Je vous parlerai aujourd’hui d’un auteur remarquable, auvergnat d'origine, né en 1913 dans la banlieue de Paris, mort en 1971 après neuf romans, des pièces de théâtre, des scénarios (dont « Le capitaine Fracasse » avec Jean Marais). Il s’appelait Albert Vidalie. Le connaître, c’est découvrir en même temps une école littéraire des années cinquante-soixante qui compta en son sein Roger Nimier (le plus connu), Antoine Blondin (l’auteur du fameux « Singe en hiver » adapté au cinéma par Verneuil avec Belmondo et Gabin), Jacques Laurent, et d’autres encore (Kleber Headens !), tout aussi talentueux.
Le 09/03/2014 à 09:04 par Les ensablés
Publié le :
09/03/2014 à 09:04
Par Hervé Bel
Albert Vidalie
Le critique Bernard Frank dans la Revue des temps modernes les appela « les hussards » en référence au roman de Nimier « Le hussard bleu ». Ce n’était pas forcément un compliment, Frank sous entendant leur caractère réactionnaire, mais le nom resta. Ce qui caractérisait tous ces hommes, c’était leur volonté d’échapper à la tutelle écrasante de Camus et de Sartre, les grands maîtres de la scène littéraire française d’alors. Ces écrivains n’aimaient pas la philosophie dans le roman et regardaient avec suspicion le Nouveau Roman qui en venait en rejeter l’analyse psychologique, les procédés narratifs classiques et même les personnages. Eux aimaient les histoires, les aventures, Alexandre Dumas (Roger Nimier, avant sa mort tragique en voiture, était en train de rédiger un « D’Artagnan amoureux »).
La plupart de ces rebelles se connaissaient et s’aimaient. Leurs romans, souvent, parlent d’ailleurs de l’amitié, des bars parisiens et des figures qui les hantent. Leurs récits sont simples, drôles, et tristes au détour d’une phrase, laissant aux lecteurs le soin d’y réfléchir ensuite. La vie, pour eux, était une joie sur un arrière-fond de mélancolie. L’œuvre d’Albert Vidalie illustre parfaitement cette dichotomie. C’était, autant le dire, quelqu’un de très porté sur la bouteille. Dans son « Monsieur Jadis », Antoine Blondin le décrit endormi dans sa chambre. Il est couché avec « son beau masque romain auréolé de cheveux grisonnants » éclairé « encore du sourire des soirs où il avait chanté » (p.60, Folio). Dans une autre scène, Vidalie, bien éméché, raconte comme s’il y avait participé, la bataille d’Austerlitz devant ses amis réunis dans leur bistro favori, le Bar-Bac.
Ce Vidalie, on le découvre dans son roman « Chandeleur l’artiste » réédité récemment par le Dilettante (première édition chez Julliard, 1958). Vidalie y raconte une enfance, la sienne, située dans la banlieue de Paris, dans une petite bourgade fictive appelée Sainte-Flore. Un monde disparu. A quelques kilomètres de Paris, c’était encore la campagne : « L’agglomération s’est construite autour d’un relais sur la route royale. Un petit coteau l’abrite des vents d’est. Des vignobles s’y étalaient autrefois ; il en reste quelques rares pieds de vigne dispersés dans les jardins. » C’est ce petit monde disparu que Vidalie décrit, en partant d’un jeune garçon rêveur appelé Fanfan, fils d’un typographe devenu alcoolique par trop de déceptions sans doute, car ce typographe avait des talents de peintre. C’est lui, le père, François, qui donne le titre au roman « Chandeleur l’artiste ». Il pourrait être désespéré par sa situation, il ne l’est pas, du moins pas toujours, car il va boire au bistro de la bourgade et y retrouve son ami Emile, tout aussi alcoolique que lui. Il est marié à Louise dont toute la famille vit à Sainte-Flore et notamment ses parents qui possède un jardin « lieu d’asile, un territoire secret et protecteur dont jamais les regards curieux des étrangers n’ont percé le mystère » (page 61). C’est là où Fanfan va rêver, protégé par la bonté de ses grands-parents. Louise a une sœur, Octavie, marié à Maningue, des gens âpres, enfermés dans leur univers, ne songeant qu’à voler. François, le mari de Louise, a un frère qui vit aussi à Sainte-Flore, un quincailler qui se croit issu d’une grande famille : homme bon, mais raisonnable. Le roman va raconter la vie de toutes ces gens. Il ne leur arrive que des petites choses, celles que nous connaissons aussi, celles de tous les jours. Et c’est un grand art de savoir les rendre intéressantes. Ainsi assiste-t-on à la destruction lente, inéluctable, du couple François Louise, sous les yeux du petit Fanfan qui, désespéré, fuguera, ayant compris qu’il a quitté « le jardin enchanté de son enfance » (page 212).
