Laurent Bettoni est un vieux de la vieille de l'autopublication. C'est lui qui le dit : les auteurs indépendants le considèrent comme un « papy » dans le secteur, une référence. Pourtant, c'est Robert Laffont qui publie son premier livre, Ma place au paradis, en 2005. S'il s'est tourné vers l'indépendance et la diffusion sur Amazon via Kindle Direct Publishing, c'est un peu par nécessité, constatant que l'édition traditionnelle n'offre que peu de chances aux jeunes auteurs. Laurent Bettoni se lance aujourd'hui dans la création d'un label éditorial, Les Indés, qui cherche également, à sa manière, à proposer une nouvelle voie pour les auteurs et l'édition.
Le 05/05/2016 à 10:26 par Antoine Oury
Publié le :
05/05/2016 à 10:26
© shut up & play the books
Laurent Bettoni : Je m'en suis plutôt bien sorti, et ce qui était intéressant pour les journalistes, c'est que je venais de l'édition traditionnelle. C'était une sorte de paradoxe : pour les lecteurs, c'était "rassurant" d'acheter le livre d'un auteur qui venait de l'édition traditionnelle, de chez Robert Laffont. C'était Écran total, et, avec Amazon, on s'aidait mutuellement : eux me donnaient une visibilité que je n'avais jamais acquise dans l'édition traditionnelle, et moi je leur apportais un crédit, quelque part.
J'ai commencé avec un premier succès début 2012, Écran total, et comme nous étions très peu à l'époque, mon nom a vite circulé. À l'époque, il n'y avait pas de concurrence, mais aujourd'hui, si tu veux être classé dans le Top 100, c'est beaucoup plus difficile, je pense qu'il faut plafonner à 50 ventes par jour.
Ce qui est amusant, c'est qu'au moment où j'ai été un tout petit peu connu dans l'édition indé, l'édition traditionnelle s'est intéressée à moi, sans que je sache s'il y a vraiment eu un lien de causalité. Marabooks Poche, une marque du groupe Hachette, s'est intéressée à moi pour un polar, et à peu près à cette même époque, les éditions Don Quichotte m'ont contacté pour un roman de littérature jeunesse qui est devenu Arthus Bayard et les Maîtres du temps. Ensuite, j'ai publié Mauvais garçon chez Don Quichotte et là je suis en train de boucler un autre roman pour Marabout/Hachette, qui devrait paraître en février 2017.
Laurent Bettoni : Effectivement, et il donne même plus de poids à l'auteur : le meilleur exemple que j'ai en tête, c'est Agnès Martin-Lugand. Je l'ai suivi en accompagnement littéraire : il y a 3 ans, elle m'a présenté un manuscrit, qui s'appelait Reste avec moi et qui est devenu ensuite Les gens heureux lisent et boivent du café, un titre que j'avais trouvé bien plus efficace. Son livre était au départ un pavé de 450 pages pour lequel j'avais senti le potentiel, mais son refus par les éditeurs ne m'avait pas étonné. On a bossé le truc pendant un an et demi et je l'ai représenté en autopublication, puisqu'elle ne voulait plus traiter avec les éditeurs. Il a fait un carton dès décembre 2013 et Michel Laffont l'a appelé. Je suis allé négocier avec elle le contrat, et j'ai obtenu des pourcentages et des conditions de folie, parce qu'elle était en position de force, avec plusieurs dizaines de milliers de ventes à son actif.
Laurent Bettoni : Dans l'esprit des gens, en France, l'auteur qui est indé est encore un looser, il y a encore ce côté bricolage, amateur, l'auteur qui s'est fait refuser partout, et qui est donc mauvais. Évidemment, dans l'autopublication, tout n'est pas bon, au contraire même, il n'y a qu'un faible pourcentage de bons textes, mais c'est comme dans l'édition traditionnelle. Et ce n'est pas parce que le texte n'est pas sélectionné par un éditeur qu'il est forcément mauvais.
Laurent Bettoni : D'après ce que j'entends auprès d'auteurs indés qui ont eu du succès, je crois, parce qu'ils ont tous envie de venir chez un vrai éditeur. Mais la différence, c'est qu'ils peuvent alors le faire dans de bonnes conditions : certains arrivent même à conserver leurs droits numériques ou leurs droits d'adaptation audiovisuelle, voire à négocier la durée de cession, comme je l'avais fait pour Agnès Martin-Lugand. C'était inimaginable il y a encore quelques mois, à présent la donne change : le rapport de force auteur/éditeur est un peu inversé, à condition d'avoir eu un succès en autopublication. Il ne faut toutefois pas se faire d'illusions : un auteur indé publié chez un éditeur traditionnel ne décide plus de grand-chose, ni dans la promo ni dans le timing.
