L’association Aide et Action vient de publier une enquête sur la situation de l’éducation dans neuf pays en développement : République dominicaine, Niger, Sénégal, Madagascar, Bénin, Cambodge, Inde, Vietnam et Népal. Intitulée « La parole aux sans-voix », cette étude a été conduite auprès de 4600 personnes, enfants, parents et enseignants.
Le 27/03/2015 à 00:02 par Victor De Sepausy
Publié le :
27/03/2015 à 00:02
Ce document offre un regard nouveau sur la portée de l'éducation comme levier du développement. Les résultats de cette étude ont pour objectif de proposer une réflexion sur l'agenda post 2015.
Forte de son expérience de terrain dans le secteur de l'éducation dans 24 pays parmi les moins avancés, Aide et Action a réalisé son enquête auprès de ceux que l'on n'entend jamais, permettant ainsi de mieux comprendre la réalité de l'éducation, de ses manques et de ses difficultés, par ceux qui la vivent.
Elle éclaire les débats actuels sur le bilan des Objectifs de l'Education pour Tous adoptés à Dakar en avril 2000 et celui du cycle des Objectifs du Millénaire pour le développement décidés à New York la même année.
Les priorités d'action identifiées combinent à la fois les préoccupations quotidiennes des enfants, parents et enseignants, mais aussi les grands défis et les débats sur l'agenda post-2015. Les pistes de réflexion proposées découlent de cette double perspective :
- Diminuer les coûts directs et indirects de l'éducation pour encourager l'accès et le maintien à l'école des enfants les plus défavorisés
- Impliquer les parents dans la scolarité de leurs enfants
- Lutter contre le retard accumulé par les enfants à l'école
- Revaloriser le métier d'enseignant
- Améliorer l'environnement scolaire des enfants
- Définir des politiques linguistiques claires et pertinentes
Les statistiques officielles fournissent des informations sur les taux de scolarisation, d'achèvement ou de réussite aux examens de fin d'année. Mais elles peinent à rendre compte de la situation quotidienne sur le terrain et à prendre en compte d'autres indicateurs comme le temps que mettent les enfants pour aller à l'école, ou le fait que les enseignants occupent un second emploi pour vivre décemment.
L'enquête d'Aide et Action International a été réalisée grâce à la démarche dite de « recherche-action », en complétant l'analyse par la littérature d'experts sur les nouvelles tendances de l'éducation.
L'étude est disponible en intégralité sur le site france.aide-et-action.org.
L’association Aide et Action a été créée en 1981. Organisation de solidarité internationale pour le développement elle est présente dans plus de 20 pays. Au travers de plus de 100 projets, Aide et Action, avec ses partenaires, contribue à l'amélioration de l'accès et de la qualité de l'éducation de plus 3 millions d'enfants et d'adultes.
Reconnue d'utilité publique, Aide et Action est soutenue par plus de 50 000 parrains et donateurs. Agréée par le Ministère français de l'Education nationale, Aide et Action agit pour un monde où la dignité est assurée pour toutes et tous, grâce à l'éducation, levier du développement humain.
(Crédits photos : Aide et Action)
Concernant la scolarisation des enfants, cette étude constate que « malgré les taux de scolarisation en net progrès dans la plupart des pays depuis quinze ans, les défis en termes d’inscription tardive et de redoublement récurrent perdurent.
Relever ces deux défis augmenterait la possibilité pour un enfant d’achever un cycle complet d’éducation primaire. Au Bénin, 80% des élèves interrogés répondent qu’un bon nombre de leurs camarades de classe ont abandonné depuis le début de l’année scolaire. Ce phénomène est particulièrement inquiétant dans la mesure où l’abandon scolaire est souvent lié aux frais directs et indirects de l’éducation, que les familles ne peuvent supporter.
Politique de gratuité et frais de scolarité
En théorie comme en pratique, l’accès à l’école dépend encore trop souvent de son coût financier. La majorité des parents interrogés (96%) estiment que la scolarisation de leurs enfants est onéreuse.
Plus de la moitié des parents affirment que le coût élevé de l’éducation est l’une des raisons expliquant l’abandon scolaire au Cambodge. Les parents doivent souvent prendre en charge des frais indirects, comme l’achat d’uniformes et de fournitures scolaires, ou encore des ‘frais invisibles’, comme un complément de salaire à verser aux enseignants.
