Les premiers résultats d’admissibilité aux concours externes de l’enseignement sont en train de tomber, ce qui permet d’avoir déjà une idée du nombre de candidats qui seront finalement retenus à l’issue des oraux.
Le 08/06/2015 à 00:02 par Victor De Sepausy
Publié le :
08/06/2015 à 00:02
Depuis 2010, les jurys œuvrant pour recruter les futurs professeurs ont de grandes difficultés à pourvoir tous les postes proposés. Il n’y a tout simplement pas assez de candidats pour permettre une sélection suffisante afin d’assurer un niveau de compétence acceptable.
Un état des lieux contradictoire
Dans un communiqué du 4 juin 2015, le ministère a souhaité mettre en avant les améliorations qui seraient lisibles lors de la session 2015. Mais, très vite, de nombreux commentateurs (ainsi au Café pédagogique) ont fait ressortir le caractère biaisé de l’analyse ministérielle. Autrement dit, on ne peut pas vraiment dire que la situation s’arrange.
Les matières les plus en difficulté sont les mathématiques, l’anglais, les lettres modernes, mais aussi et surtout classiques, ainsi que l’allemand. Comme nous le constations récemment, il est difficile d’expliquer un tel échec dans le recrutement de nouveaux professeurs alors même que l’Hexagone connaît un taux de chômage record (voir notre article).
Mais, force est de constater qu’à la lecture du communiqué du ministère, aucune prise de conscience sur la gravité de la situation n’est à l’œuvre au sommet de l’Etat. On se réjouit même des augmentations du nombre de candidats qui se comptent en décimales …Pourtant, d’ici à 2022, il faudra procéder au recrutement de 300 000 nouveaux enseignants, comme l'assure la DARESS.
Une politique de recrutement caractérisée par l'instabilité
Il est par ailleurs étonnant que l’Education nationale ne soit pas d’une grande transparence en matière de recrutement de ses personnels, des fonctionnaires qui sont ensuite payés par l’ensemble des citoyens. Si cette institution est très friande en statistiques en tous genres, il est très difficile d’avoir un état des lieux sérieux de la situation du recrutement des enseignants et son évolution sur les vingt dernières années.
Si la DEPP s'y intéresse régulièrement, au niveau de la direction du ministère, on continue de naviguer à vue alors que les recrutements devraient être prévues pour les cinq à dix années à venir. Et les futurs candidats devraient pouvoir bénéficier d'une assurance en conséquence sur les postes à venir. Ce qui permettrait efficacement de remplir les filières de formation à l'université. Mais, d'une année sur l'autre, et surtout d'un changement de majorité à l'autre, les compteurs sont remis à zéro. Une telle instabilité n'est pas propice à assurer un bon recrutement
Des candidats qui fuient avec la mastérisation et la baisse du pouvoir d'achat des enseignants
Si l’on ne prend pas la mesure de la situation, ces recrutements risquent d’être très difficiles et, surtout, vont se faire sans qu’on puisse être assuré des réelles compétences des enseignants de demain. Moins de candidats aux concours veut en effet dire aussi moins de sélectivité possible.
A chaque session, des postes restent non pourvus. Mais, là encore, difficile d’avoir un état des lieux précis de la situation de la part du ministère. On continue de présenter les données statistiques sous l’angle le moins négatif et point de synthèses claires.
Comme l’analysait le site La Vie moderne déjà en 2014, la baisse du nombre de candidats aux concours du CAPES est constante depuis la fin des années 90. Ce mouvement s’est nettement accéléré avec le passage à la masterisation en 2010. Une réforme qui a aussi été fatale au concours de professeur des écoles.
En mathématiques, on comptait en 1999, pour 945 postes proposés, 7332 candidats venus passer les épreuves. En 2012, pour un nombre presque égal de postes (950), il y avait seulement 1285 candidats présents aux épreuves, selon un article de la Revue de l'Association des Professeurs de Lettres (APL), n°138, juin 2011. Pour 2015, le ministère annonce 1 803 candidats admissibles au CAPES pour 1 440 postes ouverts…
Il y avait, en 2004, 37 538 candidats présents au CAPES externe. C’était 13 005 en 2012. Pour 2015, le ministère annonce 34 072. Mais ce chiffre est celui des inscrits. Il faudra attendre encore quelques mois pour savoir combien sont vraiment venus aux épreuves écrites.
