Pour l'inauguration du Festival d'Angoulême, le 28 janiver dernier, la ministre était venue avec plusieurs distinctions : une promotion exceptionnelle des Arts et des Lettres, qui faisait entrer dans l'Ordre huit auteurs de bande dessinée. Un geste honorifique destiné à saluer l'œuvre de ces auteurs, mais aussi à manifester le soutien de la ministre à l'ensemble de la profession. Sauf que la réception de ces distinctions ne s'est pas déroulée comme prévu...
Le 03/02/2016 à 18:01 par Antoine Oury
Publié le :
03/02/2016 à 18:01
Les lustres du ministère, très peu pour les auteurs de BD (ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
En effet, comme le relevait ActuaLitté ce matin, ce sont quatre auteures de bande dessinée qui ont décliné la promotion exceptionnelle. TanXXX avait été la première à réagir dans un tweet, puis dans un article publié sur son site : « Je n’ai eu aucune annonce officielle de la chose, tiens prends donc ça et démerde-toi. C’est pas la politesse qui les étouffe, dans les hautes sphères. Quel que soit l’angle par lequel j’attaque ce truc, ça fleure comme mes chaussettes après 4 jours de festival. Le ministère, et plus largement le gouvernement, doit être bourré, je ne vois pas d’autre explication. »
Julie Maroh, également distinguée par cette promotion exceptionnelle, n'y voyait qu'une suite assez consensuelle de la polémique sur le palmarès sexiste présenté par le Festival d'Angoulême pour le Grand Prix. Cette « médaille en chocolat » masquait également, d'après l'auteure, la lutte des auteurs de bande dessinée contre la réforme des retraites : « Je ne peux pas croire que ce soit la réponse de notre ministère à nos appels de détresse », déplorait Maroh.
Sur le même mode, Aurélie Neyret dénonçait une « récupération politique », et Chloé Cruchaudet annonçait peu après qu'elle « ne [voulait] plus en entendre parler, et [souhaitait] être retirée de cette liste ». Si les autres auteurs n'ont pas encore réagi, Riad Sattouf a expliqué qu'il acceptait la distinction en raison de son histoire personnelle, mais qu'il réclamerait à la ministre des réponses claires sur la réforme des retraites des auteurs en cours.
Interrogé par ActuaLitté, le ministère de la Culture et de la Communication indique qu'il prend acte de la décision des auteures, et qu'il la respecte. « Le refus d'une décoration n'est pas un phénomène exceptionnel, et chacun a le droit d'avoir ses raisons. Dans ce cas précis, cette décision a été rendue publique en réaction — et c'est compréhensible — à ce qui relève d'un dysfonctionnement interne au ministère. Les dessinateurs n'avaient pas été contactés ni concertés en amont et nous le regrettons vivement », explique le ministère.
Pas un phénomène exceptionnel, en effet : on se souviendra que pour la BD, Jacques Tardi, avait refusé la Légion d'honneur en 2013. Et là aussi, il assurait ne pas avoir été prévenu de sa présence dans la liste...
L'annonce des distinctions avait permis à la ministre de rendre hommage à « la vitalité et la diversité de la bande dessinée, un art majeur », et le ministère met en avant cette volonté : « Car l'intention de la Ministre n'était pas de les heurter mais, bien au contraire, de saluer et de promouvoir le talent de ces créateurs et créatrices dans toute leur diversité : hommes et femmes bien sûr mais aussi auteurs reconnus et jeunes auteurs. Le choix de distinguer des nouveaux visages est d'ailleurs un choix assumé et un signal très fort qui participe du soutien et de l'émergence de la jeune création, si chère à la Ministre. »
(ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
À l'encontre de ces 8 auteurs et dessinateurs, la ministre ne ressent que « de la fierté et de la considération », assure-t-on depuis la rue de Valois.
Que l'on évoque la rémunération des auteurs ou la réforme de leur régime retraite, le bilan n'est pas brillant, comme le rappelaient les États Généraux de la Bande Dessinée pendant Angoulême. Et le ministère assure qu'il est au courant : « Nous savons bien sûr que les vrais enjeux sont ailleurs pour la profession et le ministère est très attentif à la situation économique et sociale des auteurs. La ministre a d'ailleurs échangé avec plusieurs d'entre eux à Angoulême sur ce sujet, notamment avec les organisateurs des états généraux de la BD. Leurs inquiétudes ont été entendues. Le ministère est particulièrement mobilisé au sujet de la protection sociale des auteurs, sur le régime de retraite complémentaire comme sur le régime de base. »
Fleur Pellerin a d'ores et déjà promis de nouvelles mesures, annoncées au cours du Salon du Livre de Paris, en mars prochain : néanmoins, comme le révélait ActuaLitté, c'est le ministère des Affaires sociales qui a la main sur les négociations, et non le ministère de la Culture, qui n'a qu'une place minime, voire inexistante.
Difficile pour les auteurs de se réjouir, donc, de ces soudaines distinctions... Sauf si les médailles se monnayent bien au marché noir.
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
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