Le prêt de livres numériques en bibliothèque n'en est encore qu'à ses balbutiements auprès des usagers, mais la réflexion sur la place de ce support dans les établissements remonte à loin. Le Réseau Carel, qui représente la coopération pour l'accès aux ressources numériques en bibliothèques, a été chargé par le ministère de la Culture de représenter les établissements de prêt et de négocier les tarifs et conditions d'accès proposés par les éditeurs.
(ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
L’association Réseau Carel est un réseau national de compétences et d’échanges en matière de documentation électronique pour les bibliothèques publiques : le consortium originel, créé par la Bibliothèque publique d'information, est devenu une association de bibliothèques publiques françaises en 2012. Depuis, l'association Réseau Carel s'attache à améliorer l'offre éditoriale numérique dans les établissements de prêt, avec 377 collectivités membres.
Évidemment, une grande partie de l'activité du Réseau Carel s'articule autour de PNB, Prêt Numérique en Bibliothèque, l'offre d'ebooks en bibliothèque validée par le ministère de la Culture. Attention, toutefois, « le réseau Carel ne considère pas que PNB est une offre exclusive », souligne d'emblée Olivier Pichon, responsable du numérique à la bibliothèque Les Champs Libres de Rennes Métropole et trésorier du Réseau Carel.
L'offre PNB a en effet fait l'objet de plusieurs polémiques : tour à tour jugée trop chère par certains bibliothécaires français, peu adaptée à leur mission de conservation puis opaque vis-à-vis des conditions de rémunération des auteurs, Prêt Numérique en Bibliothèque est loin de convaincre. Dans son rôle de négociateur, le Réseau Carel est en discussion avec les éditeurs, les auteurs et le ministère de la Culture pour faire évoluer le service, au sein d'un groupe de travail dédié au livre numérique.
« Au début du mois de juin, nous avons encore rencontré Albin Michel et Hachette pour négocier les tarifs et les offres. Les négociations sont plus ou moins réussies selon les éditeurs, mais certains nous entendent comme le groupe Madrigall, qui a revu ses conditions sur les tarifs, la durée de la licence ou les accès simultanés », explique Sophie Perrusson, directrice adjointe de l'Action Culturelle, du développement des technologies de l'information et des savoirs à la médiathèque de Levallois-Perret et présidente de Réseau Carel. « Nous sommes dans notre rôle de négociateur, comme pour d'autres ressources numériques. »
Au sein de l'association Réseau Carel, des bibliothèques expérimentent la solution proposée par Dilicom, et font leurs retours à l'organisation chargée de dialoguer avec les maisons d'édition. « Pendant la période d'expérimentation : il fallait laisser la bride sur le cou à tous les acteurs du système de manière à estimer le processus, et ensuite passer à une période de négociation » souligne Olivier Pichon.
Les bibliothèques n'ont pas imméditament été associées au processus PNB : « Nous n'avons pas été sollicités pour les décisions d'organisation », souligne Sophie Perrusson. « Le projet était déjà en route, et ce n'est qu'à la fin que le ministère de la Culture a ajouté les bibliothèques au groupe de travail. »
La directrice adjointe de l'Action Culturelle, du développement des technologies de l'information et des savoirs à la médiathèque de Levallois-Perret est alors aux premières loges pour évaluer PNB, puisque sa médiathèque est sollicitée par la société Archimed pour le test de son système connecté à PNB. « Cela nous a semblé intéressant, dans la mesure où nous avons un public qui s'équipe de plus en plus et qui nous réclame plus de contenus que ceux de l'offre de BiblioVox. »
« La première année », se rappelle Sophie Perrusson, « il était impossible de dépenser tout le budget alloué aux livres numériques : il n'y avait pratiquement rien dans le catalogue, et surtout pas de nouveautés alors que notre politique documentaire les plaçait au centre ». C'est face à ces situations que Réseau Carel prend le relais, pour inciter les éditeurs à améliorer leurs catalogues, ou à baisser les prix de leurs titres. Récemment, la médiathèque de Levallois a décidé d'arrêter les acquisitions numériques du catalogue Actes Sud, dont les conditions tarifaires ne sont plus satisfaisantes.
Les bibliothèques expérimentatrices de PNB disposent d'un back-office spécifique qui fournit les données de prêt et enregistre, notamment, les réservations de documents. « Heureusement que ce back-office existe, vu la variété des conditions de prêt des éditeurs, mais aussi parce qu'il nous fournit des statistiques qui nous permettront de comparer les résultats d'année en année », souligne Sophie Perrusson.
(ActuaLitté, CC BY SA 2.0)
Depuis le mois de septembre 2015, l'expérimentation de PNB est terminée, et de premiers résultats ont été communiqués par Dilicom au ministère de la Culture qui les a lui-même rendus publics. Ces résultats, pas très intéressants, sont toutefois affinés par les statistiques auxquelles les bibliothèques ont accès via le système d'identification de leurs usagers. « Elles ne sont pas publiques, mais les établissements pourront les exploiter », précise Olivier Pichon.
Ainsi, « nos camarades de la Belgique francophone et de la Ville de Paris ont établi des statistiques plus détaillées pour arriver à la conclusion que, finalement, nous n'étions pas sur un coût extrêmement plus élevé que le livre physique. Il faut simplement se souvenir que le numérique a une dimension totalement différente, avec de multiples accès pour une acquisition, par exemple. »
À Levallois, le prêt numérique touche en priorité les seniors et les grands lecteurs, et n'est utilisé au final que par 3 % des inscrits, mais il « fait venir de nouveaux publics », souligne Sophie Perrusson, notamment parce qu'il permet d'être un établissement de prêt ouvert 7 jours sur 7, 24 heures sur 24. Le budget de l'établissement, pour les livres numériques, atteint les 5000 € grâce au soutien de la DRAC Île-de-France, soit 5 % du budget consacré aux livres physiques.
