Au ministère de l’Education nationale, on doit certainement s’interroger sur une incompréhensible équation. La France n’a jamais connu un taux de chômage aussi élevé que sur ces derniers mois, avec 3,509 millions de demandeurs d’emploi selon les chiffres du mois d’avril 2015, rapporte Le Point qui s'appuie sur les chiffres de l'INSEE. Et encore, il y aurait beaucoup à dire sur ces estimations.
Le 01/06/2015 à 00:02 par Victor De Sepausy
Publié le :
01/06/2015 à 00:02
A même moment, le ministère de l’Education nationale, pour tenter de donner corps aux promesses du candidat François Hollande, tente de recruter à tour de bras. Sur le papier, toutes les conditions sont réunies pour pouvoir recruter les meilleurs. Il faudrait donc en profiter ! Effectivement proposer des emplois à vie à un moment où le chômage des jeunes connaît un pic historique, comme le constate Le Figaro, ce serait s’assurer un grand nombre de candidats, donc de meilleures possibilités d’accroître la sélectivité des concours.
Or, il n’en est rien. C’est absolument l’inverse qui se produit. Quand on regarde le nombre des admissibles pour la session 2015, et qu’on le met en regard du nombre de postes mis aux concours, il y a de quoi en perdre son latin.
Des postes par milliers mais peu de candidats
Pourtant le ministère n’y est pas allé de main morte, accroissant même le nombre de postes offerts entre la session 2014 et la session 2015 alors que 2014 n’avait pas vraiment été un franc succès non plus.
Pour être plus concret, en lettres modernes, on compte 1 455 admissibles pour 1310 postes proposés. Si l’on regarde du côté des lettres classiques, c’est encore plus dramatique, avec 114 admissibles pour 230 postes. En anglais, ce n’est guère mieux : il y a 1481 admissibles pour 1225 postes à pourvoir. Quant aux mathématiques, près de 800 postes pourraient ne pas trouver preneur, selon les calculs du Café pédagogique.
« Au Capes externe de maths 2015, seulement 1802 candidats ont été déclarés admissibles pour 1 440 postes proposés. Si l'on reproduit en 2015 le taux de reçus parmi les admissibles de 2014, moins de 800 candidats (793) devraient être admis et 697 postes devraient rester vacants. »
Des matières fondamentales fortement dépourvues
Ces chiffres sont aussi à mettre en parallèle avec les révélations de l’évaluation CEDRE : le niveau des élèves français continue de baisser en mathématiques (voir notre article). Avec un métier de moins en moins attractif, on risque de compromette la réussite de générations d’élèves puisqu’on fait le choix de mettre devant eux ceux qui n’ont vraiment pas réussi à se caser ailleurs.
Un paradoxe se dessine aux yeux des jurys des concours : on a élevé le niveau de recrutement au master et, dans la réalité, faute de candidatures suffisantes, on est obligé de recruter des futurs enseignants qui ont un niveau plus faible que ceux qu’on retenait avant la réforme.
L'enseignement, un métier devenu répulsif ?
Cette situation n’est pas nouvelle mais elle continue de s’aggraver. Augmenter le nombre de postes mis aux concours ne change rien à la donne et il n’y a pas de nouveaux candidats qui apparaissent en face des postes proposés. Si l’on regarde les disciplines les plus sinistrées : ce sont les fameux enseignements fondamentaux, français, maths et anglais. Etant donné que ce n’est pas la première année que se creuse le déficit de recrutement, sur le terrain, la situation est plus que tendue.
Dans ces matières pourtant essentielles, il y a de plus en plus de difficultés à trouver des remplaçants. Des titulaires, il n’y en a jamais de disponibles une fois l’année scolaire entamée. Mais le vivier des personnels précaires s’épuise aussi de plus en plus (voir notre article).
Il devient évident qu’il faut réagir. Il est incompréhensible que dans une telle situation économique, notre pays peine autant à recruter les enseignants qui formeront les générations de demain. Le ministère se doit de mettre sur la table les moyens de recruter les personnels dont il a besoin.