Laurent Bettoni : Il y a eu un tel message au départ, de la part des éditeurs tradis, qui freinaient des quatre fers et ont amalgamé le tout avec Amazon. Syndicat National de l'Édition, libraires, chroniqueurs, journalistes, professionnels, tous ont tiré à boulets rouges sur l'autopublication. Et, à présent, ces mêmes grands éditeurs viennent faire leur marché parmi les auteurs sur Amazon. Ils viennent récupérer les best-sellers, le système clone le système, et une fois les best-sellers récupérés, que reste-t-il pour les autres auteurs ?
Au premier Prix Amazon de l'autoédition (ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
D'après moi, le pire du pire qui puisse arriver à un auteur indé, c'est de faire un succès en autopublication, d'être repéré par un éditeur traditionnel et de publier chez lui, puis de faire un flop et d'être rejeté dans la nature. Ça, c'est le risque pour un auteur, qui serait définitivement vu comme un looser absolu ensuite. Mais si tu arrives à montrer que tu es un peu bankable, l'autopublication, à double tranchant, peut t'aider ensuite.
Laurent Bettoni : À force de se professionnaliser, je pense que les auteurs indépendants vont finir par gagner leurs lettres de noblesse, un peu comme ce qu'il se passe dans le secteur musical. Aujourd'hui, ce sont clairement, d'après moi, les musiciens indés qui apportent le meilleur son, le plus d'innovations. Dans le cinéma aussi, avec le festival de Sundance par exemple. À mon sens, cela peut le faire aussi pour l'écriture.
Nous sommes dans un système éditorial qui est un peu en bout de course, un peu formaté : il n'y a plus d'innovations ou de prise de risques, parce que les éditeurs ont des marges à tenir, des seuils de rentabilité. On tend à la bestsellerisation, et finalement, soit ton livre se vend à 500 exemplaires, soit il s'en vend des camions. Ce que l'on appelait le ventre mou avant tend à disparaître : il n'y a plus d'auteurs qui vendent entre 5000 et 20.000 exemplaires.
La seule chose qui ne change pas dans ce système, c'est le tirage : quand tu tires à 9000 exemplaires et que tu n'en vends que 500, malgré les reins solides, ça refroidit moralement et financièrement. Du coup, les éditeurs rechignent à investir ou à faire confiance à des auteurs qui n'ont pas fait leurs preuves. Et c'est un cercle vicieux : tant que tu n'investis pas sur un auteur, surtout au niveau de la promotion, il ne sera pas connu, et une fois qu'il t'aura fait 3 romans vendus à 50 exemplaires chacun, tu ne le publieras plus.
Laurent Bettoni : Avec Audrey Alwett, autrice de BD et créatrice du label Bad Wolf, on planche sur un vrai statut d'auteur qui inclurait les auteurs indépendants. Remplir sa déclaration de revenus, c'est un véritable casse-tête pour les auteurs : faut-il les déclarer en revenus, en BNC...? Personne ne sait vraiment. De plus, en l'absence de statut, les auteurs indés sont interdits de syndicats pour le moment.
(ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Grâce au label et au paiement en droits d'auteur, ils ont le statut d'auteur, ce qui leur permet de s'inscrire à la SGDL, peut-être de cotiser aux AGESSA à condition d'avoir 8000 € annuels de droits d'auteur... Mais les auteurs indépendants sont dans une situation souvent pire que les auteurs traditionnels... Et ça me fait mal au cœur d'entendre ces derniers parfois décrier leurs collègues alors qu'ils font le même travail.
Laurent Bettoni : J'exerce ce métier depuis 2011 et il y a deux cas de figure parmi mes clients : l'auteur qui vient simplement avec une idée de roman — et c'est plus facile, en fait, de travailler comme cela : nous discutons des personnages, des ressorts dramatiques, de la construction de l'histoire, en cours particulier... Cela se fait la plupart du temps sur Internet, ce qui est assez pratique, mais aussi en direct. En quelques semaines, nous constituons un séquencier qui servira de guide à l'auteur lorsqu'il écrira ses chapitres. L'auteur m'envoie chapitre après chapitre, et je travaille avec lui le style, les dialogues, le registre de langue...
