Poète, écrivain et scénariste, Mikhail Tarkovski est le petit-fils du poète Arsène Tarkovski et le neveu du réalisateur André Tarkovski. En 1981, il s’installe en Sibérie, où il mène une double vie d’écrivain et de chasseur. Rédacteur en chef de la revue Ienissei. Ses poèmes, ses récits et nouvelles sont publiés dans plusieurs revues. Il a publié un recueil Le Temps Gelé suivi d’un Dictionnaire des mots sibériens. Il est co-scénariste d’un volet du documentaire Des gens heureux. Dans le cadre des Journées du livre russe 2016, il raconte sa relation avec la province russe.
Le 22/01/2016 à 17:49 par La rédaction
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22/01/2016 à 17:49
De Moscou à Saint Petersbourg, quelles sont les différences entre les deux capitales culturelles et la province russe ?
La réalité est plus complexe. Toute la province ressent Saint-Pétersbourg comme plus proche d’elle que Moscou. Par son esprit. Ce qui semble lié surtout au côté populaire de la ville, à la simplicité des rapports humains, à l’esprit de la ville. Bien que Saint-Pétersbourg soit plus proche de l’occident. C’est à Moscou, généralement, que l’on oppose la province russe.
On les oppose aussi parce qu’il y a une divergence entre les initiatives des fonctionnaires et l’opinion des gens qui considèrent que les réformes de l’éducation, par exemple, portent en elles un caractère nettement russophobe (c’est aussi mon avis) et c’est pourquoi on associe négativement la grande ville russe de Moscou avec ces décisions qui en émanent géographiquement. Il me semble que c’est justement là que se trouve la racine de cette opposition. Aujourd’hui, les gens voient Moscou comme une ville qui introduit une idéologie étrangère, ce qui pourrait être largement détaillé.
Toutes les autres oppositions relèvent des râleries locales indignes d’un véritable patriote, car le véritable combattant de la cause russe cherche dans le monde russe non pas l’opposition, mais les éléments qui peuvent rassembler.
Il y a bien sûr des différences entre Moscou et la province qui sont particulièrement intéressantes et importantes à la fois pour l’écrivain et le simple citoyen. Ce qui frappe le plus, c’est que les villes de la Russie sont très éloignées. Tioumen est à 7000 km de Vladivostok, mais elles sont plus proches par l’esprit qu’elles ne le sont de Moscou alors que Moscou ne se trouve qu’à 2000 km de Tioumen.
Je vous répète, la province c’est en fait toute la Russie sauf Moscou.
Le thème du village russe n’est plus aussi présent qu’à l’époque soviétique. À votre avis, est-ce une tendance objective qui va se renforcer à l’avenir ?
Le thème du village russe n’est pas répandu en ce moment, non parce que les gens ont tendance à s’installer en ville, ce qui a toujours existé, mais les principes qui ont été annoncés après la perestroïka et certains idéologues ont rayé les valeurs traditionnelles russes de l’ordre du jour. Il va de soi que le village en tant que porteur essentiel des traditions a été le premier à se trouver sur la liste.
Comment le fait que vous habitiez en province se reflète-t-il dans votre œuvre ?
J’ai cette chance qui a une influence tout à fait bénéfique, car c’est une grande joie de respirer ces immensités, d’être en relation avec des gens remarquables, des héros du quotidien, des gardiens de la tradition dont la province est si riche. Prêter l’oreille à notre terre d’un océan à l’autre et reporter sur le papier ce que le Seigneur Dieu t’a donné à entendre dans ces grands espaces.
Comment définiriez-vous la littérature issue de ces régions ? Quels auteurs en sont les plus représentatifs, pour un étranger qui souhaiterait la découvrir ?
Vous savez, il n’existe pas de littérature spécifique à la province russe. Seule existe la littérature russe, la littérature russe classique contemporaine. Il n’existe pas de littérature qui serait ethnographique. Les villes et les villages dans la littérature vivent de la même manière. Au sein du monde russe, personne ne distingue la ville du village, on distingue le russe du non-russe.
C’est comme un arbre énorme qui pousse depuis des siècles. Et le fait qu’ait émergé sur le côté le rejeton tordu du post-modernisme n’a aucune influence sur le tronc. La littérature russe avance d’un pas puissant et assuré, elle rassemble ses forces en se nourrissant de la tradition, elle essaie de prendre conscience de notre temps. Or, ce temps est tragique, car une crise morale secoue le monde, nous le ressentons et nous essayons bien sûr d’essayer de voir quelle est la place de la Russie dans cette répartition des forces qui existe.