La vie fut dure pour Vidalie. Comme Henri Calet avec lequel il entretient une filiation littéraire (son style, ses propos appartiennent clairement au roman populiste des années 30-50), il travailla très jeune et ne fut sauvé que par la littérature qui lui venait de son amour pour les rêves. On apprendra aussi comment Maningue, l’escroc, fut trompé par plus malin que lui. Et l’on rit de bon cœur. En lisant ce livre, un petit sourire attendri s’attache sans cesse à la bouche du lecteur. Car, derrière tous ces drames familiers, il y a la bonté de l’homme, ses misères, ses travers que Vidalie décrit avec une ironie qui n’est jamais méchante.
Son roman « Les Verdures de l’ouest », totalement différent, est directement inspiré de ses cinq années de captivité en Allemagne, en Silésie. La captivité a été un sujet repris par d’autres écrivains à la sortie de la guerre. Calet a écrit « Le bouquet », Hyvernaud, « La peau et les os », Raymond Guérin, « Les Poulpes ». Ces romans ont été oubliés, sans doute, en partie, parce que le sujet n’intéressait pas les Français qui voulaient oublier. Mais de tous ces romans que j’ai cités, celui de Vidalie me semble le meilleur, ne serait-ce que par l’angle choisi. Le lecteur découvre le héros, Quentin, à la fin 44, au moment où les Russes approchent : mois interminables. Il s’achève avec leur arrivée, apocalyptique pour les Allemands, effrayante pour les Français libérés qui y assistent. Là encore, Vidalie esquisse le portrait de quelques prisonniers, ceux avec qui Quentin vit, des gens venus de tous les milieux, de toute la France. On y découvre que la vie y était dure, mais qu’on pouvait aussi se débrouiller, sortir, fréquenter les Polonaises assujetties au travail obligatoire dans les usines des alentours. Parfois, on rit, mais ce rire ne peut se déployer, car l’on comprend qu’il suffit d’un rien pour que cette vie tranquille rejoigne le cauchemar qui se joue au même moment dans les terres de sang de l’Europe de l’est. Le télescopage entre ces deux réalités produit un effet saisissant, justement parce que Vidalie sait être léger, drôle, et soudain décrire l’horreur.
Je citerai ce passage (page 53). Soudain, les Allemands annoncent l’interdiction de sortir du camp qui jouxte la ville. Les citadins allemands eux-mêmes sont interdits dans les rues. Quelque chose va venir, qui s’annonce avec « une rumeur étrange, vaguement angoissante. On dirait le crépitement d’une immense roue de loterie foraine ou cent crécelles d’enfant tournoyant au même rythme. Le bruit se précise et se rapproche. Les deux hommes se regardent avec étonnement. Ce bruit, ils viennent brusquement de l’identifier, grâce à certains mauvais souvenirs de quartiers disciplinaires et de camps de représailles. C’est le claquement creux de centaines de semelles de bois sur le pavé. Le bruit s’étale, emplit la rue et la ville, et tout à coup l’incroyable spectacle commence et se déroule lentement sous les yeux incrédules des deux prisonniers. Un interminable cortège d’êtres débiles, menus, sans âge et sans sexe, défile devant eux. Deux cents, trois cents, quatre cents crânes rasés, quatre cents visages blêmes aux yeux trop larges, quatre cents regards vides fixés sur l’horizon. » Ce sont les juifs sous alimentés conduits à l’abattoir d’une usine allemande. A un autre endroit du livre, au moment de la débâcle nazie, Quentin aperçoit dans une gare, dans des wagons ouverts, les Juifs ramenés en toute hâte d’Auschwitz par les SS fuyant les Russes. La soudaineté de ces apparitions épouvantables fait l’effet d’un précipité chimique. Le roman prend alors une densité étonnante qui secoue longtemps le lecteur. La haine envahit Quentin, mais lorsque les Russes arriveront, qu’il verra les massacres, les viols qui s’accomplissent, il aura pitié de l’homme et même de l’Allemand. Lui aussi, comme Fanfan dans « Chandeleur, l’artiste », Quentin est un rêveur, un amoureux du livre, un romantique à sa façon, toujours discret, et cachant sa mélancolie.
Prisonniers français de 40
Oui, les livres de Vidalie sont beaux. Pas de longs discours, pas d’explications interminables : la vie décrite simplement, par les faits et les paroles, servie également par des descriptions où chaque mot est pesé. Il excelle en décrivant la nature, lorsque Quentin s’en va couper les bois dans la forêt d’Oderwald, hantée, lui semble-t-il, par les fantômes de l’éternelle Allemagne. Vidalie était comme ces livres, un homme sans prétention, qui aimait la vie et ses amis, et les femmes aussi, mais sentait aussi, derrière tout cela, l’horrible finitude des choses. Dans « Chandeleur l’artiste », Vidalie écrit : « Mieux que personne, les Chandeleur savent qu’il faut croire aux histoires que se racontent les hommes quand ils ne sont pas heureux." Cet article paraîtra en roumain dans la revue littéraire "Conversations littéraires" fin mars.
Par Les ensablés
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