Il y a encore quelques années, il était assez simple de définir le métier de journaliste : était journaliste professionnel celui qui détenait une carte de presse, soit une carte d’identité professionnelle qui permet de prouver son activité, de revendiquer des droits sociaux et d’accéder facilement aux lieux pour obtenir des informations, conformément à la Loi Brachard de 1935. Aujourd’hui, si la reconnaissance professionnelle du métier de journaliste est toujours en vigueur, de nouvelles formes de rédactions éclosent, notamment avec le développement d’internet. Blogueurs, rédacteurs, chroniqueurs… L’écrit étonne par sa vivacité : protéiforme, il semble à la portée de chacun.
PierrO, CC BY SA 2.0
Tous, nous avons le sentiment de pouvoir apporter une contribution d’ordre journalistique. La ligne de démarcation est devenue floue entre les amateurs et les professionnels, les journalistes et les blogueurs, les pigistes et les robots-rédacteurs (oui !). Comment le journalisme traditionnel peut faire face à ces nouvelles dynamiques et à quoi peut-on s’attendre dans les prochaines années ?
Par Mathilde de Chalonge.
L’apparition du Web s’est couplée avec l’apparition du blog. Il y a encore dix ans, tous les adolescents qui se respectaient en possédaient un, où le « com » (comprendre « commentaire ») faisait office de « like » Facebook.
Avec les années la mode du blog façon journal intime en ligne a perdu en vitesse, supplantée par les réseaux sociaux et le très célèbre « mur » Facebook. Les blogs qui perdurent aujourd’hui sont bien plus sérieux, voire professionnels : ils traitent souvent d’un sujet en particulier (la cuisine, le sport, la politique, la mode…) sur un ton à la fois détendu, libre, mais aussi courtois et correct. Les fautes d’orthographe et le langage SMS ont laissé place au français de tous les jours, voire à une langue soutenue pour certains.
Les grands journaux français, tels le Monde ou le Nouvel Obs ont aujourd’hui un blog, ou plutôt des blogs, ceux de leurs internautes, qui, s’ils n’engagent pas le journal en lui-même et n’exigent pas de rémunération, sont néanmoins relayés par lui. On peut parfois confondre l’information officielle, celle publiée par le journal, et l’information officieuse, celle de ses blogueurs.
D’un côté il y aurait donc les journalistes accrédités et de l’autre ces amateurs, des « presque journalistes » qui exercent leur plume à côté de leur activité professionnelle. Le flou entre les deux espaces de parole, leur communion sans la fusion est révélateur de ces nouvelles dynamiques, ce nouveau journalisme. D’ailleurs nombreux sont ceux, aujourd’hui, qui exercent les deux professions, celle de journaliste et celle de blogueur, écrivant ainsi à leur compte et pour le compte d’un journal.
Pour avoir la chance de produire des billets à succès, une certaine compétence en langage web est nécessitée : il faut maîtriser les codes des plateformes de publication, du référencement des images, de l’utilisation des mots clefs… Ce qui était à la base un loisir peut vite se transformer en une activité professionnelle et, dès lors, la frontière entre journaliste et blogueur devient de plus en plus poreuse. Il est désormais possible de gagner de l’argent grâce à son blog : les partenariats publicitaires et les articles sponsorisés sont la principale source de revenus. Les « modeuses », par exemple, mettent en avant des vêtements et touchent un pourcentage des ventes.
Distinguer un blogueur d’un chroniqueur, contributeur ou rédacteur web, c’est faire un pas de plus vers la professionnalisation. La grande différence concerne la rémunération : en effet les billets publiés sur les blogs des journaux ne sont pas rémunérés alors que ceux des chroniqueurs/contributeurs/rédacteurs web, si. Le chroniqueur est plus libre que le journaliste attaché à un journal, il contribue à l’écriture d’articles de manière plus ou moins régulière.
Martin Comeau, CC BY SA 2.0
Tous ces « nouveaux journalistes » peuvent bien entendu écrire sur des blogs et des journaux, mais pour les rédacteurs web en particulier le travail ne s’arrête pas là. Un rédacteur édite des contenus pour la presse, des sites institutionnels, des sites e-commerce… Bref tout ce qui peut nécessiter une belle plume et un contenu texte sur internet. Si les blogueurs les plus connus maîtrisent les stratégies éditoriales d’un site web, pour les rédacteurs web il s’agit définitivement de leur métier.
