Il s'agissait encore d'une superficie réduite, mais c'est la première fois qu'un stand collectif rassemblait des éditeurs de livres audio au Salon du Livre de Paris, cette année. Cependant, les éditeurs du secteur sont déjà habitués à se serrer les coudes : l'objet livre audio existe depuis des années, mais ne s'est jamais totalement départi de son statut bâtard, malgré un potentiel insoupçonné pour la découverte des oeuvres.
Au Salon du Livre de Paris (ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
80 m2, 13 éditeurs : pour la première fois, le grand public pouvait découvrir en un seul endroit une partie de la production éditoriale française en matière de livres audio, au Salon du Livre de Paris. L'initiative est venue de la commission Livre audio du Syndicat National de l'Édition, créée en décembre 2014 et premier signe d'un intérêt porté au format : « Cela fait quelques années que l'on attend ce stand », témoigne Cécile Palusinski, auteure et présidente de l'association La Plume de Paon, qui milite pour la reconnaissance du livre audio. « Cela a toujours été un peu compliqué à mettre en oeuvre, mais le fait qu'il y ait la commission permet aux éditeurs de parler d'une voix plus forte, et surtout de négocier dans d'autres conditions avec Reed [l'organisateur du Salon, NdR]. »
Le livre lu n'est pas arrivé avec la dernière pluie : Arnaud Mathon, créateur de la librairie Livraphone.com et de la maison d'édition Sixtrid, a déjà passé 31 ans dans le livre audio. Le premier tournant, pour la popularité du livre audio, fut l'apparition du MP3, la possibilité de compresser les enregistrements et donc de réduire le nombre de CD nécessaires, voire de les supprimer. « Quand nous avons sorti notre catalogue en MP3 en 2002, tout le monde nous a ri au nez, avant de nous imiter », s'amuse aujourd'hui Arnaud Mathon.
D'après les derniers chiffres disponibles du côté du Syndicat National de l'Édition, le livre audio « représente environ 1 % du marché du livre comparable », avec 3.000 références disponibles. Aujourd'hui, le format est suivi du coin de l'oeil par les éditeurs qui souhaitent améliorer les revenus annexes au livre, en vendant les droits d'adaptation ou en se chargeant eux-mêmes de la conversion en livre audio.
La plupart des maisons présentes sur le stand commun font état de catalogues conséquents et d'une durée de vie déjà honorable : chez SonoBook, 10 ans au compteur, on peut mettre en avant 43 titres, nés avant tout d'un besoin personnel. « Au départ, je voulais écouter des documents, et il n'y avait rien sur ce créneau, ni sur celui de la science-fiction et du fantastique, alors ce sont deux thèmes que nous avons envisagés sur le catalogue », explique Patrick Meadeb.
Le salon avait également installé 4 bornes d'écoute pour le public
(ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
« Soit nous achetons des droits, soit nous travaillons des fondamentaux du domaine public, en proposant de temps à autre une nouvelle traduction, plus juste », précise Patrick Meadeb sur la partie documents de son catalogue. « Récemment, nous avons aussi sorti Le Voyage d'Octavio, livre d'un jeune auteur franco-vénézuélien, Miguel Bonnefoy. » Malgré la décennie dans le milieu, l'équipe de SonoBook (deux personnes fixes, et des graphistes, illustrateurs et comédiens) travaille encore au coup de coeur, loin des impératifs économiques.
« L'objectif premier, c'est l'accessibilité de la culture », ajoute Patrick Meadeb :quand des statistiques alarmistes assurent qu'un désamour pour la lecture est en train de naître, la possibilité d'écouter des ouvrages pourra séduire certains. « Le public qui écoute est assez varié, mais d'après ce que je peux voir dans les lieux physiques, ce sont souvent des gens assez actifs, même s'ils sont retraités. Sur la SF, c'est assez sympa parce que j'ai des gens qui écoutent avec leurs enfants, en famille. J'ai aussi des professionnels qui écoutent en travaillant, des horlogers, des tapissiers, de la maintenance informatique... Cela leur prend moins la tête que la radio », témoigne le créateur de SonoBook.
Si le délire qui consistait à ajouter des effets ou une ambiance sonore écrasante au texte semble un peu passé de mode, le livre audio se construit encore en tant qu'objet éditorial, avec une porte ouverte aux oeuvres originales. La maison d'édition jeunesse Formulette, où Coralline Pottiez officie en tant qu'éditrice, propose 150 références au catalogue en 6 ans d'activité, dont quelques livres qui convoquent chanteurs et musiciens pour des prestations inédites, en regard d'un texte.
« Nous avons commencé en 2010 avec Anna Karina, qui a écrit le conte et les chansons pour Le vilain petit canard et a fait venir ses amis comme JP Nataf ou Philippe Katerine », explique Coralline Pottiez. Rebelote pour Brassens pour les enfants, Boby Lapointe pour les enfants ou Brel pour les enfants, qui font réinterpréter les classiques par des artistes contemporains : Emmanuel Urbanet des Joyeux Urbains, Tom Poisson, Kent...