PNB n'est pas vraiment en odeur de sainteté : de nombreux bibliothécaires — et rien de moins que l'Association des Bibliothécaires de France — critiquent son coût, son catalogue trop réduit et ses conditions d'accès compliquées. Mais « Carel ne veut pas accepter ce produit tel qu'il est, et notre présence au sein de Readium [pour le travail sur la DRM LCP, NdR] le prouve », souligne Olivier Pichon.
« Aujourd'hui, PNB reste la seule offre construite selon les desiderata des bibliothécaires », assure Sophie Perrusson. « Auparavant, il s'agissait d'offres bouquet comme Cyberlibris, qui ont le désavantage de donner des livres qu'on ne veut pas forcément, ou alors une offre réduite à ce qu'un groupe d'édition peut proposer, comme Numilog, uniquement pour les titres du groupe Hachette. »
Face aux éditeurs, Réseau Carel joue donc la carte du dialogue : « Quand on explique que les tarifs sont trop élevés, on ne nous oppose rien, parce qu'il s'agit simplement d'un choix tarifaire », détaille Olivier Pichon. « Nous leur disons “Faites, mais nous n'achèterons pas”. On nous propose aussi de l'illimité pour les livres numériques, sauf que les bibliothécaires désherbent régulièrement leurs collections, à moins d'être dans un établissement patrimonial », complète Sophie Perrusson.
Par ailleurs, la présidente de Réseau Carel relativise le coût des livres numériques : « L'avantage, c'est qu'une fois la commande passée, les livres sont disponibles dès le lendemain. Et les coûts humain et matériel sont réduits : pas de Filmolux, pas de puces RFID, et les livres sont disponibles pour 10 lecteurs en simultané. Il ne faut pas se leurrer sur la valeur ajoutée. »
Les offres de prêt de livres numériques en bibliothèques, comme BiblioVox ou les ebooks-cartes de l'éditeur E-Fractions, sont toutes testées, souligne Olivier Pichon, mais PNB est simplement la plus convaincante. « À Levallois, nous avons Cyberlibris depuis 2009 : l'offre monte d'année en année, mais le bouquet intéresse majoritairement les étudiants, avec des livres sur la recherche d'emploi, la comptabilité, la création d'entreprises... Il y a de la fiction dans Cyberlibris, mais elle émane essentiellement de petits éditeurs, et, surtout, on ne peut pas les lire en mode déconnecté », souligne Sophie Perrusson.
L'accompagnement du public pour l'usage de PNB — qui suppose la création d'un compte Adobe — occupe les bibliothécaires, mais « l'accompagnement pour réduire la fracture numérique fait aussi partie des missions des bibliothèques » remarque Olivier Pichon. À Levallois, des « petits-déjeuners du numérique », organisés les samedis matins, permettent un accompagnement plus personnalisé aux personnes en grande difficulté. La mise en place d'une DRM « simple d'utilisation », LCP, est toutefois toujours très attendue, probablement pour la fin de l'année.
Parmi les autres « évolutions » attendues, celle de la rémunération des auteurs dont les livres sont disponibles dans PNB, toujours aussi floue. « La rémunération des auteurs n'était pas le domaine de Réseau Carel. Le ministère de la Culture étant présent par le Service du Livre et de la Lecture, c'est plus de son ressort, en tant qu'acteur majeur, de s'interroger sur l'équité entre toutes les parties présentes. » Problème, déjà pointé par ActuaLitté : le ministère n'a aucun accès aux rémunérations des auteurs.
(Images Money, CC BY 2.0)
Raison pour laquelle l'avocat général de la CJUE avait rappelé qu'un droit de prêt étendu aux livres numériques permettrait de garantir une meilleure rémunération aux auteurs, voire une rémunération tout court... Pour Réseau Carel, il n'y a pas à tergiverser : « Le soutien aux libraires a été bien pris en compte, les auteurs doivent aussi l'être », assure la présidente Sophie Perrusson. « Cette question de la rémunération ne doit pas être spécifiquement rattachée à PNB, mais aux services numériques en général : iznéo, Numilog pour Hachette, CyberLibris... », complète Olivier Pichon.
Autre point à faire évoluer, l'accessibilité de PNB aux bibliothèques de moindre taille : « À Levallois nous avions déjà un portail Archimed, et le portail PNB ne demandait donc que l'achat d'un connecteur supplémentaire, soit pas grand-chose, mais les bibliothèques qui n'ont pas de plateforme rencontrent plus de difficultés. Nous l'avions dit dès le départ : il manque des plateformes en marque blanche pour les bibliothèques de taille réduite. Nous sommes à présent en contact avec Demarque et Archimed, qui nous enverrons des propositions sur des solutions clé en main, avec un coût déjà négocié », détaille Sophie Perrusson.
Réseau Carel salue par ailleurs la décision du consortium Couperin, qui représente les bibliothèques universitaires, d'entrer lui aussi dans l'expérience PNB. Le consortium sera bientôt rejoint par les établissements du Sillon Lorrain et les médiathèques du Grand Dole, qui seront les prochains à se lancer dans le Prêt Numérique en Bibliothèque.
Par Antoine Oury
Contact : ao@actualitte.com
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