Des noms... Il n’y a pas longtemps, j’ai découvert un jeune écrivain de l’oblast d’Irkoutsk Andrei Antipine. Les vers de Nicolas Zinoviev sont toujours à portée de main et les récits du prêtre Iaroslav Chipov sont remarquables.
Comment se développent ces territoires ?
Je le répète, la province russe c’est simplement la Russie moins Moscou qui est trop énorme et amenée à vivre selon d’autres lois. Elle est simplement la Russie. En Russie il y a beaucoup de villes de plus d’un million d’habitants, de centres régionaux. Ils se développent de manière habituelle, normale. Je ne sais que vous répondre. Comme tout le pays, comme l’époque le veut, les grandes et les petites villes vivent de manière analogue. En revanche, les petits villages vivent tout à fait différemment. Mais, il y a dans leur vie un trait essentiel, si jadis, il y avait une différence énorme entre par exemple le centre d’un kraï et un trou perdu, maintenant les coins les plus éloignés et les centres se sont rapprochés comme ils ne s’étaient jamais rapprochés et mis à part les charmes du confort et des nouveaux moyens de communication, on perd le sens de l’éloignement.
Ils incarnent une certaine notion de sanctuaire des traditions et de la sagesse russes, et pour d’autres, un rapport équilibré à la nature. Existe-t-il selon vous des écrivains de la campagne, les derevientchiki ?
Je ne sais pas qui a inventé ce terme d’écrivain de la campagne, mais il est vraiment malheureux, et même nocif. Il donne le sentiment de traduire le thème éternel de la campagne en spécialité exotique. Peut-être ce sont les conséquences de l’industrialisation sans laquelle, cela dit, n’aurait pas existé le grand état soviétique. À moins que cela ne soit l’œuvre des critiques urbanistes. C’est pourquoi les écrivains de la campagne ce sont simplement des écrivains russes : Tolstoï est un écrivain de la campagne, Leskov, Bounine, Nekrassov, Biélov, Raspoutine, Astafiev, Baïborodine, Choukchine et maintenant Antipine. Donc, on a des écrivains russes et il y en aura encore. Sans village, il ne peut y avoir d’écrivain russe. Ne serait-ce que parce que c’est du village que viennent les éléments créateurs de la langue. La prose de la ville a viré au journalisme et les livres ne sont que des scénarii.
Bien sûr, je dirai tout de suite de la littérature des peuples autochtones est une littérature merveilleuse et diverse qui a été soutenue en Union soviétique. C’était la démarche d’empire qui permettait de répondre à la diversité de notre espace uni par une terre et une idée commune. C’est une tradition que l’on ne saurait éradiquer, quels que soient les efforts faits dans ce sens. Il ne peut y avoir aucune contradiction entre la littérature russe et celle des petits peuples autochtones de l’extrême nord, de la Sibérie et de l’Extrême Orient. Je ne suis pas d’accord du tout quand on dit qu’entre les Slaves russes du nord et les peuples autochtones il n’y a rien de commun. Ce que nous avons en commun, c’est une nature dure et merveilleuse qui inspire et insuffle la création, qui est la source des forces et de l’inspiration qui unissent ces différents peuples.
Peut-on parler d’une identité provinciale en Russie, en tenant compte du fait qu’il y a, par exemple, peu de choses en commun entre les peuples autochtones de Sibérie et les Russes de Sibérie ?
Bien sûr, je dirai tout de suite que la littérature des peuples autochtones est une littérature merveilleuse et diverse qui a été soutenue en Union Soviétique. C’était la démarche d’empire qui permettait de répondre à la diversité de notre espace uni par une terre et une idée commune. C’est une tradition que l’on ne saurait éradiquer quels que soient les efforts faits dans ce sens. Il ne peut y avoir aucune contradiction entre la littérature russe et celle des petits peuples autochtones de l’extrême nord, de la Sibérie et de l’extrême orient. Je ne suis pas d’accord du tout quand on dit qu’entre les slaves russes du nord et les peuples autochtones il n’y a rien de commun. Ce que nous avons en commun c’est une nature dure et merveilleuse qui inspire et insuffle la création, qui est la source des forces et de l’inspiration qui unissent ces différents peuples.
La littérature russe classique du 20e siècle a pris naissance en Sibérie, là où s’est enracinée la paysannerie russe. C’est justement ce mode de vie, riche et nourri de tradition qui a donné à la Russie des écrivains comme Astafiev, Raspoutine, Choukchine et l’écriture de ces auteurs est à ce point reconnaissable qu’il est difficile de trouver une meilleure preuve de l’existence de l’identité provinciale et, de fait, simplement russe.
Par La rédaction
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