En effet le rédacteur web ne se contente pas d’écrire, mais optimise au mieux les contenus qu’il écrit afin qu’ils soient les plus visibles possible dans l’océan du net. L’écriture doit prendre en compte la dimension interactive du web : les commentaires, les liens hypertextes, mais doit aussi se conformer aux exigences des moteurs de recherche. Le rédacteur web est un as du référencement et connaît les bases du langage HTLM. Ainsi le mode d’expression et la finalité de son travail diffèrent de ceux du journaliste. Son style est plus concis, dynamique et accrocheur. Métier en plein essor, il est encore peu connu du grand public et est difficilement définissable : « mais alors tu es journaliste ou pas ? » leur demande-t-on souvent. À la lisière entre l’écriture d’article et l’édition de contenus texte, là se situe le rédacteur web.
Mais les grandes tendances du journalisme ne s’arrêtent pas là ! En plus des chroniqueurs, blogueurs, contributeurs, rédacteurs (etc.), se cachent d’autres perspectives, bien plus futuristes…
Vous êtes sûrement dubitatifs, mais, oui, il se pourrait bien que la profession de journaliste se « robotise ». Avant toute chose, derrière le terme « robot-rédacteur » ne se cache pas un robot à proprement parler et ôtez-vous toute image qui pourrait faire penser à un « Star Wars l’Attaque des Clones » version journalisme. Ces robots-rédacteurs sont tout simplement des programmes informatiques.
Durant les élections régionales de décembre 2015, plusieurs rédactions comme l’Express ou le Monde les ont utilisés pour publier des petits articles annonçant les résultats chiffrés, région par région. La tendance à la robot-rédaction nous vient tout droit des États-Unis, où des journaux très sérieux comme Le Forbes ou LA Times font office de précurseurs. En effet LA Times délègue ses articles de faits divers non pas aux jeunes stagiaires en chemisette, mais à des programmes informatiques. En 2014, en cas de tremblement de terre, « Quakebot » rédigeait un article d’après les notifications du Centre fédéral d’information sur l’activité sismique. Le Forbes utilise les mêmes programmes pour publier ses résultats financiers.
En France le robot-rédacteur le plus connu s’appelle Syllabs. Créée en 2006 l’entreprise se présente comme une « solution dédiée aux médias et aux éditeurs de contenus pour détecter, collecter, analyser et lier des news en ligne ». Son programme Data2Content est une « agence de robots rédacteurs qui transforment vos données en textes ». L’entreprise possède à ce jour le monopole dans la robot-rédaction.
On distingue facilement un article écrit par un humain d’un article écrit par un programme grâce à la mention « Ces textes ont été réalisés par Data2Content » en bas de chaque publication. La chose risque de se développer. En effet, les robots-rédacteurs permettent à la presse d’économiser à la fois du temps et de l’argent. Un robot coûte à l’année 20 000 € contre 40 000 € pour une personne employée en moyenne. De plus leurs systèmes informatiques les font traiter des données et les transforment en contenu en un temps record : chaque robot peut abattre le travail de plusieurs journalistes.
Stephen Hampshire, CC BY 2.0
Projet génial ou effrayant, la robot-rédaction va très certainement connaître un essor dans les années à venir pour les petites « news » et actualités factuelles fondées sur des données chiffrées.
S’il est vrai que les contributions rédactionnelles se démocratisent, cela ne fait pas pour autant de ceux qui les écrivent des journalistes. La Loi Brachard qui existe depuis 1935 et qui délivre une carte de presse permet de reconnaître une profession, des études, une compétence particulière. En effet le journaliste accrédité s’engage à produire une information inédite, originale, de source sûre. À chaque publication c’est tout son journal qu’il engage, et pas seulement sa personne. Le journaliste est tenu par la déontologie. Les articles de fond sont le résultat d’enquête et d’investigation, d’analyse de qualité.
Il existe de très bons blogueurs et contributeurs qui offrent une belle alternative au discours des médias traditionnels. Toutefois il s’agit de distinguer deux professions, deux métiers, deux finalités.
Quant au robot-rédacteur, celui-ci ne remplacera jamais une belle plume et un point de vue tranché. La vibrante tribune n’est pas prête d’être écrite par un robot : les jugements de valeur et toutes les subtilités de l’expression française ne peuvent être pris en compte par ces programmes informatiques qui ne sentent pas ni ne comprennent le monde qui les entoure.
Finalement, je crois que ce qu’on peut retenir, c’est la richesse et la diversité formelle des contenus publiés. Tous, nous avons aujourd’hui les clefs en main, pour nous faire entendre, sous toutes les manières possibles, à toutes les échelles imaginables. Blogueurs, chroniqueurs, rédacteurs et journalistes offrent un large panel d’information, de billets d’humeur ou encore d’articles de divertissement, prouvant encore chaque jour la vivacité et le dynamisme des formes d’expression écrites en France, ce dont on peut se féliciter.
Par La rédaction
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