Après le soulèvement des éditeurs de BD contre l’organisation du Festival d’Angoulême, la menace de boycotter la prochaine édition plane. « Conséquence de l’absence à la fois d’une vision partagée et d’une gouvernance efficace, la dernière édition du Festival a cumulé les errements », écrivaient-ils. Il reste tout une année pour trouver des solutions. Et le ministère semble décidé à prendre au moins le temps d'écouter les parties en présence.
Le 26/02/2016 à 16:50 par Nicolas Gary
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26/02/2016 à 16:50
ActuaLitté, CC BY SA 2.0
Les éditeurs BD du Syndicat national de l’édition (SNE) et certains membres du Syndicat des éditeurs alternatifs (SEA) en avaient ainsi sollicité Audrezy Azoulay. « [N]ous faisons appel à l’État : nous demandons à Mme la Ministre de la Culture de nous recevoir et de nommer un médiateur afin de mener à bien, de toute urgence, cette refondation », lançait leur communiqué.
Selon La Charente libre, ils auraient été entendus : la rue de Valois a expliqué que les éditeurs devraient être « reçus d’ici une dizaine de jours », une information dont ActuaLitté a pu obtenir confirmation.
Guy Delcourt, actuel président du groupe BD, avait expliqué pour sa part qu’en cas d’impasse, les éditeurs n’auraient « pas d’autre solution, nous trouverons les moyens de créer nous-mêmes un temps fort de la bande dessinée dans l’année ». Et de rappeler que le ministère ne saurait être insensible à la question du FIBD, d’autant plus que le Festival perçoit une subvention du Centre national du livre, mais également d’autres financements reposant sur l’argent public. « Il existe aussi à Angoulême un musée de la bande dessinée qui est également financé par les collectivités. Je ne pense pas que le ministère soit insensible aux remous qui agitent le monde de la bande dessinée. » (via Le Monde)
De son côté, les membres du prix Artemisia, qui luttent pour la reconnaissance de la présence féminine dans la bande dessinée, ont largement salué le choix des éditeurs, et approuvé leur « courage ». Elles apprécient d’autant plus que les maçons se réunissent et « dénoncent l’incurie répétée du festival de la BD d’Angoulême ». Tant il est vrai que, cette année, la place des femmes a été mouvementée, oubliée, voire passablement méprisée.
Elles demandent ainsi que soit restaurée l’image de la manifestation ce qui ne passerait que « par une véritable remise à plat de son fonctionnement, de son financement et de sa gouvernance et par une démarche de promotion culturelle à la hauteur des enjeux que représente ce festival ». La médiation est une solution qu’elles préconisent, tout en souhaitant y prendre part. (via Tout en BD)
L'attachement de chacun et de tous à cette manifestation
De son côté, Jean-Louis Gauthey du SEA, explique à ActuaLitté que si les deux organisateurs d’éditeurs « ont des positions, des opinions et des perceptions divergentes, nous nous entendons sur une nécessité : qu’Angoulême cesse de connaître une crise permanente. Tout au long de l’année, ce Festival est animé par des polémiques ».
Et de poursuivre : « Le SEA a pour sa part une position claire : défendre la diversité du milieu, parce que nous concevons la BD comme un écosystème avec un besoin d’équilibre, et c’est à ce prix que l’on défendra la bande dessinée comme un objet vivant. » À ce titre, il importe que le SNAC BD, représentant les auteurs, « soient associés à la consultation. Le SEA a officiellement formulé la demande auprès du ministère de la Culture ».
Le SNAC BD avait rejoint la position des éditeurs, avec un ton cependant assez différent. Déplorant que les syndicats aient agi seuls, sans concertation préalable avec les auteurs – alors que cette discussion était planifiée – ils sont toutefois plus que favorables à une refonte du FIBD. À une condition, elle « devra se faire impérativement avec la participation des auteurs et de leurs représentants, sans quoi nous la considérerons comme illégitime. »
À noter : personne ne souhaite apporter d’éclaircissements sur la raison pour laquelle les auteurs n’ont pas été immédiatement associés à la diffusion du communiqué initial.
L’idée que le Festival soit délocalisé n’est pas neuve : il avait même été tenté, en 1989, de déplacer la manifestation à Grenoble. Il s’agissait, en plein mois de mars de créer le premier Salon européen de la bande dessinée. À Paris, deux tentatives avaient également avorté après plusieurs éditions entre 2002 et 2006 : Le Palais de la BD s’était déroulé à la Conciergerie, durant un week-end, en octobre. Il laissait également dans les murs une exposition pour un mois, bien après l’événement.
Grenoble, en son temps, avait d’ailleurs opté pour un salon très orienté vers le divertissement. Et Paris, pour sa part, était bien plus petit, dans son déploiement, avec des moyens moindres encore.
"Angoulême a besoin d'un conseiller conjugal, d'une thérapie de couple"
Reste que la mobilisation des acteurs atteste de la volonté de chacun, dans la défense du FIBD. « C’est un attachement de tous, parce qu’Angoulême offre un rayonnement à la BD francophone, autant qu’une vitrine internationale », précise un éditeur parisien. Le problème tourne aussi autour de la rentabilité du Festival. L’un des moyens pour faire d’Angoulême un salon rentable passerait par l’adoption de structures pérennes, quelque chose de stable sur l’année. Selon certaines estimations, la création des tentes, pour les quatre journées, tourne autour d’un million d’euros, pour la seule installation, la sécurisation et le chauffage. Des éléments concrets...
