Sous la houlette de Jeff Bezos, Amazon ouvre ses portes en juillet 1995 avec dix salariés et trois millions d’articles – soit l’ensemble de la production imprimée aux États-Unis — pour devenir rapidement un géant du commerce électronique. On peut consulter le catalogue à l’écran, lire le résumé des livres ou même des extraits, puis passer sa commande en ligne. Les conditions de travail de son personnel ne semblent pas troubler les clients désormais présents aux quatre coins du monde. Voici la « belle » histoire d’Amazon pour tous ceux qui utilisent ses services (ce qui ne sera jamais le cas de l’auteure de ces lignes).
Le 22/06/2015 à 10:13 par Marie Lebert
Publié le :
22/06/2015 à 10:13
Scottish Governement, CC BY NC 2.0
Les débuts
Fondé par Jeff Bezos, Amazon.com voit le jour en juillet 1995 à Seattle, dans l’État de Washington, sur la côte ouest des États-Unis. Quinze mois auparavant, au printemps 1994, Jeff Bezos fait une étude de marché pour décider du meilleur produit de consommation à vendre sur l’internet. Dans sa liste de vingt produits marchands, qui comprennent entre autres les vêtements et les instruments de jardinage, les cinq premiers du classement se trouvent être les livres, les CD, les vidéos, les logiciels et le matériel informatique.
Jeff Bezos relate en 1997 dans le dossier de presse d’Amazon : « J’ai utilisé tout un ensemble de critères pour évaluer le potentiel de chaque produit. Le premier critère a été la taille des marchés existants. J’ai vu que la vente des livres représentait un marché mondial de 82 milliards de dollars US. Le deuxième critère a été la question du prix. Je voulais un produit bon marché. Mon raisonnement était le suivant : puisque c’était le premier achat que les gens allaient faire en ligne, il fallait que la somme à payer soit modique. Le troisième critère a été la variété dans le choix. Il y avait trois millions de titres pour les livres alors qu’il n’y avait que 300.000 titres pour les CD, par exemple. »
La vente de livres débute en juillet 1995, avec dix salariés. Le catalogue en ligne de 3 millions de livres correspond à l’ensemble de la production imprimée disponible aux États-Unis. Il permet de rechercher les livres par titre, auteur, sujet ou rubrique. On y trouve aussi des CD, des DVD et des jeux informatiques. Le contenu éditorial du site est attractif et forme un véritable magazine littéraire proposant des extraits de livres, des entretiens avec des auteurs, des articles émanant de journalistes connus (qui travaillaient auparavant dans la presse imprimée – ou qui y travaillent en parallèle) et des commentaires de lecteurs, avec de nouvelles pages ajoutées quotidiennement. Amazon devient le pionnier d’un nouveau modèle économique et son évolution rapide est suivie de près par des analystes de tous bords, tout comme sa popularité auprès d’un public qui s’habitue aux achats en ligne.
L’expansion grâce aux « associés »
Au printemps 1997, Amazon.com — que tout le monde appelle désormais Amazon — décide de s’inspirer du système de sites affiliés lancé trois mois plus tôt au Royaume-Uni par l’Internet Bookshop, qui est la plus grande librairie en ligne européenne. Tout détenteur d’un site web peut vendre des livres appartenant au catalogue d’Amazon et toucher un pourcentage de 15 % sur les ventes. L’« associé(e) » sélectionne les titres du catalogue qui l’intéressent, en fonction de ses centres d’intérêt, et rédige ses propres résumés. Amazon reçoit les commandes par son intermédiaire, expédie les livres, rédige les factures et lui envoie un rapport hebdomadaire d’activité avec le règlement correspondant.
Le réseau d’Amazon compte 30.000 sites « associés » au printemps 1998 et 60.000 sites « associés » en juin 1998, y compris des sites de sociétés connues (Adobe, InfoBeat, Kemper Funds, PR Newswire, Travelocity, Virtual Vineyards, Xoom, etc.), qui sont autant de vitrines supplémentaires pour la librairie en ligne. En juillet 1998, Amazon compte 1,5 million de clients dans 160 pays. Si la librairie en ligne est toujours déficitaire (elle le sera jusqu’au deuxième trimestre 2003 inclus), sa cotation boursière est excellente suite à une introduction à la Bourse de New York en mai 1997.
