Depuis quelques semaines que les premières œuvres produites par la société FeniXX sont commercialisées, on voit enfin les résultats de la numérisation des œuvres indisponibles. Si le décret d’application a conduit à saisir le Conseil d’État, lequel s’est tourné vers la Cour de justice de l’Union européenne, le processus de mise en vente est tout de même déclenché. Comme on le dit : le seul risque est de vendre des livres – quitte à ce que l’Europe explique par la suite que c'était interdit dans ces conditions...
Le 06/10/2015 à 12:38 par Nicolas Gary
Publié le :
06/10/2015 à 12:38
Dans les faits, la législation fut conçue pour rationaliser la production d’œuvres en format numérique. Durant les débats parlementaires, on expliquait qu’il était plus raisonnable, économiquement, de produire une loi entraînant une numérisation massive, dite patrimoniale, que de chercher à faire signer les auteurs les uns après les autres. Un gain d’échelle, pour les éditeurs, et toute la structure qui s’est construite autour du registre ReLIRE.
Le processus est alors simple : puiser dans les fonds de la BnF les titres qui seront numérisés – la liste est établie chaque année. FeniXX intervient pour la numérisation et la commercialisation, et la Sofia dispense les licences d’exploitation nécessaires. À tout moment, les auteurs peuvent s’opposer à ce processus, s’ils refusent la vente numérique de leur œuvre. À tout moment, à condition de prouver que l’on dispose des droits, que la Sofia soit d’accord, qu’il y ait atteinte à l’honneur ou la réputation, que le primo-éditeur soit d’accord. Et beaucoup de ces choses sont complexes. L'exemple et le ratage autour de Joël Houssin restent d'ailleurs édifiants.
Ne pas se voiler la couverture
Florence-Marie Piriou, sous-directrice de la Sofia, est revenue avec nous sur différents points, soulevés alors qu’un gros millier d’œuvres est désormais proposé à la vente. En effet, sur nombre de celles-ci, on retrouve une étiquette qui signale le classement BnF – l’occasion pour les auteurs des couvertures de s’opposer à la commercialisation, s’ils considèrent que l’exploitation est abusive.
L’une des questions était de savoir qui choisit d’apposer la couverture originale, ou celle génériques issus de la production FeniXX. « Les couvertures originelles peuvent être difficiles à reproduire, et pour des raisons techniques, ne pas être numérisables », explique la Sofia. Ainsi, selon le niveau d’usure, FeniXX opterait pour la couverture de l’édition imprimée, ou ses propres couvertures.
On se renvoie donc la balle, de l’un à l’autre, puisque FeniXX nous avait précédemment assuré : « C’est la Sofia qui gère ce point : si elle nous assure qu’on peut réutiliser la couverture première, alors nous le faisons. »
Il faut alors être précis : la loi porte sur la représentation et la reproduction du livre, sous une forme numérique, et dans une représentation homothétique. Un joli terme qui signifie simplement que l’on reproduit totalement à l’identique, de la couverture aux derniers mots, le livre imprimé, mais en version dématérialisée. « Le droit moral de l’auteur de la couverture originale n’est pas géré par la Sofia, car ce droit est inaliénable et demeure attaché à l’auteur », se défend la Sofia. Et dans ce cas, qui gère le droit patrimonial ?
Autrement dit, l’auteur de la couverture pourra faire opposition à l’usage de son œuvre, et provoquer de nouvelles perturbations dans cette belle alchimie. D'ailleurs, au terme de quatre mois sans réponse, il faut considérer que l'opposition est actée.
L’autre problématique vient des licences : les exclusives, accordées par la Sofia, et les non exclusives, remises par FeniXX. Or, pour ces dernières, on pourrait donc se retrouver avec des œuvres, exploitées avec une couverture datée de plusieurs dizaines d’années, mais surtout avec la marque d’un autre éditeur. Les ÉditionsVol Autant qu'en Emporte Le Vent (inventées pour l’exemple...), exploiteraient alors l’œuvre avec le nom des éditions Gallimard. Savoureux.
Le tout, sans avoir bien entendu demandé à qui que ce soit – ni l’auteur du texte, ni celui de la couverture, et, par extension, l’illustrateur le cas échéant – s’ils étaient d’accord pour que leur travail soit exploité par les ÉditionsVol Autant qu'en Emporte Le Vent.
Les couvertures d’origine, si le macaron de la BnF ne recouvre par le nom de l’auteur ou le titre, et si elles sont exploitables, seront alors utilisées. D’ailleurs, « FeniXX conserve les couvertures originales dans le cas de la licence exclusive, ou non exclusive », assure la Sofia. De quoi donner mal à la tête... Le droit des marques n’a-t-il pas sa place dans ReLIRE ?