La ville dispose-t-elle d’espaces libres ? On estime que oui, mais on remarque aussi que la municipalité a successivement occupé les endroits disponibles pour d’autres projets : Xavier Bonnefont, l’actuel maire, aura-t-il pour projet d’allouer un lieu au Festival ?
Et l'éditeur de poursuivre : « Ce qu’il faut, pour Angoulême, c’est une psychothérapie de groupe, un médiateur qui agisse comme un véritable conseiller conjugal. C’est un événement positif pour la BD et pour la ville : nous ne devrions pas avoir de raison de le détester comme c’est le cas ! » Surtout que les critiques régulièrement formulées participent à alimenter la mauvaise perception que l’on peut en avoir.
Un acteur proche du dossier s’amuse toutefois de ce que l’édition demande à la ministre soit sollicitée. « Les principaux financeurs du FIBD sont la région et la ville : faire intervenir le ministère de la Culture est à double tranchant. » La ministre pourrait très bien murmurer à chacun que son investissement est très minoritaire, à travers le Centre national du livre...
Et le rapport Ladousse, qui s'en souvient ?
Cette participation s'effectue à travers le CNL, qui a financé le FIBD à hauteur de 120 000 € pour l’édition 2016. Toutefois, nous précise le président, Vincent Monadé, « il ne le pilote pas, il n’intervient pas dans sa programmation, il ne siège à aucun comité d’organisation. Il s’agit du plus important soutien accordé à une manifestation par la Commission Vie littéraire du Cnl. Ce soutien ne s’est jamais démenti, la manifestation étant à nos yeux le seul festival littéraire mondialement connu de notre pays ».
Il déplore néanmoins que l’édition 2016 du festival ait été émaillée de nombreuses polémiques. « Elles nuisent à l’image de la manifestation et par extension de la profession. Il me paraît donc naturel que les professionnels s’en émeuvent et souhaitent, par-delà des questions de personne qui me paraissent de peu d’intérêt, disposer d’une manifestation à l’image d’une création française portée par de très grands auteurs et éditeurs, variée, novatrice et qui a produit des chefs-d’œuvre de ce siècle et du précédent. »
Pour autant, que le président du SNE BD évoque le Musée et le FIBD résonne étrangement à ceux qui ont suivi depuis des années les développements : on en vient à se remémorer le rapport Ladousse présenté en 2004. C’était le tout début des EPCC (établissement public de coopération culturelle), et le rapport préconisait de réunir tous les acteurs du territoire : CNBDI, La maison des auteurs, et le Festival. Il s’agissait alors de monter un conseil administration solide, incluant la région, la ville, l’État et représentants professionnels (auteurs et éditeurs, notamment). Donc un EPCC, avec une dimension industrielle et commerciale.
Ce qui a été fait à Annecy, avec le Festival international du film d’animation, en somme. Et comble, l’État et les collectivités étaient d’accord à l'époque, pour adapter ce principe à Angoulême. Ce ne fut cependant jamais monté : quelques demi-vérités suffirent à cette époque à faire avorter l'idée.
Alors, interpeller la ministre impliquerait donc que les services de Valois ressortent le principe de l’EPCC, soit la proposition formulée en 2004. Peut-être que consulter Canal + et Disney/Pixar serait frucuteux, pour savoir quoi penser de cette formule. Certains argueront, une fois de plus, que l’édition, c’est différent : il n’empêche que l’EPCC fonctionne plutôt bien à Annecy. Il se pourrait aussi que ce ne soit l’idée recherchée par l’édition BD. Que Valois s’empare du cas Angoulême lui conférerait au moins une dimension nationale, permettant de sortir des problématiques strictement locales. Surtout quand la Ville et l’Agglomération sont en désaccord, pour des raisons de bords politiques.
La mairie prête à s'engager pour préserver la manifestation
Si l’association derrière le Festival ou encore ses organisateurs semblent murés dans un étourdissant silence, le maire d’Angoulême, Xavier Bonnefont, a fait part de sa position. Il trouve « tout à fait compréhensible et [...] partage pleinement leur inquiétude. Je regrette seulement de ne pas avoir été plus suivi l’année dernière quand j’ai tiré la sonnette d’alarme sur les dérives importantes que pourrait prendre le Festival ».
Xavier Bonnefont, maire d'Angoulême, Franck Bondoux gérant de 9e Art + et Olivier Poivre d'Arvor
Selon lui, image et BD sont les marqueurs identitaires profonds de la ville. « Je tiens à porter haut et fort cette ambition en sortant, au plus vite, des polémiques et des dérapages qui dégradent la ville d’Angoulême, la notoriété du Festival et toute une profession. Les conditions sont aujourd’hui rassemblées pour un véritable renouveau du Festival. »
Et de conclure : « Dans ce sens, j’ai fait part au Préfet de mon souhait de voir réuni le comité des financeurs publics pour dresser un bilan de l’édition passée et les contours d’une nouvelle vision partagée de notre festival. Le FIBD a été créé à l’initiative de la ville d’Angoulême il y a de cela 43 ans. Je ne serai pas le Maire qui le laissera tomber, voire même malmener ! »
Samuel Cazenave, adjoint à la Culture de la mairie, semble plus tiède dans ses déclarations.
Les financeurs publics de cet événement d'intérêt national et international ayant globalement maintenu leurs...
Posté par sur mardi 23 février 2016
Par Nicolas Gary
Contact : ng@actualitte.com
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