« Du coup, nous sommes maison d'édition, mais aussi producteur musical et producteur de spectacles. » Également tournée vers la petite enfance, la maison travaille beaucoup avec les professionnels du secteur : la 3e édition du Petit Yoga, par exemple, a été améliorée avec les retours d'expérience des puéricultrices et enseignantes en maternelle.
(ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Les comédiens et les éventuels musiciens convoqués par les éditeurs de livres audio sont rémunérés au cachet, et les frais de production d'un livre audio sont assez élevés, même si le perfectionnement du matériel audio permet aujourd'hui des studios plus réduits : « L'important, c'est d'avoir de très bons micros — qui coûtent assez cher —, mais aussi des gens qui savent s'en servir, de bons interprètes et une bonne acoustique », résume Patrick Meadeb, de SonoBook.
« Pour un livre de 15 heures, il faut compter une semaine d'enregistrement et une semaine de montage », estime Arnaud Mathon, de Sixtrid. La maison fermera bientôt son studio parisien pour en ouvrir un à Orléans, plus grand, plus calme et avec un loyer un peu réduit.
Les éditeurs français regardent avec envie leurs confrères allemands et américains, dans des pays où le livre audio représente respectivement 5 et 10 % du marché. On compterait même 5 millions de lecteurs/auditeurs en Allemagne... « Par rapport à 2009-2010, lorsque l'on a commencé, on sent que quelque chose bouge », souligne Cécile Palusinski. D'après elle, l'engagement de Hachette avec sa filiale Audiolib ainsi que la prescription des bibliothécaires auraient beaucoup fait pour la popularité du format.
Pour Arnaud Mathon, de Sixtrid, c'est clairement Amazon qui a le mieux investi ce secteur longtemps délaissé par l'édition grand public. « Au niveau des ventes, nous sommes encore à 60 % physique, 40 % téléchargements, mais c'est en train de s'inverser. Avec l'arrivée d'Audible [filiale d'Amazon], l'argent qu'ils ont mis dans la promotion fait que les chiffres ont bondi de manière spectaculaire depuis un an », explique-t-il.
Évidemment, la promotion d'Audible n'aide pas les autres sites et éditeurs à se démarquer, mais permet de créer un nouveau marché de consommateurs de livres audio. Les ouvrages édités Sixtrid sont disponibles depuis un an sur Audible, et les chiffres de téléchargements sur la plateforme sont impressionnants, assure Arnaud Mathon. Sa librairie Livraphone ne reçoit pas d'aides publiques, et faire face à Amazon n'est pas forcément évident.
(ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Si le téléchargement est moins cher que le CD physique, « il arrive parfois qu'il soit plus avantageux de vendre en MP3, car la marge est meilleure en raison des frais de distribution du CD », explique Marc Ducros, gérant de la maison d'édition VOolume. « 80 % des produits que nous proposons en téléchargement affichent un prix compris entre 5 et 12 €, et nous dépassons rarement les 15 €, sauf sur des produits de collègues que nous proposons, et sur lesquels les droits sont élevés. »
Le format est pour l'instant relativement épargné par le piratage, même si certains titres sont diffusés illégalement sur YouTube... « Pendant 1 an ou 2, au début de la société, nous utilisions un DRM, que nous avons complètement abandonné, comme Amazon ou Apple d'ailleurs. Le piratage n'a pour l'instant jamais nui. J'ai trouvé un ou deux titres, pas les miens d'ailleurs, qui avaient eu beaucoup de succès, pour lesquels on prétendait qu'ils étaient disponibles pour 1 ou 2 €, mais ce n'étaient que des annonces malveillantes », précise Marc Ducros. « Des solutions comme le tatouage numérique permettront sûrement de limiter le piratage lorsqu'il deviendra un problème », estime-t-il.
Pour le moment, la principale inquiétude est suscitée par la réduction des budgets des bibliothèques : « Il y a de plus en plus de formations en bibliothèques, pour que les bibliothécaires et les bibliothécaires bénévoles puissent mieux connaître les usages du livre audio, et faire une médiation plus intéressante » note Cécile Palusinski, « mais les budgets ne suivent pas forcément ». « Des marchés de 3 à 4000 € faits par des bibliothèques se sont d'un coup retrouvés à 350 €. Cette année et l'année dernière, sur Livraphone, nous avons encaissé une baisse assez importante des ventes », explique Arnaud Mathon. Le système Prêt Numérique en Bibliothèque accueillera le livre audio dès que les difficultés techniques seront surmontées, mais certains éditeurs n'en voient pas vraiment l'intérêt.
Dès que l'on aborde les questions de régulation et de commercialisation, l'aspect « en construction » du livre audio se remarque rapidement : le format, qu'il soit numérique ou physique, n'est pas protégé par le prix unique du livre, même s'il est couvert par la définition fiscale du livre. Quant à la diffusion sur le sites de streaming, qui pourrait peut-être populariser le format, elle est encore « exclue des contrats par les ayants droit », notamment en raison de rémunérations beaucoup trop faibles.
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
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