À la recherche des auteurs...
L’un des grands enjeux de ReLIRE, était donc de parvenir à produire du livre numérique en masse, sans trop opérer de distinction entre les titres. L’objectif, moins productiviste que patrimonial, reposait sur l’idée que les auteurs pourront toujours faire retirer leurs œuvres. Le problème est tout autre : les auteurs ne bougeront pas, et c’est bien ce qui était escompté. Et que cette méthode, tant reprochée à Google, appelée opt-out, convenait finalement fort bien, si elle avait l’assentiment du législateur français.
C’est que retrouver les auteurs, et/ou les ayants droit est un processus coûteux. Pourtant, la Sofia assure faire le travail nécessaire « auprès des éditeurs et/ou des sociétés d’auteurs françaises représentant des auteurs de l’écrit ou encore des organismes professionnels d’auteurs comme la SGDL ». Par ailleurs, « le dispositif Balzac mis en place par la SGDL renforcera également ces recherches. En outre des campagnes d’information “grand public” seront entreprises pour informer les ayants droit des répartitions en cours ».
Une simplicité tellement déconcertante, qu’on se demande une fois de plus pourquoi avoir eu recours à une législation, s’il était aussi commode, et respectueux de la volonté de chacun, de partir à la recherche des créateurs.
Dans le même temps, ReLIRE s’est prémuni de l’exigence de recherches avérées et sérieuses que l’on doit mener dans le cas des œuvres orphelines – celles sous droit, dont on ne connaît pas l’auteur/l’ayant droit – et du texte de la directive européenne. Sur ce point, aucun critère n’existe à proprement parler, pour juger de la qualité des recherches que peut effectuer la Sofia.
Attention à la brebis égarée - Waiting For The Word, CC BY 2.0
En effet, lorsqu’il faudra reverser les montants aux auteurs du texte ou de la couverture, ou aux illustrateurs, la Sofia devra bien trouver à qui donner l’argent. « C’est un travail colossal, qui ne part pas de rien. Nous travaillons avec l’ensemble des DRAC, les sociétés comme la SACD, la SCAM, la SGDL ainsi que l’ADAGP. Un rapport doit être présenté à l’Assemblée nationale. » Mais nous n’aurons aucune précision sur les critères des recherches effectuées.
Les sommes bien allouées
Et à vrai dire, qu’importe : si, après cinq années d’intenses recherches des ayants droit et/ou auteurs, personne n’est déniché, alors on bascule dans le délai légal de prescription. « À l’issue de cette durée, les sommes seront affectées à des actions d’intérêt général », explique Florence-Marie Piriou. « L’article L. 134-9 du CPI dispose que ces sommes doivent être utilisées à des actions d’aide à la création, à des actions de formation des auteurs de l’écrit et à des actions de promotion de la lecture publique mises en œuvre par les bibliothèques. »
Au passage, ce sont les montants qui reviennent aux auteurs que l’on retrouvera alloués à ces opérations. Les sommes dues aux éditeurs exploitant les titres n’auront aucun problème à être distribuées.
Bien entendu, la Sofia poursuit, avec le soutien du ministère de la Culture, les campagnes de communication. « Un budget de promotion pour le registre ReLIRE, destinée à informer les auteurs, est alloué. Et notamment dans la presse, et la presse quotidienne régionale. Chaque début de campagne prend en compte les dernières campagnes publicitaires réalisées. On mesure avec la BnF l’impact sur le nombre de visites du site. Et puis, le site ActuaLitté, avec ses nombreux articles, nous fait une promotion régulière », assure Florence-Marie Piriou. Avec plaisir, l'information est un devoir.
En 2013, près d’un million d'euros avait été investi dans la campagne publicitaire, dont près de la moitié pour des publicités dans la presse... Et pour s’assurer d’une grande visibilité, rappelons la création des marque-pages de papier estampillés ReLIRE, particulièrement pratiques pour des livres numériques, ou encore le stand au Salon du livre 2013, où l’on a pu boire du champagne en quantité, pour fêter le lancement du site ReLIRE, le 21 mars 2013.
Le Service livre et lecture, du ministère de la Culture, n’a pas voulu nous apporter de précisions ni sur les montants investis – pas plus que sur les critères de pertinence des campagnes. On pourra s’accorder à penser que l’argent est bien investi : preuve en est, les demandes de retraits d’œuvres ne sont que rares. Ou bien est-ce parce que la méthodologie de signalement serait à revoir ? On attend toujours de savoir qui effectue le contrôle sur ces points...
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