Nous entretenons un lien curieux avec Stephen Hecquet, mort à presque quarante-et-un ans il y a maintenant plus d’un demi-siècle et nous le devons à notre mère. Stephen Hecquet était, au début des années cinquante avocat, à une époque où parait-il la profession était d’une bonne rentabilité, n’attirant pas l’attention des services fiscaux qui traitait ses revenus au forfait, évidemment sous-évalués.
Le 07/03/2013 à 21:12 par Les ensablés
Publié le :
07/03/2013 à 21:12
Par Henri-Jean Coudy
Il se trouve qu’il appartenait à la même mouvance, intellectuelle et politique que notre père qui était également avocat ; il vint dîner un soir chez mes parents, nous devions y être mais à un âge où l’on dort quand les adultes dînent . Nous avons gardé depuis le récit d’un Hecquet entrant dans la cuisine de notre mère, sans y être invité, regardant de près ce qui s’y faisait et commentant d’un ton qui déplut ; les mauvaises manières de Stephen Hecquet sont pour nous une histoire bien ancienne. Hecquet avait servi dans l’administration préfectorale d’un département proche de Paris, la Seine-et-Oise, pendant la guerre ; il en tira une chronique « Les Guimbardes de Bordeaux » dont le titre est suggestif mais le contenu en retrait, on est loin du Maurice Sachs de La Chasse à Courre, dans le Bordeaux de juin 1940. Il y prend sa propre défense, d’un fonctionnaire qui a servi et ne voit pas très bien pourquoi on pourrait le lui reprocher, et surtout pourquoi les temps de la Libération furent aussi agités.
Mais Hecquet était aussi écrivain, ami d’écrivains ; il existe un court livre « Tel était Stephen Hecquet » que lui consacra Roger Nimier, paru en 1962, dont on dit que le chagrin fut immense lorsque Hecquet, qui avait une malformation cardiaque et le savait, décéda en juillet 1960 ; nous citons la phrase que l’on trouve sur le site Wikipedia : « Une lumière, un souvenir le hantait : la gloire de l’écrivain, la plus haute à ses yeux. Traverser les siècles à grands mots, être entendu quelque temps plus tard, cet enfantillage le brûlait ». On voit que nous sommes dans notre sujet en feuilletant les rares œuvres de Stephen Hecquet, le hussard ensablé.
Une fois n’est pas coutume, c’est à deux livres que nous nous intéresserons. Les Collégiens est paru l’année même de la mort de Hecquet. En 1993, la ville de Paris qui se préoccupe aussi de littérature le réédita dans la collection Capitale et en fit cadeau à tout acheteur de 150 francs de livres chez un libraire ; elle entendait , et nous la citons, «rendre justice à l’exceptionnelle qualité d’œuvres d’écrivains moins connus de la période contemporaine ». On en jugera. Les Collégiens est une chronique, la chronique d’un grand établissement d’enseignement secondaire et préparatoire catholique parisien sur fond de grossissement de nuages, puisqu’elle se situe dans les deux années scolaires 1937-1938 et 1938-1939. Les amateurs reconnaîtront peut être sous le nom de Balthazar, Stanislas, Saint-Louis-de-Gonzague, Fénelon, en tout cas quelque chose qui y ressemble ; on suppose qu’Hecquet parlait en connaisseur et qu’il avait quelques comptes à régler. On y voit défiler des prêtres bien sûr, quelques rares enseignants et personnels laïcs, des élèves en général, si ce n’est toujours, issus de ce qu’on peut appeler les meilleurs milieux, des affaires, de la politique, de l’administration. Au sommet le chanoine Boulingrin ; un homme qui remplit admirablement sa mission de chef d’établissement prestigieux aux yeux de ses hiérarques de l’archevêché, un peu trop même si l’on considère que le chanoine ne songe qu’à devenir évêque, incompatible avec ses actuelles fonctions ; c’est que la route en est difficile ! Convaincre le cardinal-archevêque d’appuyer en cour de Rome sa démarche suppose d’éviter d’aussi redoutables obstacles que dressent « les plus proches collaborateurs du prélat…les plus dangereux et les moins honnêtes des rivaux. L’un d’eux n’a-t-il-pas suggéré que le cardinal intervienne en vue de l’attribution de la rosette au chanoine, au titre des Affaires Étrangères ?...Mais le macaron décerné, adieu la mitre ! ». Boulingrin navigue, il faut le reconnaître, avec habileté, entre les nécessités du recrutement, les humeurs et les attitudes de prêtres aux sensibilités fort différentes, des lettres anonymes relatives à leurs mœurs dont le vicaire-général, premier collaborateur du cardinal l’entretient ( mais allez savoir ce qu’il en pense), lui recommandant de ne plus se servir du cabriolet jaune clair du plus fortuné de ses clercs, qui fait désordre au sein d’un établissement aussi respectable…
Car Hecquet est drôle. Drôle quand il met en scène les efforts de la direction de l’établissement pour trouver un prix à attribuer au fils d’un académicien, les mérites propres de l’élève l’interdisant, mais auquel académicien on ne peut faire l’affront de le refuser ; il y a bien un ancien de la maison , qui fut conseiller municipal de Gambais, qui désire attribuer un prix à un élève qui se sera distingué « par son amour de la nature et son attachement aux choses de la terre » ; la seule difficulté est que l’ancien élève s’appelle Charles-Henri Landru, et s’il n’est qu’un lointain cousin du Landru plus connu, il conviendra d’effacer la mention de Gambais en faisant porter le chapeau à l’éditeur ( car le Landru en question y tient). Drôle quand la direction de l’établissement se met en quête de renouveler la galerie des portraits des anciens élèves illustres où les contemporains ont droit à une exposition particulière ; on y regrette que le maréchal Pétain ne soit pas un ancien élève , « Avec un homme de cet âge, on n’a vraiment rien à craindre… » ; et on s’arrête, ça tombe sous le sens, sur le généralissime en poste, le général Gamelin, « Gamelin sort de Balth ? Parfaitement , messieurs, et dans des conditions très honorables…Premier en composition française notamment, et toujours nommé en Histoire. Aucune incartade sur le plan moral. De plus un homme d’une courtoisie et d’une modération absolues. Rien de l’aventurier et du conquérant. Bref, le vrai chef d’une armée moderne, c’est-à-dire prête à la riposte plutôt qu’à l’offensive… ».