La filière lettres tout spécialement sinistrée ?
Le problème de recrutement se retrouve en lettres modernes et en lettres classiques, avec une baisse importante du nombre de candidats. En 2004, on comptait 4000 candidats présents aux épreuves. En 2012, ils n’étaient plus que 1411. On annonce 3330 inscrits pour 2015 et 1 466 candidats admissibles.
Sachant qu’en général le ratio entre nombre d’inscrits et candidats effectivement présents le jour du concours est presque de un sur deux, il suffisait presque de venir composer pour être admissible. Il faut dire qu’il y a tout de même 1310 postes à pourvoir en lettres modernes…Une équation encore impossible à résoudre pour les jurys du concours cette année !
Mais les lettres classiques souffrent encore plus. Face aux 230 postes proposés en 2015, on compte 253 inscrits et 114 admissibles. Cherchez l’erreur. Pour de nombreux universitaires, la situation est aussi catastrophique en amont des concours : il n’y a tout simplement pas assez de candidats qui se retrouvent dans les parcours de formation. L’appauvrissement constant de la filière lettres, qui commence au lycée, pour ne pas dire au collège, a fini tout simplement par se répercuter à la sortie.
Si les élèves à profil scientifique s’orientent massivement vers les formations d’ingénieurs, il est difficile de savoir ce que deviennent ceux qui auraient eu un profil plus littéraire. Beaucoup se retrouvent finalement dans des filières scientifiques, les parcours littéraires faisant de plus en plus peur. En effet, l’un des principaux débouché s’avère être l’enseignement…
Une situation qui n'est pas inédite pour le CAPES
Cependant, certains experts relativisent fortement la situation actuelle qui n’est pas inédite dans le système de recrutement mis en place par l’Education nationale. Le nombre de postes mis aux concours est en effet très, voire trop variable d’une année sur l’autre. Et notamment lorsqu’il y a des changements importants de politique éducative.
Ce que l’on observe, c’est que face à une diminution forte du nombre de postes proposés, avec un décalage de quatre ans, on observe une forte baisse du nombre de candidats. Et inversement quand le nombre de postes mis aux concours repart à la hausse. Historiquement, quatre ans, c’était le temps de préparer une maîtrise.
Comme l’analyse Pierre Arnoux, dans un article paru dans Tangente, ce n’est pas parce qu’aujourd’hui on manque de candidats au CAPES de mathématiques qu’il faut craindre une pénurie en 2020. Bien au contraire.
Mises à part quelques particularités, « il est rationnel, et finalement rassurant, de voir que les candidats répondent au signal que constitue le nombre de postes! Sur les 50 dernières années, le nombre de postes affiché est certainement la variable qui explique le mieux le nombre de candidats dans les années suivantes. Le retard de 4 ans peut se comprendre: c'est la durée des études nécessaires pour passer le CAPES. »
Moins on propose de postes, plus on fait fuir les...futurs candidats
L’effondrement récent, à partir de 2008, s’explique essentiellement pour deux raisons : un signal fort envoyé aux futurs candidats sur une baisse du nombre de postes. C’était le principe du non remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite. Et cette donnée s’est trouvée conjuguée avec le passage à un recrutement au niveau master. On ne pouvait faire pire pour que les candidats désertent les concours enseignants.
Ce phénomène est aussi celui constaté par la DEPP dans une Note d’information de juin 2014 passée assez inaperçue. « Le nombre de candidats s’adapte avec trois à quatre années de retard à l’évolution du nombre de postes ». Et l’on peut noter que « le nombre de candidats augmente et baisse plus que proportionnellement aux postes ». Ainsi, « le nombre de candidats pour un poste augmente de 2,2 à 6,7 entre 1992 et 1997, puis diminue de 6,6 à 3,4 entre 2008 et 2012 ». Rappelons qu’entre 1987 et 1996, 20 à 30 % des postes n’étaient pas pourvus.
Rappelons d'ailleurs que la DEPP met en ligne un très grand nombre de statistiques, ce qui permet d'avoir accès au nombre de candidats, au nombre de postes aux concours enseignants depuis les années 60. Le moteur de recherche associé à la base de données Ac'ADoc s'avère particulièrement puissant en la matière.
(Crédits photos : CC BY 2.0 - NWABR)
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