Une réaction s'impose
Et il faut arrêter de se payer de mots à travers des campagnes publicitaires qui n’entraînent que rire et moqueries chez les étudiants (voir notre article). Ces derniers ont tôt fait de s’orienter vers des carrières plus rémunératrice, avec des métiers moins stressants au quotidien. Surtout que, pour recruter à niveau master, c’est-à-dire bac + 5, il faudrait payer en conséquence. Aujourd’hui, au bout de dix ans de carrière un enseignant ne gagne pas encore 2000 €, plutôt 1900, et encore, primes comprises.
En attendant, le ministère de l’Education nationale bloque tout effort sur les salaires. Malgré le retour de la croissance, le gel du point d’indice, actif depuis 2010, sera encore prolongé sur 2015 et 2016. Décidément, devenir prof ne fait plus rêver grand monde. La sécurité de l’emploi n’arrive même plus à contrebalancer le manque à gagner mensuel par rapport à un emploi occupé dans le privé à niveau master.
Les pistes lancées par le SNES
Le 11 mai 2015, le SNES-FSU, premier syndicat enseignant du secondaire, avait lancé l’alerte sur la situation dans un communiqué. « Du fait des départs à la retraite massifs et de l’augmentation du nombre d’élèves, les besoins en enseignants sont très importants. Avec la crise de recrutement qui perdure, des mesures urgentes doivent être prises afin de rendre attractifs ce métier.
D’après le rapport de la DARES d’avril 2015 ‘Les métiers en 2022’, 300 000 nouveaux enseignants doivent être recrutés entre 2012 et 2022. En effet, la DARES chiffre à 256 000 le nombre de départ d’enseignants à la retraite sur cette période. S’y ajoutent les besoins correspondant à la hausse du nombre d’élèves fruit de l’augmentation démographique.
D’après le rapport, les taux d’encadrement dans le premier degré et l’enseignement supérieur étant parmi les plus bas des pays de l’OCDE, la France se doit de recruter 44 000 enseignants de plus pour mieux faire face.
Dans le second degré, c’est 150 000 enseignants qu’il faut recruter. Depuis 2012, 34242 enseignants ont été recrutés dans le second degré. Pour atteindre les 150 000 recrutements en 2022, il est donc nécessaire d’affecter près de 14 500 nouveaux enseignants en stage par an dans le second degré sur les 8 prochaines années. Or la crise de recrutement n’est pas endiguée.
Si l’augmentation du nombre de postes aux concours a permis une augmentation du nombre de candidats et d’admis, tous les postes ne sont pas pourvus notamment en mathématiques, anglais, allemand, Lettres, éducation musicale, Sciences de l’ingénieur….
Les écrits des concours externes viennent de se terminer. Après avoir publié le nombre d’inscrits, le ministère se doit publier le nombre de présents aux épreuves. Le gouvernement a fait de l’éducation une priorité, mais sans enseignants qualifiés et formés, comment est-ce possible ?
Le ministère se doit de rendre attractif les métiers de l’enseignement et de l’éducation, s’il veut relever le défi. Revaloriser les salaires est la première mesure essentielle. Actuellement, un enseignant certifié du second degré débute à 1,1 SMIC soit 1616 euros brut mensuels donc 1388,2 euros net. Ils entrent donc dans la catégorie ‘travailleurs modestes’ définie par le gouvernement pour prétendre à la prime d’activité.
Alors que les autres secteurs doivent aux aussi renouveler leurs cadres, comment attirer des diplômés bac+5 avec comme salaire 1,1 SMIC à l’entrée dans le métier ?
Autre mesure indispensable, qui a fait ses preuves par le passé, la mise en place de véritables prérecrutements. Dès la licence, le ministère financerait les études des prérecrutés qui commenceraient à cotiser pour leur retraite. En échange, ils s’engageraient dans les parcours universitaires menant aux métiers de l’enseignement et de l’éducation, passeraient les concours et s’engageraient à servir l’État au moins 5 ans. Les EAP ou les M1 en alternance proposés par le ministère ne répondent pas à ces critères puisqu’ils sont affectés en établissement et ne peuvent donc pas se consacrer à leur formation.
Enfin pour recruter, les conditions de travail et de formation doivent obligatoirement être améliorées. »
(Crédits photos : CC BY 2.0 - Christopher Webb)
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