Drôle quand il conduit à son aboutissement la rivalité entre deux prêtres, chacun préfet des études, qui ne pouvaient déjà largement pas se sentir et dont l’attribution à l’un des deux de la surveillance du cours exceptionnel, réservé aux candidats au baccalauréat ayant échoué à la session de juillet qui retient l’heureux titulaire jusqu’au milieu du mois d’août, met le feu aux poudres. Les deux préfets qui bénéficient chacun des heureux surnoms de Caïn et du Huron finissent par en venir aux mains devant un parterre de leurs confrères : Devant un rideau de soutanes, les deux hommes roulèrent à terre, leurs grandes bottines à clous dessinant dans l’espace d’inquiétants moulinets. "Canaille, incapable, corbeau de malheur, fumier de curé, pourriture de Satan… "Et sans doute, le combat se fût-il terminé par quelque malheur, si l’abbé Lafon , entrant opportunément dans la salle, n’avait de deux directs posément assénés , séparé les combattants… ». Il est plus grave quand il évoque les tentations qui rôdent autour du monde de l’établissement Batlhazar. Celle de la chair, bien sûr ; passe encore que l’élève Seboeuf, fréquente quelquefois les maison de tolérance et la couche d’une mère d’élève, mais les prêtres… Eh bien, certains prêtres ont les mêmes habitudes qui les exposent à être reconnus par leurs élèves. Mais il y a pour l’état de prêtrise, plus grave, qui pourrait être la naissance d’un sentiment. C’est qu’une nouvelle génération de prêtres est arrivée dans l’établissement qui a des vues sur le monde différentes, quelquefois très différentes, de celles des plus anciens ; ainsi l’abbé Leblanc, qui est bien décidé à laisser sa santé, sa réputation, sa foi mais n’entrera jamais dans la voie de la compromission …La vraie révolution , c’est n’est aujourd’hui ni dans les comités ni dans les meetings, ni dans les combats qu’il faut la chercher. Malraux, Mauriac, Déat, Bidault, tous finiront ministres ou grand-croix de la Légion d’Honneur. Pouah ! Ce qu’il faut, c’est briser les livres scolaires, brûler les facultés, incendier les professeurs d’un feu nouveau...
Bigre ! Trente ans avant d’autres iconoclastes, voila la jeune génération cléricale prise d’un étrange feu sacré. Car l’abbé Leblanc est torturé. Ne le voilà-t-il pas qui va demander à son collègue Ysabel, de la même génération, combien de leurs commensaux ont encore la foi… Ce à quoi Ysabel, indifférent cynique, à qui la stabilité matérielle et morale de la condition de clerc convient, répond : Mais aucun, mon ami, aucun… et de l’entretenir de la perte de ce qui faisait la grandeur de l’église catholique et sa solidité, sa vocation de service public, en voie de disparition. Et puis, il y a Jacqueline des Butours, mère d’élève, délaissée par un mari homme d’affaires, fort pris, qui lui propose de participer à des réunions d’étude où des gens d’orientation différente viennent confronter leurs points de vue ; comment refuser quand le regard de Mme des Butours lui fait rajuster sa soutane comme une femme rajusterait sa jupe ; on peut craindre pour le jeune prêtre qu’il ne s’engage sur un chemin qui est, comme chacun sait, pavé de bonnes intentions… C’est dans cet état d’équilibre instable que les évènements de l’automne 38, la crise des Sudètes, la mobilisation partielle puis la démobilisation, viennent donner un peu plus de roulis à la vénérable institution. Pourtant, Hecquet, dont il faut bien reconnaître la virtuosité d’écriture, n’évoque aucun drame, comme si passer du comique au légèrement grave lui suffisait. Il faut dire que les évènements que connût le jeune homme avaient leur plein de fureur. Il peut, en tout cas, être rassuré. Stephen Hecquet, le hussard ensablé, n’est pas oublié. A suivre
HJ COUDY - Mars 2013
Par Les ensablés
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