Principale chaîne de librairies traditionnelles aux États-Unis, avec 480 librairies réparties dans tout le pays, Barnes & Noble décide de se lancer lui aussi dans la vente de livres en ligne en devenant d’abord en mars 1997 le partenaire exclusif du fournisseur internet America OnLine (AOL) pour la vente de livres à ses adhérents puis en créant en mai 1997 son propre site barnesandnoble.com, en partenariat avec le géant des médias Bertelsmann. (Barnes & Noble rachètera la part de Bertelsmann six ans plus tard, en juillet 2003.) Avec un système efficace de sites affiliés puis un nouveau site lancé en mai 1998, Barnes & Noble.com devient rapidement le principal concurrent d’Amazon et déclenche une guerre des prix — puisque le prix du livre est libre aux États-Unis – à la grande joie des clients qui profitent de cette course aux rabais pour faire une économie de 20 à 40 % sur certains titres, quand ils ne se voient pas offrir des réductions allant jusqu’à 50 %.
L’expansion internationale
Amazon débute son expansion internationale par l’Europe avant d’aborder le marché canadien puis le marché asiatique (Japon et Chine). Les deux premières filiales européennes sont implantées simultanément en octobre 1998 au Royaume-Uni et en Allemagne. En août 2000, avec 1,8 million de clients au Royaume-Uni et 1,2 million de clients en Allemagne, Amazon lance sa troisième filiale européenne, Amazon France, avec livres, musique, DVD et vidéos (puis logiciels et jeux vidéo en juin 2001), et livraison en 48 heures. À cette date, la vente de livres en ligne en France ne représente que 0,5 % du marché du livre, contre 5,4 % aux États-Unis.
Amazon a au moins quatre rivaux de taille dans l’hexagone : Fnac.com, Alapage, Chapitre.com et BOL.fr. Le service en ligne Fnac.com s’appuie sur le réseau de librairies Fnac, réparti dans toute la France et les pays avoisinants, et propriété du groupe Pinault-Printemps-Redoute. Alapage, librairie en ligne fondée en 1996 par Patrice Magnard, rejoint le groupe France Télécom en septembre 1999 puis devient en juillet 2000 une filiale à part entière de Wanadoo (ancêtre d’Orange), le fournisseur internet de France Télécom. Chapitre.com est une librairie en ligne indépendante créée en 1997 par Juan Pirlot de Corbion. BOL.fr est la succursale française de BOL.com (BOL : Bertelsmann On Line), lancée en août 1999 par les géants des médias Bertelsmann et Vivendi.
Avec une centaine de salariés, dont certains ont été envoyés en formation au siège du groupe à Seattle, Amazon France s’installe à Guyancourt, en région parisienne, pour l’administration, les services techniques et le marketing. Son service de distribution est basé à Boigny-sur-Bionne, dans la banlieue d’Orléans. Son service client est basé à La Haye, aux Pays-Bas, dans l’optique d’une expansion future d’Amazon en Europe.
Selon les chiffres publiés en octobre 2000 par Media Metrix Europe, société d’étude d’audience de l’internet, Amazon.fr reçoit 217.000 visites uniques en septembre 2000, juste devant Alapage (209.000 visites), mais loin derrière Fnac.com (401.000 visites). Suivent Cdiscount.com (115.000 visites) et BOL.fr (74.000 visites). Contrairement à leurs homologues anglophones, les librairies en ligne françaises ne peuvent se permettre les réductions substantielles proposées par celles des États-Unis ou du Royaume-Uni, pays dans lesquels le prix du livre est libre. Si la loi française sur le prix unique du livre (dénommée loi Lang, du nom du ministre de la Culture à l’origine de cette loi) laisse peu de latitude, à savoir un rabais de 5 % seulement sur ce prix, Amazon reste toutefois optimiste sur les perspectives d’un marché francophone.