Le second cas de figure c'est quand un auteur a déjà écrit son livre et qu'il a besoin d'un diagnostic dessus. La plupart du temps, on repart de zéro, parce que la structure doit toujours être retravaillée. Au moins six mois sont nécessaires dans tous les cas, mais les durées dépendent selon les auteurs : si c'est prolongé, nous refaisons un contrat de prestation.
Parallèlement à l'accompagnement littéraire, je propose d'autres prestations, la création de la couverture, la rédaction du texte de la 4e de couverture, l'impression papier et numérique.
Laurent Bettoni : Effectivement, et je conseille aux auteurs qui ont recours à des accompagnateurs littéraires de réclamer leur CV avant tout. Parce que dans ce secteur aussi, il y a à boire et à manger : j'ai vu des services, des tarifs, des forfaits, de prétendus grands professionnels qui en réalité ont fait trois piges dans un journal ou sont des profs de Français... Des gens qui n'ont jamais écrit une œuvre de fiction, ce qui me semble quand même indispensable pour ce genre de travail. Les auteurs savent où ils entrent en faisant appel à mes services : j'en suis à mon 8e roman, pendant 2 ans j'ai dirigé les éditions de La Bourdonnaye, je fais de l'editing freelance pour des groupes éditoriaux, du rewriting, du ghostwriting...
Et ça paye, pour les auteurs : Les méduses ont-elles sommeil ? de Louisiane C. Dor va paraître chez Gallimard, les droits d'adaptation des Gens heureux lisent et boivent du café d'Agnès Martin-Lugand ont été achetés par Weinstein...
Laurent Bettoni : Simplement parce que les gens que j'ai accompagnés ne rentrent pas forcément dans ma ligne éditoriale, ou dans mes goûts. Et puis, sur un plan éthique, faire travailler quelqu'un sur un roman et le faire payer pour ça, avant finalement de le publier, c'est un peu comme éditer un livre à compte d'auteur... Cela ne m'est arrivé qu'une fois : une auteure m'avait sollicité pour une simple expertise alors que je travaillais chez La Bourdonnaye, et finalement je lui ai demandé de pouvoir publier son livre.
Et j'ai voulu créer Les Indés comme un label éditorial qui se mettrait au service de l'auteur : le travail éditorial est fait comme n'importe quelle maison — ce n'est pas un label de pote — et le rythme de publication s'en ressent, avec en moyenne un livre publié par mois. En 2016, nous allons avoir une dizaine de textes publiés.
Laurent Bettoni : Le concept que je défends, c'est que les auteurs peuvent partir du jour au lendemain s'ils ont un contrat chez un “grand éditeur” : en fait, je reprends vraiment le concept du label musical qui va aider les jeunes groupes à émerger avant de les laisser partir s'ils rencontrent un label plus important.
Notre intérêt, c'est celui d'avoir vraiment aidé à faire découvrir un auteur, mais aussi de devenir agent s'il y a transaction : dans ce cas, le label perçoit une commission d'agent équivalente à 15 % des droits couverts par le futur contrat en France, et 20 % des droits couverts par le futur contrat à l'étranger. Idéalement, j'aimerais que ces pourcentages ne soient pas pris sur celui de l'auteur, mais cela dépendra de l'éditeur final.
J'encourage plutôt les auteurs à partir de chez moi s'ils pensent avoir mieux ailleurs, et je pourrais même être force de propositions. Ce point est très clair, et il est inscrit dans le contrat. Finalement, avec cette possibilité très ouverte, les auteurs n'ont pratiquement plus envie de partir. Par ailleurs, ce contrat est résiliable à tout moment sans motif particulier, sur simple courrier de la part de l'auteur ou de la maison Les Indés, et l'auteur récupère évidemment tous ses droits.
Beaucoup de peine, beaucoup d'espoir, beaucoup d'amour de Brigitte Hache,
parmi les premières parutions des Indés
Laurent Bettoni : Lorsqu'un auteur avec les Indés, il signe trois contrats : un pour le papier, un pour le numérique, et un pour l'éventuelle adaptation audiovisuelle. Il cède ses droits pour une période d'un an, quand cette période s'étend jusqu'à 70 ans après sa mort dans une maison d'édition traditionnelle. Le contrat est renouvelable par tacite reconduction au bout d'un an, pour une nouvelle période d'un an dans les mêmes conditions.