Situation et distance de l’école
La majorité des écoliers doivent entreprendre le trajet à pied, faute de bus ou de transport scolaire disponible. Néanmoins, la distance par rapport au domicile n’est un obstacle majeur à la présence et à la participation à l’école que dans certains pays : en République dominicaine, 24% des enfants doivent faire un trajet de 30 à 60 minutes pour arriver à l’école.
Une proportion significative d’enfants allant à l’école à pied avoue avoir peur ou se sentir en insécurité sur le chemin, surtout parce qu’ils craignent les accidents de la route, les enlèvements ou les agressions.
Niveau d’éducation des parents et implication parentale
D’un point de vue global, 14 % des parents déclarent ne pas savoir ce que leurs enfants apprennent à l’école et 15 % n’ont pas idée du nombre moyen d’enfants par classe au primaire. Même si une majorité écrasante de parents déclare s’investir beaucoup dans l’éducation de leurs enfants, leur implication se limite pour la plupart à assister aux réunions de l’association de parents d’élèves ; très peu affirment surveiller les devoirs des enfants.
Le rôle des enseignants
Dans les pays qui accusent un retard dans la réalisation de l’objectif d’éducation primaire pour tous, il y a une pénurie chronique d’enseignants qualifiés. Les États, particulièrement en Afrique subsaharienne, ont du mal à attirer les meilleurs candidats au poste d’enseignant, ce qui conduit soit à une pénurie chronique, soit au recrutement de candidats peu qualifiés, sans véritable formation et peu motivés.
C’est la progression des élèves et leur fréquentation qui sont alors mises à mal. Moins de 50% des enseignants ont suivi une formation conforme aux standards nationaux dans 11 des60 pays pour lesquels on dispose de données. D’après les données recueillies lors de notre enquête, la plupart des enseignants reçoivent une formation continue et peuvent participer plusieurs fois par an à des ateliers de formation.
Néanmoins, les enseignants de pays comme Madagascar, l’Inde et le Niger déclarent que cette formation continue peut s’avérer sans rapport avec ce qu’ils font, qu’elle peut être dispensée de façon irrégulière ou ne pas être accessible dans les régions où ils enseignent. Le statut des enseignants a également un impact sur la durée et le contenu de la formation initiale et continue, sur leur motivation, sur le salaire reçu ou encore sur la progression au sein de la fonction enseignante.
L’environnement scolaire
Sur les 162 pays pour lesquels les données étaient disponibles en 2011, 26 - dont 23 situés en Afrique subsaharienne - affichent des taux d’encadrement supérieurs à 40 élèves par enseignant. Les témoignages des enseignants provenant des différents pays révèlent que les salles de classe sont partout surchargées, particulièrement au Bénin, avec 55 élèves par classe en moyenne.
Dans les contextes où les classes multi-niveaux constituent la seule option d’accès à l’éducation offerte aux enfants, une formation initiale et continue offrant des méthodologies d’enseignement spécifiques s’avère particulièrement utile.
L’Inde et le Népal constituent les deux pays où la plupart des enseignants interrogés confirment avoir à enseigner aux élèves de deux niveaux dans la même salle de classe. L’équipement de base dans les écoles constitue un autre élément décisif de l’accès et de la qualité de l’éducation, en améliorant le bien-être des élèves et en renforçant les résultats scolaires.
Nous avons globalement constaté que l’accès à l’eau potable est très variable selon les pays : au Cambodge, seulement 42% des enfants et enseignants interviewés déclarent avoir accès à l’eau potable. Seuls 25% des enfants interrogés en Inde déclarent avoir accès à des toilettes en état de marche à l’école.
Un matériel et des outils d’apprentissage de qualité sont tout aussi importants. Les témoignages des enfants révèlent une insuffisance significative de manuels scolaires, en particulier au Niger : 40% des enfants confirment qu’ils sont obligés de partager un manuel entre deux élèves et 37% entre trois élèves. La langue est essentielle dans e processus d’apprentissage comme pour le développement cognitif de l’enfant.
Notre enquête a exploré la question des langues et les résultats sont les suivants : au Niger, au Bénin, à Madagascar et au Sénégal, plus de 90% des enfants interrogés rapportent que la langue d’enseignement n’est ni leur langue maternelle, ni la langue parlée chez eux.
Les politiques éducatives soutenant la diversité linguistique ne sont pas faciles à appliquer, car elles reposent sur des dispositifs impliquant des coûts financiers importants en matière de recrutement, de formation d’enseignants et d’adaptation des programmes d’études. »
(Crédits photos : CC BY 2.0 - Catherine Mosiniak-Paillier)
Commenter cet article