Interrogé par l’Agence France-Presse (AFP) sur la loi Lang, Denis Terrien, président d’Amazon France (jusqu’en mai 2001), répond en août 2000 : « L’expérience que nous avons en Allemagne, où le prix du livre est fixe, nous montre que le prix n’est pas l’élément essentiel dans la décision d’achat. C’est tout le service qui est ajouté qui compte. Chez Amazon, nous avons tout un tas de services en plus, d’abord le choix — nous vendons tous les produits culturels français. On a un moteur de recherche très performant. En matière de choix de musique, on est ainsi le seul site qui peut faire une recherche par titre de chanson. Outre le contenu éditorial, qui nous situe entre un magasin et un magazine, nous avons un service client 24 heures/24 7 jours/7, ce qui est unique sur le marché français. Enfin une autre spécificité d’Amazon, c’est le respect de nos engagements de livraison. On s’est fixé pour objectif d’avoir plus de 90 % de nos ventes en stock. »
Admiré par beaucoup, le modèle économique d’Amazon a de nombreux revers en matière de gestion du personnel, avec des contrats de travail précaires, de bas salaires et des conditions de travail laissant à désirer. Malgré la discrétion d’Amazon à ce sujet, les problèmes commencent à filtrer. En novembre 2000, le Prewitt Organizing Fund et le syndicat SUD-PTT Loire Atlantique débutent une action de sensibilisation auprès des salariés d’Amazon France pour de meilleures conditions de travail et des salaires plus élevés. Ils rencontrent une cinquantaine de salariés travaillant dans le centre de distribution de Boigny-sur-Bionne. SUD-PTT dénonce dans un communiqué « des conditions de travail dégradées, la flexibilité des horaires, le recours aux contrats précaires dans les périodes de flux, des salaires au rabais, et des garanties sociales minimales ». Une action similaire est menée dans les succursales d’Amazon en Allemagne et en Grande-Bretagne. Patrick Moran, responsable du Prewitt Organizing Fund, entend constituer une Alliance of New Economy Workers (Alliance des travailleurs de la nouvelle économie). De son côté, Amazon riposte en diffusant des documents internes sur l’inutilité de syndicats au sein de l’entreprise.
Zhao !, CC BY 2.0
Après le marché européen, Amazon aborde le marché asiatique. Lors d’un colloque international sur les technologies de l’information en juillet 2000 à Tokyo, Jeff Bezos annonce son intention prochaine d’implanter Amazon au Japon. Il présente le marché à fort potentiel de ce pays, avec des prix immobiliers élevés se répercutant sur ceux des biens et services, si bien que le shopping en ligne est plus avantageux que le shopping traditionnel, avec des livraisons à domicile faciles et peu coûteuses. Un centre d’appels est ouvert en août 2000 dans la ville de Sapporo, sur l’île d’Hokkaido. La filiale japonaise débute ses activités trois mois plus tard, en novembre 2000. Amazon Japon, quatrième filiale du géant américain (après le Royaume-Uni, l’Allemagne et la France) et première filiale non européenne, ouvre ses portes virtuelles avec un catalogue de 1,1 million de titres en japonais et 600.000 titres en anglais. Pour réduire les délais de livraison et proposer des délais de 24 à 48 heures au lieu des six semaines nécessaires à l’acheminement des livres depuis les États-Unis, un centre de distribution de 15.800 m2 est créé dans la ville d’Ichikawa, située à l’est de Tokyo.
En novembre 2000, entre la maison-mère et ses quatre filiales, Amazon compte 7.500 salariés, 28 millions d’articles et 23 millions de clients. À la même date, Amazon débute l’embauche de personnel bilingue anglais-français dans le but de lancer une antenne canadienne avec vente de livres, musique et films (VHS et DVD). (Amazon Canada, cinquième filiale de la société, voit le jour en juin 2002 avec un site bilingue.) Toujours en novembre 2000, Amazon ouvre son eBookStore, à savoir sa librairie numérique, avec mille titres disponibles au départ (voir plus bas la section qui lui est consacrée).