Je trouve que la durée de cession actuelle est beaucoup trop longue, surtout à l'ère du numérique, et je n'ai jamais compris en quoi cela protégeait l'auteur, et pas un seul éditeur n'a su m'expliquer pourquoi cela me protégeait. Je trouve préférable que l'auteur soit responsable et qu'il puisse gérer lui-même ses droits. Un auteur ne touche déjà pas beaucoup, autour de 10 % sur ses livres, mais plus vers 5 ou 8 % en réalité, alors si en plus on ne décide de rien et on ne gère pas nos droits... Attention, je ne dis pas non plus que tous les éditeurs maltraitent les auteurs.
Laurent Bettoni : Les auteurs perçoivent 15 % sur le prix hors taxe pour l'exemplaire papier, et 25 % du prix hors taxe pour l'exemplaire numérique, ce qui correspond peu ou prou à 50 % des bénéfices. Le label est inscrit aux AGESSA, et les auteurs sont donc bien payés en droits d'auteur. Par ailleurs, les auteurs touchent leurs droits tous les mois, car je ne peux pas leur donner d'à-valoir, et je pense que je ne pourrais jamais leur en donner au vu de la résiliation à tout moment du contrat que je propose.
Laurent Bettoni : Pour la plupart des auteurs, les à-valoir sont nécessaires, mais je me suis déjà demandé s'ils ne coûtaient pas parfois la place d'un auteur dans une maison d'édition. Si un éditeur donne 5 ou 6000 € d'à-valoir et ne rentre pas dans ses frais, au bout de 2 ou 3 essais, il ne sera pas reconduit dans la maison. D'un autre côté, ce système reste indispensable, car un auteur met souvent plusieurs mois à écrire un livre. Si les à-valoir ne couvrent évidemment pas cette durée-là, ils donnent une certaine confiance : l'éditeur croit suffisamment en l'auteur pour lui donner cette somme.
Finalement, je me demande si ce n'est pas cher payé. Je préférerais un vrai statut d'intermittent, quelque chose comme cela, parce qu'entre deux livres, un auteur n'est pas payé, contrairement à un comédien entre deux pièces. En revanche, s'il n'y avait plus d'à-valoir, il serait indispensable que les auteurs soient payés tous les mois.
Laurent Bettoni : Je vais démarcher les producteurs, qui peuvent aussi contacter l'auteur en direct, mais c'est encore assez rare. En terme de pourcentage, c'est 50/50. Chez un éditeur traditionnel, on propose en général 20 % à l'auteur, il est possible de négocier 30 %, mais au-delà, c'est pratiquement inatteignable. Si le projet est apporté par l'auteur, il récupérera 70 % pour lui et 30 % iront aux Indés.
Laurent Bettoni : J'ai hésité, et puis je me suis dit que ce qui tuait les maisons d'édition, petites ou plus grandes, c'était la diffusion. Parce que lorsque les retours des ouvrages en librairie reviennent, c'est mort. Et pour qu'un livre soit diffusé correctement en librairie, il faut de gros tirages, une mise en place pas inférieure à 6000 exemplaires, à mon avis, pour que le livre soit vu. Et ça, je n'ai pas les moyens : c'est pour ça que je ne suis pas une maison d'édition, mais un label.
Je peux offrir le livre papier à mes lecteurs et auteurs, mais je ne peux pas faire un tirage de 9000 exemplaires avec une mise en place de 6000, ce ne serait pas honnête auprès de l'auteur de lui faire croire que son livre sera vu comme ça.
Machines d'impression à la demande (ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Pour l'impression à la demande, qui m'a paru la meilleure solution, je passe par Hachette et Lightning Source qui impriment et distribuent les livres à l'international et en France sous 48 heures. Après, si un libraire veut commander 5 ou 6 exemplaires d'un titre, il peut tout à fait le faire. De notre côté, nous essayons de contacter un maximum de librairies pour les démarcher. Et puis, éviter le pilon des livres, j'y tenais, moralement, et c'est écoresponsable.
Laurent Bettoni : Anne Chevalier travaille également comme éditrice avec moi, et nous avions déjà collaboré au sein de La Bourdonnaye. Elle réalise aussi notre charte graphique et nos maquettes et s'occupe des droits étrangers, que nous essayons de vendre auprès d'agents littéraires. Christophe Mangelle se charge de la communication digitale, qu'il assure aussi pour Au fil de la nuit, Robert Laffont, Michel Lafon, Flammarion, des artistes et des personnalités...
Sur ce plan, nous allons miser sur des chroniqueurs web, des blogueurs, des booktubeuses en priorité... Nous allons adopter la stratégie inverse de l'édition traditionnelle : on mise sur un succès en numérique pour ensuite faire vendre le papier, et cela permettra aussi de montrer que papier et numérique sont complémentaires.
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
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