury doit être comme « un groupe d'amis, qui peuvent se chamailler, mais dans la bonne ambiance ». Il faut également avoir la légitimité que confère le statut d'écrivain reconnu. Cette endogamie entre jurés et écrivains, lesquels sont liés à des maisons d'édition, pose la question de l'indépendance des prix par rapport au marché éditorial. Sur ce point, les quatre jurés s'accordent pour dire qu'il y a beaucoup moins d'abus que par le passé. Selon Christian Giudicelli, l'influence des éditeurs est moins pesante qu'à certaines périodes.
Salarié d'un éditeur et juré intègre ?
Pierre Assouline explique pour sa part qu'il n'est plus possible d'être juré au Goncourt et salarié d'une maison d'édition ; une bonne chose, car « dans les années 1960, le Goncourt était pratiquement vendu à Gallimard ; dans les années 1970, c'était à Grasset. Il a même pu arriver que des jurés votent pour des livres dont ils étaient éditeurs, comme Queneau, par exemple ». Cependant, Christine Jordis nuance ce propos et remarque que la pression pesant sur les jurés n'est pas seulement exercée par les éditeurs, via les salaires ou les à-valoir, mais aussi par les liens personnels : dans le petit monde des lettres françaises où tout le monde se connaît, il est tentant de défendre le livre d'un ami, et inversement de descendre celui d'un auteur que l'on n'aime pas.
Pour plus de transparence, un des membres du public a demandé aux intervenants s'il serait envisageable de filmer les délibérations pour les rendre publiques. Selon les invités, cependant, ce ne serait pas charitable pour les auteurs. Pierre Assouline sous-entend aussi que les prix littéraires, au fond, ne sont pas une affaire suffisamment grave pour mériter d'être enregistrés, après tout, on ne filme pas les procès !
Pour autant, reste la question de la responsabilité des prix dans le succès d'un livre. Doivent-ils chercher à faire connaître un jeune auteur ou représenter l'apothéose d'une carrière pour un écrivain déjà consacré ? Doivent-ils chercher à promouvoir des livres exigeants, au risque que la récompense soit suivie de peu de ventes et s'en trouve décrédibilisée, ou couronner un livre susceptible de trouver un large public ? Pour Pierre Assouline, les jurés du Goncourt ont une responsabilité très importante : nombre de Français n'achètent qu'un livre par an, et c'est le Goncourt. Il importe donc de ne pas décevoir ce lectorat et de récompenser un livre qui soit à la fois bon et accessible. Néanmoins, dans l'idéal, il faudrait savoir alterner entre des livres difficiles d'accès et d'autres, plus simples, selon Christine Jordis.
Défendre un livre, après tout...
Par la suite, les intervenants ont aussi critiqué l'idée que les jeux seraient faits d'avance comme le claironnent certains journalistes après coup. Les délibérations sont chaotiques, parfois bloquées. Au Goncourt, tout se fait à main levée pour éviter que certains jurés soutiennent ouvertement tel auteur et votent en réalité pour un autre, de la même maison d'édition qu'eux.Cela n'empêche pas que, dans ce type de vote, on puisse être facilement influencé par les votes précédents.
De plus, à mesure que les délibérations avancent, explique Christine Jordis, « on s'échauffe » ; il arrive qu'aucun livre n'enthousiasme les jurés, mais qu'au fur et à mesure de la discussion, le ton devienne virulent, car « on a envie que le livre qu'on a choisi triomphe et ça peut devenir féroce. On finit par défendre passionnément une œuvre que l'on n'aimait pas tant que cela au départ. »
Enfin, grâce à quelques questions du public, les intervenants sont revenus sur la nécessaire objectivité dans la vocation de juré, contre toute apparence. Lorsqu'on se trouve face à un grand texte, même comportant un fond dérangeant, il ne faut pas l'écarter pour autant. Selon Pierre Assouline, « un livre est un tout, on ne peut pas séparer les idées de la forme. » Il donne ainsi l'exemple des Bienveillantes de Jonathan Littell, dans lequel « il y avait des idées qui me dérangeaient, de la perversité, mais c'était un grand livre. Et je l'ai défendu bec et ongles pour ça. La vertu d'un grand livre c'est de troubler le lecteur. Quand un livre nous dérange, c'est un grand compliment que l'on fait à son auteur. »
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À mardi prochain !
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