Comme les autres entreprises internet, Amazon doit faire face aux secousses de la « nouvelle » économie. Suite à un quatrième trimestre déficitaire en 2000, un plan de réduction de 15 % des effectifs entraîne en janvier 2001 1.300 licenciements aux États-Unis et 270 licenciements en Europe (sur un effectif européen de 1.800 salariés). Le service clientèle de La Hague (Pays-Bas) ferme et les 240 salariés qu’emploie ce service sont « transférés » dans les centres de Slough (Royaume-Uni) et de Regensberg (Allemagne).
Amazon opte ensuite pour une plus grande diversification de ses produits et décide de vendre non seulement des livres, des vidéos, des CD et des logiciels, mais aussi des produits de santé, des jouets, des appareils électroniques, des ustensiles de cuisine et des outils de jardinage. En novembre 2001, la vente des livres, disques et vidéos ne représente plus que 58 % du chiffre d’affaires global, qui est de 4 milliards de dollars US, avec 29 millions de clients. En octobre 2003, la société devient bénéficiaire pour la première fois depuis ses débuts huit ans plus tôt. Amazon lance aussi un service de recherche plein texte (Search Inside the Book) sur le texte intégral de 120.000 titres, tout comme son propre moteur de recherche A9.com sur le web (avec un succès mitigé pour ce dernier, contrairement aux autres initiatives).
En 2004, le bénéfice net d’Amazon est de 588 millions de dollars US, dont 45 % généré par ses filiales, avec un chiffre d’affaires de 6,9 milliards de dollars US. Présent dans sept pays (États-Unis, Canada, Royaume-Uni, Allemagne, France, Japon, Chine) et devenu une référence mondiale du commerce en ligne, Amazon fête ses dix ans d’existence en juillet 2005, avec 9.000 salariés et 41 millions de clients attirés par des produits culturels, high-tech et autres à des prix attractifs et une livraison en 48 heures maximum dans les pays hébergeant une plateforme Amazon.
L’eBookStore d’Amazon
En novembre 2000, trois mois après l’ouverture de l’eBookStore de Barnes & Noble.com, Amazon ouvre son propre eBookStore avec un catalogue de mille livres numériques. Dans l’optique de ce lancement, la société signe auparavant deux partenariats en août 2000, l’un avec Microsoft pour proposer des livres lisibles sur le Microsoft Reader, et l’autre avec Adobe pour proposer des titres lisibles sur l’Acrobat Reader et le Glassbook Reader (Adobe ayant racheté la société Glassbook à la même date). En avril 2001, Amazon conclut un nouveau partenariat avec Adobe pour la mise en vente de 2.000 livres numériques lisibles sur l’Acrobat eBook Reader (le nouveau logiciel d’Adobe gérant les livres sous droits). Ces livres sont notamment des titres de grands éditeurs, des guides de voyages et des livres pour enfants. En septembre 2001, Yahoo! emboîte le pas à Amazon et Barnes & Noble.com en créant son propre eBookStore suite à des accords passés avec de grands éditeurs : Penguin Putnam, Simon & Schuster, Random House et HarperCollins.
Amazon rachète ensuite la société française Mobipocket en avril 2005 – avec son format, son logiciel de lecture et ses livres — en prévision du lancement de sa propre liseuse, le Kindle. Le Kindle voit le jour en novembre 2007 avec un catalogue de 80.000 livres numériques. 538.000 liseuses sont vendues en 2008. Deux autres modèles, le Kindle 2 et le Kindle DX (avec un écran plus grand), sont lancés respectivement en février et mai 2009. Amazon rachète aussi la société Audible.com (en janvier 2009) et sa collection de livres, journaux et magazines audionumériques, à savoir 80.000 titres téléchargeables sur baladeur et smartphone. Le catalogue d’Amazon compterait 450.000 titres en mars 2010. Mais on ne compte pas le nombre de librairies indépendantes qui ferment leurs portes.
Source : Le Livre 010101, disponible au format PDF dans la bibliothèque numérique de l’ENSSIB avec lecture en ligne sur YouScribe
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